De la Grève du Zèle au Zèle de Grève
Le Bénin du changement est tout de même un pays curieux. Avant les élections municipales, on a failli frôler l’absurdité d’un refus du parti au pouvoir de se présenter au scrutin sous prétexte de fraude ... Après les élections les membres de ce même parti sèment la zizanie et la violence sanglante un peu partout dans le pays, bloquant les installations des conseillers au motif que leurs élections sont l’objet d’une saisine de la cour, comme si un tel recours était suspensif.
Enfin troisième motif d’absurdité, les députés entament à partir du 12 juin 2008, une grève illimitée. Ils subordonnent la reprise de leurs travaux à des conditions non négociables au nombre desquelles figure la présence effective des Ministres de la décentralisation et de l’Intérieur devant la représentation nationale. La raison de l’invitation de ces Ministres réside dans la volonté des députés de les entendre sur les questions liées à l’interdiction, par des arrêtés préfectoraux, d’installer certains conseils municipaux et communaux. De même avant tout débat en plénière les députés souhaitent questionner les Ministres sur l’effectivité de l’installation de tous les maires et de leurs adjoints dans leurs fonctions respectives. Or cette démarche des députés qui prend le gouvernement à partie est une démarche collective, initiée par les députés, toutes tendances confondues, parmi lesquels se trouvent ceux de la FCBE qui soutiennent le pouvoir. Et c’est là que réside l’absurdité. Pourquoi les députés FCBE s’associent-ils incontinents à une démarche de paralysie du parlement initiée par leurs collègues de l’opposition ? Pourquoi se désolidarisent-ils virtuellement du gouvernement au risque de contribuer à le déstabiliser ? Pourquoi trouvent-ils un refuge inhabituel dans la solidarité collégiale qu’ils semblent placer sans états d’âme au-dessus de la solidarité politique avec leur camp ?
En fait à bien y regarder de près, ces curiosités s’expliquent. Ainsi, la menace de la FCBE de ne pas se présenter aux élections, sur fond du psychodrame du vol présumé de 50 000 cartes d'électeurs, n'était pas sans rapport avec la volonté de conjurer un sondage de mauvais augure pour le pouvoir.
La zizanie que sèment les militants et sympathisants de la FCBE dans leurs tentatives illégales mais hautement tolérées de bloquer l’installation des maires et conseillers est l’onde de choc politique de l’échec relatif du pouvoir aux élections municipales. Car en effet, si le régime avait réussi à s’emparer de Cotonou et d’autres villes grandes et moyennes symboliques, l’agitation protestataire de ses soi-disant supporteurs ne seraient pas à son comble aujourd’hui. De fait ce banditisme politique insolite et son parti-pris du non-respect de la constitution ne jurent pas avec la culture démocratique à l’emporte-pièce du régime actuel. Elle fait figure de ballon d’essai et de camp d’entraînement à ciel ouvert d’une violence téléologique pour le moins inquiétante dans la perspective des élections de 2011, qui sont une ténébreuse obsession du Président Yayi Boni.
Dès lors, au vu des exigences fixées, on peut se demander ce que cache cette curieuse solidarité des députés FCBE avec leurs collègues de l'opposition dans la grève illimitée du parlement. En fait depuis la fronde des G13, et la difficulté du Gouvernement à les amener à résipiscence, le pouvoir avance sur des œufs à l’Assemblée. La majorité n’est plus ce qu’elle était : elle a perdu de sa superbe. Sous la houlette de son président menacé de destitution, le parlement tourne délibérément au ralenti. Le Gouvernement n’a pas intérêt à y aller étaler sa minorité tant qu’elle n’a pas résolu ses problèmes d’alliance. Or ceux-ci semblent bloqués, de même que la formation d’un nouveau gouvernement consécutif aux élections municipales. Toutes ces absurdités ont une étiologie commune : elles s’enracinent dans une psychologie pour le moins préoccupante de Monsieur Yayi, un anti-looser viscéral, pour qui tout échec est source de blessure narcissique. Une telle psychologie n'incline pas le Président à servir la Démocratie les yeux fermés mais le pousse au contraire à se servir d’elle, les yeux ouverts sur son honneur de tous les instants sous-tendu par le primat obsessif d'une réélection en 2011. C’est pour cela que, malgré tout le pain qu’il a sur la planche, le Parlement fait le mort. La chose commence toutefois à sauter aux yeux, depuis les mises en garde répétées des partis de l’opposition. Le Pouvoir, sous la houlette du Président, ne voit pas l’utilité d’un parlement qui mettrait en difficulté le vote de ses lois et étalerait au grand jour l’éclatement de sa majorité. A la grève du zèle qui a prévalu jusque-là et dont la faute incombe entièrement au pouvoir, ne tenterait-on pas de substituer un zèle de grève unanime dont l’objectif caché serait de détourner le regard collectif de cette même faute ?
Dans ce cas, entre les partis d’opposition et la FCBE, on peut se demander qui mène le jeu.
Aliou Bamikolé
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