Les Histoires de Sènami
2. L’Abbé Jo
Je ne résiste pas au besoin de consigner les petites histoires et je dois à l’équité de verser au dossier, deux histoires que je tiens directement de Sènami.
La première est celle de l’Abbé Jo.
Parce qu’elle avait eu un enfant et vécu en dehors des liens du mariage avec un homme dont elle était maintenant séparée, Sènami qui est croyante s’en va voir l’abbé Jo pour lui demander absolution afin de pouvoir communier à nouveau en toute bonne foi catholique.
Cette démarche auprès de l’abbé Jo fut pour celui-ci l’occasion de fixer des conditions qui se révélèrent être celles d’un abus de pouvoir à des fins de possession sexuelle. L’objet de ce fantasme, Sènami, belle simple et fatale avait sans doute paru une proie facile au saint homme, passionné de Dieu aussi bien que des femmes. Entre autres choses, le prêtre lui aurait demandé de se lever tôt chaque jour et de se rendre chez lui à 6 heures du matin pour des ébats sexuels en prélude à la messe de 7 heures. Sans doute de quoi se donner du cœur à l’ouvrage de Dieu. Et peut-être aussi y puiser la force d’inspiration à ses sermons enflammés qui portaient souvent sur la nécessité pour les femmes d’être probes, fidèles à leurs maris, ou de ne jamais s’avancer sur les chemins scabreux des relations hors mariages. Du cardinal au petit curé, l’hypocrisie est à n’en pas douter la vertu cardinale du chrétien, vertu ou vice que les jésuites ont porté à un haut niveau de subtilité mâtinée de cynisme tranquille.
Mais Sènami, en femme farouche ne s’en laissa pas conter à si peu de frais. Plantant là le prélat libidineux, Sènami lui dit ses quatre vérités. Après qu’elle lui eut interdit de renouveler ce genre de proposition malhonnête, elle fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir que le Père Jo fût renvoyé de sa paroisse d’Abomey et affecté dans un petit diocèse en pays Agonlin. Malgré cette punition, comme si elle ne s’en satisfaisait pas tout à fait, Sènami parlait du prêtre lubrique avec une vengeresse passion comme si la seule proposition qu’elle lui fit était pour elle viol ou blessure, une blessure qui mettait du temps à cicatriser. Elle évoquait d’une voix remplie de colère les manœuvres théâtrales du lubrique homme de Dieu. Chaque dimanche matin avant l’homélie, l’abbé Jo se mettait à hurler en pleine église devant le parterre de ses conquêtes féminines plus ou moins mariées et de leurs maris dociles et plus ou moins cocufiés en demandant sur le ton de la plaisanterie : « Sènami est-elle venue à la messe aujourd’hui ? » Il allait alors de travées en travées à la recherche de sa énième dulcinée. Et quand enfin il la trouvait, il lui mettait une main condescendante, faussement catholique sur l’épaule, et se mettait à débiter de pieux sermons suintant d’insinuations ambigües et salaces, dont la grivoiserie matinale se cachait volontiers derrière des élans de grand pédagogue de Dieu pour qui, tous les moyens, même les plus diaboliques, sont bons pour transmettre la bonne parole et remettre les brebis égarées sur le droit chemin. Tel est le cynisme achevé de l’hypocrisie de ces hommes dits de Dieu, qu’au moment où ils égarent sciemment la brebis, ils se donnent les airs du bon berger, du rabatteur du troupeau de Dieu ! Pauvres croyants qui ont besoin de tels guides dévoyés pour se donner une raison de vivre...
Binason Avèkes
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