L'Amérique est Extraordinaire...
Pendant le discours à Saint-Paul (Minnesota) mardi soir. (Reuters)
Bush et Condoleezza Rice le félicitent d'être devenu le premier Noir d'un grand parti candidat à la Maison Blanche, signe que les Etats-Unis sont un pays «extraordinaire».
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Je fais un rêve. Sur l'usage de la dénégation symbolique des rapports sociaux en politique. En ce qui concerne les Noirs en général et les Noirs américains en particulier. Pour tout Noir qui a un peu de jugeote et d'expérience dans le commerce avec les Blancs, on ne peut pas ne pas se rendre compte qu'il y a un
usage de la prise en compte de l'existence du Noir, sinon de son égalité sociale ou citoyenne. Tout affichage de l'égalité du Noir a un usage de dénégation symbolique, parfois à visée pédagogique, souvent à visée idéologique. Dans tous les cas, il y a une intention qui se cache là-dessous. Ainsi, en est-il aussi de la prise en compte de l'identité culturelle, des productions culturelles étiquetées noires. Fonctionnel, cet affichage est en décalage total avec la réalité. Dans la réalité, non seulement les Noirs subissent un confinement implacable et méthodique qui fait qu'on les retrouve plus facilement dans certains espaces de la vie socioéconomique à l'exclusion d'autres, mais d'une manière générale, les Noirs ne sont pas censés être acceptés dans certains espaces d'activité ou d'identification socioéconomique. Il y a un marché de la libre jouissance socioéconomique dont la devise est passionnément blanche. Cette conditionnalité diversement affirmée selon les contextes nationaux, historiques, et culturels aboutit au confinement sociologique du Noir. Quand on est Noir on est plus souvent chanteur, sportif, prisonnier, que grand homme d'affaire, ou présentateur d'un grand journal télé, etc... La plus grande université noire, disait Malcom X, est la prison. Le phénomène de confinement varie d'une société de Blancs à l'autre. En France par exemple, au nom de la non acceptation de la communautarisation, le Noir n'a pas d'existence sociale en tant que Noir, et par conséquent le confinement qui le frappe et qui est effectif ne souffre d'aucun recours. Néanmoins, le recours à son image par rapport à un usage de dénégation est une pratique qui se fait dans tous les domaines, et qui est surtout affichée avec la complicité des médias. Le cadrage des images a toujours tendance à montrer l'existence exceptionnelle des noirs, des signes d'une égalité apparente, d'une apparence de réussite sociale, toute ostentation aux antipodes de la réalité, de la réduction socioéconomique, et des chances réelles de mobilité sociale du Noir dans la société française. En somme en France comme dans maints pays de l'Europe, un Noir qui réussit ça s'affiche, c'est vendeur, mais vendeur de quoi ? Vendeur du mensonge grandiose et hypocrite de l'égalité du Noir et du Blanc, pour ne pas dire de l'égalité des hommes indépendamment de leur couleur et de leur faciès, mensonge qui, au regard même de l'arithmétique subtile du racisme, frappe le Noir plus que tous les autres types ethniques différents de l'ethnie dominante en Europe : celle des Blancs ( qu'ils soient Blancs chrétiens ou juifs, ou arabes, etc) En Amérique il n'y a pas de cachotterie excessive à concevoir sur l'égalité d'un Noir et d'un Blanc, ou sur le fait qu'à capacité égale, le Noir aurait autant de chance effective que le Blanc. Nous sommes dans le pays dur de l'esclavage du Noir. Non seulement de ceux qui ont vendu, acheté, traité et maltraité des Noirs ;
– chose que les Européens avant d'être devenus des Américains avec le temps ont fait
– mais aux Etats-Unis, comme en Amérique en général, nous sommes aussi dans le pays de ceux qui ont dû gérer les conséquences sociales directes de tout l'héritage de l'esclavage ; contrairement aux Européens dont les descendants d'esclaves sont confinés dans des îles à usage balnéaire et touristique, les Européens-Américains sont aussi ceux qui ont dû se coltiner la cohabitation directe avec les Noirs. Cette cohabitation fait qu'ils n'ont pas de romantisme à concevoir sur leurs rapports avec les Noirs, mais plutôt ont eu tendance à exhiber leur haine au quotidien, leur rejet, leur répulsion, qui est la traduction du refus viscéral de vivre avec le Noir ou de partager d'égal à égal les richesses de l'Amérique avec cet autre perçu et défini mais surtout construit et posé comme son contraire absolu. La diabolité du Noir est enracinée dans l'inconscient collectif et les esprits des Blancs. Une haine souvent a priori, alors que la haine du Noir pour le Blanc est une haine a posteriori et réactionnelle. Cette gestion de la présence directe du Noir est donc passée par toutes sortes de violence : oppression, lynchage, terreur, Ku-Klux-Klan, etc., auxquels les Noirs ont répondu avec leur organisation, leur culture, leur solidarité et surtout la lutte pour l'égalité et les droits civiques. Cette dialectique au fil du temps est passée par des phases de tragédie et d'évolution. Le rapport des Noirs avec les Blancs aux Etats-Unis aujourd'hui n'est pas celui du romantisme, mais tout au plus celui d'une reconnaissance liée au poids relatif de la communauté. Cette tolérance arithmétique n'a été possible qu'à partir du moment où l'angoisse générée par le fait Noir des siècles passés a été résorbée par une politique d'immigration blanche massive croisée avec un rapatriement des descendants d'esclaves vers l'Afrique sous de fausses justifications romantiques, mais dont le but réel était de réduire le taux des Noirs, qui ont constitué et constituent toujours pour les Blancs la bête Noire. Si bien qu'aux Etats-Unis aujourd'hui la condition du Noir comme sa réalité passe par deux modes de traitement ; sociologiquement le Noir fait l'objet de confinement : on le trouve plus sur un terrain de sport qu'à Wall-Street. Mais dans le même temps, contrairement à la France ou à l'Europe, le Noir bénéficie en tant que communauté des effets positifs de la discrimination positive. Traduction apaisée de la reconnaissance de son poids démographique relatif en tant que communauté. La discrimination positive et le fait que l'investissement de la valorisation sociale varie dans le temps et l'espace font que les Américains peuvent aujourd'hui présenter un proto-Noir comme candidat sérieux à la Présidence, chose qu'on n'est pas prêt d'avoir dans le pays européen le plus libéral, où les grands principes sont plus proclamés, affichés qu'appliqués, ne serait-ce que par le biais de la discrimination positive. Mais pour autant l'émergence des figures singulières de l'égalité aux Etats-Unis n'est pas sans limite. La question qui se pose c'est de savoir ce que signifie cette émergence positive dans le cas de Barack Obama ? Est-ce que Barack Obama peut devenir effectivement Président aux Etats-Unis ? Ou, son émergence a-t-elle un usage ? Aux-Etats-unis en ce qui concerne les minorités, et plus particulièrement la minorité noire, la culture du record est un aspect de la psychologie sociale. On est le premier Noir à avoir fait ceci, le premier Noir à avoir fait cela, etc. Et cela dure depuis des siècles. D'une certaine manière cette recordisation de la vie sociale des Noirs est aussi l'un des usages insidieux de la confirmation du rêve américain, comme un rêve à la portée de tous. Mais au-delà de la recordisation, il y a surtout l'affichage et la dénégation symbolique de l'inégalité du Noir ; la volonté de montrer au monde que l'Amérique aime les autres, et qu'elle est un pays de justice humaine, raciale. L'une des critiques que formulent certains dictateurs, musulmans ou asiatiques (Saddam Hussein, Corée du Nord, Iran) lorsque les Etats-Unis les accusent de maltraiter leurs citoyens, est souvent de leur rappeler l'oppression des Noirs, leur inégalité. Dans ces conditions, le fait que le système américain soit parvenu à faire hisser un Noir comme candidat sérieux à l'éligibilité présidentielle est une manière de battre en brèche ce type de critique, selon le procédé de la dénégation symbolique. A l’issue du 11septembre 2001 le monde attendait des Etats-Unis une réponse humaine forte et cohérente dans leur rapport avec le monde non-occidental, le monde musulman. Au lieu de quoi dans l’impuissance générale du monde on a assisté à une folle escalade de violence, d’agressivité à une inflation de suprématie, sans rime ni raison, une vulgaire démonstration de force dénuée de toute humanité, un gâchis de ressources humaines et financières à des fins guerrières. Dès lors, l’émergence de la figure d’un Noir, métis et Africain par son père, comme candidat à la présidence peut être une manière de lifting, une façon pour l’Amérique d’envoyer au monde et surtout au tiers-monde où son image est fortement dégradée, un message de tolérance ; une occasion de donner à voir un autre visage de l’Amérique, un visage plus proche du monde, un visage susceptible d’améliorer son image qui ne peut que faire du bien à son économie.
Le fait que les ténors républicains, Bush et Condoleezza Rice en tête, félicitent Obama d’être le premier Noir, etc., au-delà de toute courtoisie, prouve bien que l'émergence d’Obama est une de ces opérations qui, même dans un système démocratique, relèvent d'une volonté commune d'inspiration nationale. En l'occurrence, le but et la fonction de cette volonté sont de laver le visage de l’Amérique de la souillure mondiale que les 8 années de règne de Bush y ont laissée. Au-delà de cet usage, bien rêveur est celui qui pariera un dollar sur les chances de Barack Obama d’être effectivement élu Président des Etats-Unis en novembre 2008. Le but de la manœuvre, dans cette Amérique qui reste massivement anti-noire et raciste n’est pas qu'Obama devienne président mais de montrer à la face du monde que l’Amérique peut le hisser à ce niveau. Que l'Amérique est extraordinaire !
Dans le monde entier, dans l'histoire comme dans le présent, les Blancs détestent trop les Noirs. Il n'y a pas à dire ! En Amérique, cette détestation est encore pire, parce que mécanique, systéma-tique et constituant pour beaucoup un élément structurant de l'identité collective. Dans leur majorité et pour autant qu'il faut une majorité à cet effet, les Américains n'éliront jamais un Noir Président ! Aussi, pour ne pas être rêveur demain, aujourd’hui, je fais un rêve : Obama ne sera pas Président !
Eloi Goutchili
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Cela n'empêche pas de rêver...
Rédigé par : B. A. | 26 juin 2008 à 09:39
C'est en tout cas un défi lancé à la conscience de l'Amérique Blanche. Nous verrons bien!
Rédigé par : Thomas Coffi | 25 juin 2008 à 23:24