L’Image des Vieux, et le Paramètre Culturel
Aujourd’hui au hasard du métro, et passant pas ses long couloirs tapis de publicité, mon regard tombe sur une affiche figurant un prochain spectacle de Michel Sardou ; je ne sais quand ni où, mais ce qui arrêta mon regard c’étaient moins ces informations pratiques que l’image de l’homme lui-même, telle qu’elle est présentée. Sur l’affiche, l’artiste apparaissait de dos, et sa tête, très légèrement tournée de profil, était par-dessus coupée de moitié. Le spectacle en question était une pièce de théâtre intitulée "Secret de Famille".
Le thème du secret justifiait-il à lui seul que restât caché le visage de Sardou dont le nom était à l'affiche ? En matière d’affiche, les Français sont une race d’esthète imbattable, c’est sûr. Mais est-ce seulement l’esthétique qui était en jeu ici ? Je me le demandais... Plus loin, sur mon chemin de retour, alors que j’attendais mon métro à Champs-Elysées-Clémenceau, je me retrouve devant une autre affiche figurant là aussi un artiste français de la même génération, il s’agissait d’Alain Barrière. Et là comme précédemment je n’eus pas droit à une photo claire et nette, mais à une tête figurée en daguerréotype, au flou artistique d’image de vieux journaux du milieu du 19
ème siècle bien étudié ; dans cette image ce qui pouvait être tenu pour les traits essentiels et éternels d’Alain Barrière était fourni. Un Alain Barrière de 40-50 ans au sourire séducteur fièrement conquérant. Là aussi, il semblait que fût mise en avant l’affirmation esthétique au détriment du réalisme de l’image. Enfin, et comme si la question qui me taraudait n’était pas seulement le fruit du hasard ni le fait d’un esprit avide de critique, au sortir du métro, je tombe sur l’image d’un autre homme public de la même génération, tout aussi célèbre et tout aussi talentueux, personnage du monde des arts et spectacles de scène, à mi-chemin entre le théâtre, et la critique sociopolitique, il s’agit rien moins que de l’image du vénérable Bedos ! Dans tous les trois cas seul le mot image convenait. A une époque si avide de photos que la technique de numérisation a porté à son pinacle, force est de constater que les trois affiches qui donnent ici matière à réflexion, ne figurent pas des photos, mais des images. Dans le cas de l’image de Bedos qui occupait toute la couverture du Magazine Média, il s’agissait d’un dessin de style BD. Il est vrai que ce magazine
figure ses images de une par des dessins de ce style. Mais pour mon regard critique, il ne faisait plus l’ombre d’aucun doute que ces trois images avaient quelque chose en commun : elles participent ouvertement d'une logique de simulation/dissimulation. En effet, les trois artistes concernés n’étaient pas des jeunots. Leur âge moyen tourne facilement autour de 70 ans. Ils appartenaient à la génération d’hier sinon à celle d’avant-hier. Or nous sommes dans une culture et une époque où les vieux ne sont pas en odeur de sainteté, surtout en matière d’image : en général, le mot d’ordre implicite est « cachez-moi ce grison qui me rappelle ce que je serai ! » Aussi va-t-il de soi que l’image des vieux ne vend pas les vieux. Même si le vieux fut un artiste de talent. De tout temps le système médiatique occidental a essayé de contourner le problème. Les vieux eux-mêmes ont à certaines périodes été invités à payer de leur personne. Maquillage à haute dose, chirurgie esthétique, look faussement branché, font partie de l'arsenal des techniques de rajeunissement de l’image des vieux. On a vu récemment sur les affiches la photo d'une Catherine Deneuve, visiblement passée sur la table de billard des esthéticiens de la place, photo relookée façon high-tech, et qui tentait vaillamment de défendre le château de beauté légendaire d’une cinquantenaire sexy, assiégé par la sombre grisaille du temps qui avance. Mais n’est pas Catherine Deneuve qui veut. Les photos deviennent de plus en plus rares pour parler de la présence vivante des vieux. D’où l’irruption des images. Une dénégation de l’œuvre du temps sur les corps, et qui se donne des airs d’esthétique. En somme, il s’agit d’une dénégation esthétisée qui confine à l’esthétisation de la dénégation. On montre l’image du vieux sans le vieux ; c'est-à-dire qu’on se contente de la représentation sans la présentation. Et c’est là où à force de me questionner sur cette évidence, j’ai cru voir de façon claire, un point (parmi d’autres) de démarcation entre les valeurs occidentales et les valeurs africaines que moi l’aliéné, j’aspire de toute mon âme à défendre, illustrer et incarner.
Depuis Amadou Hampâté Bâ, tout le monde sait que le vieux ou la vieille est une valeur en Afrique. Quand un vieillard meurt, c’est tout une bibliothèque qui brûle. Je pris conscience que ce n’était pas à l’évidence le cas en Occident, du moins dans cet occident moderne, capitaliste et consumériste. Mais ne voulant pas tomber dans la facilité des prénotions, je me demandais non sans prudence si cette distinction ne pouvait pas être considérée comme un banal effet de diachronie, que nous tentons en Afrique d’essentialiser par illusion ou par anachronisme. Peut-être que tout n’est qu’une affaire de différence économique et sociale, me disais-je. Mais je m’avisai en constatant que dans un pays aussi économiquement avancé que le Japon – pays que je connais un peu pour l’avoir visité six fois déjà, et dont l’histoire des conditions de mutation est fort passionnante – malgré les bouleversements sociologiques irréfutables, les vieux ne sont pas placés à la même enseigne et ne font pas l’objet d’une réserve honteuse comme c’est le cas en Occident chrétien. Je me rassurai un tant soi peu : le paramètre culturel tenait bon.
En Afrique nous voulons aussi le développement, le progrès, l’émergence tout ce qu’on veut. Mais pourvu que le paramètre culturel tienne la route et fasse à terme, sur cette question particulière de notre rapport aux vieux, la différence entre l’Occident et nous. Sinon, pour parodier le vieux Hampâté Bâ, ce n’est plus seulement une bibliothèque qui brûlera à la mort d’un vieillard en Afrique, mais tout un hôpital psychiatrique !
Binason Avèkes
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