Éloge des Vétérans
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Dans ta dernière lettre, tu me demandes si l'inexpérience de Yayi Boni qui va de pair avec l'orchestra-tion du culte de sa personnalité ne vont va pas nous coûter cher. Et je te réponds sans ambages : oui, elle va nous coûter cher, elle nous coûte déjà très cher !
Cher ami, pendant les élections de mars 2006, les discussions, tu t'en souviens, se sont souvent cristallisées concentrées sur la thématique de « génération spontanée » en politique. Il y avait ceux qui pensaient que pour faire du neuf, il fallait du sang neuf ; et ceux qui, le tenant pour un axiome, répétaient sans arret à l’envi qu’il n’y avait pas de génération spontanée en politique. Il est vrai que l’histoire regorge d’exemples de Révo-lutions, fomentées par des hommes du sérail dans le but de contenir la foudre houle populaire, mais qui se voyaient ensuite balayés par leur irrésistible tsunami...
Au Bénin, en 2006, même si les partisans de la thèse « spontanéiste » – ceux qui ont transformé l’axiome négatif en théorème positif – ont eu empiriquement raison, il reste que ce triomphe miraculeux est sujet à caution. En effet, comme tu peux le constater toi-même, à l’expérience le théorème n’est pas aussi positif qu’il y paraît, et ce au moins pour deux raisons. D’une part, la figure nouvelle émergente est au mieux un cheval de Troie d’une armada de vieux corsaires de la politique déguisés en prudes bateliers du Changement ; d’autre part parce que le nouvel héros de cette geste spontanée cache des motivations adventices qui démontrent le bien fondé de l’axiome.
Au demeurant, l’erreur était logique : elle a été de présenter le danger sous forme d’axiome, au lieu de le présenter sous une forme hypothétique. C’est-à-dire qu’au lieu de dire « En politique, il n’y a pas de génération spontanée », il aurait été plus conséquent de dire « En politique, toute génération spon-tanée est un dangereux boomerang. » C’est ce qui est illustré par la gouver-nance scabreuse de Yayi Boni dont, comme tous les Béninois sensés, tu es fondé à te plaindre. Une gouvernance virulente qui foule obstinément aux pieds les règles les plus vitales de la Démocratie ; une gouvernance qui révèle trahit de sérieux vices cachés : ceux d’un homme complexé, terrible-ment obsédé par son ego, son propre culte et sa gloriole avant de l’être, – pour autant qu’il le fût jamais – par le bien du Peuple qui l’a élu sans se douter que la nouveauté de l’« Obscur Inconnu » se paierait au prix fort d’une idiosyncrasie monstrueuse. Or donc, cher ami, nous voilà dans l’idiotie à l’état pur ; idiotie d’un Chef homme aveuglé de soi et qui, à l’instar de ceux qui le soutiennent, ne conçoit de la politique qu’un moyen de réalisation de son propre success story, dans le plus grand mépris des attentes du Peuple qui sont secon-daires, et peuvent attendre. Idiotie d’un homme pour qui les attentes légitimes du Peuple sont au mieux le prix illusoire fictif à payer pour sa gloriole. Idiotie d’un homme soi-disant politique mais dont le seul programme politique est lui-même !
Mon cher Pancrace, tu seras, j'en suis sûr, bien d'accord avec moi pour dire qu'en politique plus qu'ailleurs il ne faut jamais donner le Bon Dieu sans confession. A mon sens – et ce que je dis-là n'engage que moi – l'homme qu'il aurait fallu élire en 2006, ce n'est pas comme l'estimait une certaine opinion, un novice ou un inconnu au bataillon politique. Car, outre qu'il n'est pas expérimenté, l'inconnu n'est pas blanc comme neige ; de plus, il peut potentiellement avoir abriter des défauts vices qui n'attendent que l'accession au pouvoir pour s'actualiser. L'histoire politique du 20ème siècle regorge d'exemples d'obscurs inconnus idéalisés, qui ont su cacher leur dangerosité potentielle jusqu'à leur prise de pouvoir pour se révéler ensuite dans toute la virulence de leur folie, l'éclat la quintessence tragique de leur barbarie. " Donnez le pouvoir à un homme, et vous connaî-trez sa vraie nature." dit l'adage. C'est le mantra politique de l'ouvrier du Brésilien Geraldo, tu te souviens, cet ouvrier de chez Ford qui a fait un tour du monde sur le thème de la corruption... En dépit de la faillite mo-rale de la classe politique béninoise, vois-tu, cher ami, l'homme idoine pour redresser la situation devrait être plutôt un vétéran susceptible de se distinguer des autres. Oui, quelqu'un qui, parce qu'il est sorti du lot, pourra conduire les destinées du pays de façon contrac-tuelle honnête vers le Cap de bonne espérance souhaité par tous le Peuple.
Face aux cafouillages et à la gouver-nance scabreuse de Monsieur Yayi Boni, face aux inquiétudes que soulève son obsession de conserver le pouvoir au mépris de toute justifica-tion objective, force est de reconnaître la sagesse du choix d'un vétéran. En effet, à condition et parce qu'il a décidé en son âme et conscience de sortir du lot, un vétéran, qui a fait ses preuves et connu des épreuves, ne manifesteraient pas un désir une exigence de reconnaissance aussi pathétique qu’indue ; il ne serait pas à ce point en attente manque de notoriété et n’utiliserait pas toute son industrie et les moyens de l’Etat à cet effet. Ce genre d’obsession de soi est bel et bien le vice caché de la généra-tion spontanée en politique. Un vice qui, comme on tu le vois, fait peser sur la Démocratie béninoise en gesta-tion un danger léthal, et confronte le Renouveau démoncratique démocra-tique à une régression historique dont elle aurait pu faire l’économie.
De ce point de vue, Cher ami, je pense que ton analyse et ta préoccupation sont fondées. L'avenir sourit à ceux qui savent attendre, dit-on. Malgré les risques qu'encourt la Démocratie béninoise, malgré le coût exhorbitant de l'aveuglement autocratique de Yayi Boni, le Peuple Béninois saura à son heure corriger le tir. Il faut faire confiance à son intelligence politique qui, plus d'une fois, a déjà fait des miracles merveilles... Tel n'est pas le cas de mon acuité politique que trahit l'impertinence de mes explications ; mais ton amitié saura, j'en suis sûr, en pardonner les insuffisances.
Très amicalement,
Binason Avèkes
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