Yayi Boni en son Royaume Rikiki
Dans mon rêve, Yayi Boni a acheté un domaine d’une dizaine d’hectares qu’il a entouré d’un haut mur fortifié, dans les environs de Tchaorou.
Dedans, il a érigé un palais somptueux, tracé des routes aux abords électrifiés, construit des édifices administratifs royaux, une Place des Fêtes immense, et bien d'autres infrastructures...
Dans ce nouveau royaume sorti de terre en quelques mois, le roi a engagé tout une foule de sujets : marcheurs, démarcheurs, arqueurs et arnaqueurs qui marchent, démarchent, arquent et arnaquent du matin au soir ; des griots qui griottent en compo-sant des dithyrambes à la gloire du souverain des lieux ; des Zémidjan qui sillonnent les rues vêtus d’uniforme à l’effigie de leur saint patron ; des journaux qui de leur une à la dernière page ne parlent que des bienfaits infinis et des promesses à venir du Roi Yayi Boni ; des militaires qui restent au garde à vous toute la journée et qui tirent par-dessus les murs pour tenir à distance les ennemis imaginaires du royaume ; une grande église évangélique qui dans ses sermons a substitué allègrement le maître des lieux au fils de Dieu... Et bien d’autres choses merveilleuses dans cet écrin de 10 hectares plein à craquer de courtisans joyeux et rompus au culte du Tout Puissant Roi Yayi, envoyé de Dieu et Messie d’une tribu de zélateurs professionnels.
Tout marchait bien dans ce petit Royaume de Tchaorou, fermé sur lui-même. Mais non loin de la place des Fêtes du Royaume se trouvait un baobab. Sur cet arbre plusieurs fois centenaire, est venu se poser un perroquet facétieux. Les soirs, alors que les griots de nuit chantaient les louanges du Roi, on pouvait entendre par-dessus le tumulte terrien de leur louange la voix aérienne du perroquet. « Pauvre Yayi, ton Royaume est Rikiki ! », disait-elle. La parole du perroquet portée par le vent ne tarda pas à parvenir aux oreilles des louangeurs et des griots qui, agacés, ne surent pas où mettre de la tête. Ils n’avaient alors de cesse d’étouffer ce cri ténu qui les empêchait de griotter en rond. Pour parvenir à leur fin, et surtout faire en sorte que rien n’entachât la réputation sourcilleuse de leur Roi bien-aimé, les griots inquiets tentèrent d’ensevelir le cri de l’oiseau dans leur vacarme laudateur. Mais rien n’y fit, chaque fois que le cri moqueur de l’oiseau se faisait entendre dans le ciel, il se répandait aux quatre coins du royaume et rien ne pouvait l’arrêter. Repris en écho, le cri sifflait aux oreilles des griots, des badauds, et de tous les sujets du royaume, et faisait des vagues comme une pierre jetée dans une mare stagnante.
Les tout premiers jours, la hantise des griots était que le cri moqueur de l’oiseau téméraire n’arrivât aux oreilles du Roi Yayi. Tout le monde savait que le roi, qui ne tolérait pas la moindre égratignure à son amour propre, n’aurait pas goûté une telle plaisanterie, dût-elle émaner d’un oiseau facétieux. Aussi, les griots déployèrent-t-ils toutes sortes de ruses pour l’étouffer. Mais malgré leurs stratagèmes, ils n’y arrivèrent pas avant que n’arrivât ce qui devait arriver. Lorsque la Roi Yayi qui régnait d'une main de fer sur son royaume de 10 hectares tout dédié à ses louanges entendit le cri moqueur de l’oiseau, il piqua une grosse colère et exigea qu’on l’abattît sans autre forme de procès. Alors les militaires, les policiers et les soldats, tout à sa botte accoururent avec leurs armes et les pointèrent vers la frondaison du vieux baobab... A l’ordre du Roi qui s’était lui-même porté sur les lieux pour punir l’oiseau téméraire, les hommes en arme firent feu. Les balles par milliers foudroyèrent le feuillage du babobab et allèrent se perdre dans le ciel étoilé. Le baobab gémit et des larmes de feuilles tombèrent par milliers à son pied. Ses branches et son tronc robuste étaient criblés de balles. On vit tomber au pied de l'arbre une demi-douzaine d'oiseaux innocents qui ne faisaient que passer dans les alentours. Ces pauvres oiseaux n'y étaient pour rien dans le cri moqueur qui hantait le Roi, mais ils moururent sacrifiés à sa sainte colère. De l'oiseau farceur lui-même on ne vit pas un seul duvet. Pour toute réponse à cette démonstration de force, le temps que la poudre des canons se refroidisse, on entendit résonner dans le ciel le même cri moqueur du perroquet facétieux : « Pauvre Yayi, disait-il avec une ardeur redoublée, ton Royaume est vraiment Rikiki ! » Dans le ciel, le cri moqueur retentit et se répandit aux quatre coins du royaume et au-delà. Furieux, le Roi ordonna alors à ses soldats de tirer partout dans le ciel. Les soldats, bavant de servilité s'exécutèrent promptement, mais ce fut en vain, car l’oiseau rapide comme l'éclair et facétieux se jouait des balles. Et le Roi devint fou de colère. Dans sa colère, il s’en prit à ses soldats qu’il traita de tous les noms d’oiseau, à l’exception bien sûr de celui de perroquet.
C’est alors qu’on me fit venir je ne sais trop comment – mystère des rêves – sur ordre du roi, en ma qualité de tireur d’élite du Général E.E., ex-tyran sanguinaire d’un pays voisin dont je serais le garde corps. Depuis la mort de ce tyran, j’étais désœuvré. Et me voila, en pleine nuit dans ce petit royaume de poche au pied du baobab au-dessus duquel planait le perroquet moqueur. Et je pus entendre moi-même le cri de l’oiseau qui disait : « Pauvre Yayi, ton Royaume est Rikiki ! » Le Roi Yayi était là aussi tout en arme. Il m’accueillit personnellement avec force sourire et chaleur. « Ah, soyez le bienvenu, me dit-il. Ancien garde-corps du Général E. E. mon modèle en toute chose, vous êtes un grand tireur d’élite, et votre réputation est venue jusqu’à mes oreilles ! » Et aussitôt de planter une arme automatique entre mes mains et de me demander de tirer sur le perroquet. « Compte tenu de votre réputation me dit-il, vous n’avez pas le droit à l’erreur... sinon, vous subirez les foudres de ma divine colère... » Au début, je ne savais pas ce que le Roi Yayi appelait « les foudres de ma divine colère. » Je pensais que c’était une manière de m’encourager et c’était tout. Sur ces entrefaites, comme pour me faciliter la tâche, l’oiseau est venu se poser sur la branche la plus basse du baobab presqu’à la portée de mon arme. On aurait dit qu'il s'en donnait à coeur joie de me narguer moi aussi. Voudrait-il me ridiculiser moi un grand tireur d'élite qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Surpris et inquiet, je me posais des questions. Aussi, pour mettre fin à la farce, sans tarder, je pointai mon arme en direction du perroquet, armai, tirai avec sang froid et dextérité. Sûr de mon tir, j'attendais que l'oiseau projeté vers le ciel par la rafale, obéïssant aux lois de la gravité, bien décrite par Galilée, en vint à tomber au pied du baobab, raide mort et tout sanguinolent. Or, aussi incroyable que cela puisse paraître aux yeux de la foule des sujets médusés, qui attendait de voir la preuve de mon savoir-faire, une minute après mon tir, comme si de rien n'était, l’oiseau fit entendre à nouveau son cri moqueur : « Pauvre Yayi, siffla-t-il avec force, ton Royaume est absolument Rikiki ! » Ce dernier cri fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase de la colère divine du Roi. Les yeux fous, le Roi pointa son index accusateur vers moi : « Je sais, je sais, dit-il enragé, vous êtes de mèche avec l'oiseau et vous allez le payer au prix fort !» Et sans attendre son reste, le roi tourna machina-lement son fusil vers moi, visa mon coeur, arma et se prépara à faire feu. C’est le dernier cliquetis de l’arme qui me réveilla de mon sommeil. « Ah, dis-je en sueur, je l’ai échappé belle ! »
Maintenant que réveillé je pense à tout ça, je me demande si le royaume était aussi rikiki que le disait le perroquet facétieux, s’il avait seulement 10 hectares ou s’il n’était pas bien plus grand qu’il paraissait dans mon rêve...
Quel cauchemar, Dieu sauve le Bénin !
Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2008, © Bienvenu sur Babilown
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