J’ai reçu et lu avec intérêt le communiqué de l’Association des Contribuables du Bénin au sujet de la liberté de la presse au Bénin que tu as bien voulu m’envoyer. Ce sujet est très important et renvoie à d’autres faits déplorables, qui jour après jour, dessinent le tableau sombre d’une presse monotone et sans autonomie, réduite au rôle de caisse de résonance du pouvoir. Et en lisant le communiqué de cette association des contribuables, en considérant la menace de mort qui pèse sur l’indépendance des médias au Bénin, un proverbe qui avait intrigué mon adolescence collégienne me revient en mémoire et me fait, comme jadis, réfléchir.
Lorsque j’étais collégien, un Ghanéen, la trentaine, hantait les abords de notre collège de D., Il jouait son va-tout dans l’espoir hautement fantastique de se faire embaucher en direct live comme Prof d’anglais ; comme hélas c’en était aussi la coutume néfaste, il ne manquait pas de jeter un œil égrillard sur les jeunes filles en herbe et en uniforme. Au sortir du collège, on le voyait suscitant autour de lui un attroupement de jeunes, au milieu desquels il tenait cours et discours impromptus en anglais, s’il vous please, sur la politique ou le sport, qui étaient ses thèmes favoris. On l’appelait « Many Ways » parce qu’il avait coutume de dire sans arrêt : « There are many ways of killing cat »
Bien que je le tinsse pour un intrigant, son proverbe qu’il répétait à l’envi comme un bouddhiste un mantra, ne manquait pas de sens. Pour tout dire, il m’intrigua ; parce que dans mon jeune esprit, j’avais du mal à considérer la manière dans la mort ; seule la mort m’apparaissait comme le nez au milieu de la figure. La façon était dérisoire, presqu’un non-événement. Et vu qu’il n’y avait qu’une mort, le fait qu’il y eût, à en croire le proverbe, plusieurs façons de l’administrer à un chat me laissait pantois. J’imaginais toutes sortes de scènes de cruauté pour tester le proverbe. Je me voyais capturant le chat dans un sac de jute et l’étouffant ; je pouvais aussi l’assommer avec un gourdin ; je le poignardais à l’occasion après l’avoir piégé avec un morceau de poisson frit ; bref, je me consumais dans de multiples scènes d’horreur toutes plus raffinées les unes que les autres, juste pour donner corps et sens à ce proverbe. Et, à force de réfléchir sans fléchir, l’âge venant, j’ai commencé à donner à la mort comme à la vie, de l’importance dans la manière. Et peu à peu le proverbe du Ghanéen a cessé de m’intriguer ; mieux, il a fait son chemin en moi, et je l’ai digéré comme un boa digère sa proie bien des jours après l’avoir avalée.
Aujourd’hui, mon cher Pancrace, en songeant à la situation délétère de l’indépendance des médias dans mon pays, le Bénin, je me dis qu’on peut lui appliquer le proverbe du Ghanéen sans solution de continuité. C’est-à-dire que je me rends compte qu’il y a plusieurs façons de tuer l’indépendance des médias dans notre pays, et Monsieur Yayi Boni, le Président de la République en sait quelque chose. En l’occurrence, son pouvoir autocratique a au moins 3 façons de tuer la liberté de presse dans notre pays :
1/Intimidation, menaces et emprisonnement de journalistes
2/Vœux pieux et promesses fallacieuses de rapports civilisés avec les médias.
3/ Achat de conscience, docilité tarifée, mise au pas par prise en charge financière.
La première façon avait valu au Bénin de plonger dans les profondeurs du classement RSF 2007 de la Liberté de Presse ; mais le gouvernement qui veut avoir le beurre et l’argent du beurre, après avoir miroité les promesses d’un rapport civilisé avec la presse, s’est rabattu sans crier gare sur la troisième façon. Fidèle à son principe d’artefact, il a inventé la méthode subtile consistant à faire des omelettes sans casser des œufs. Cela suppose de mettre la poule sous perfusion et de tuer la liberté de la presse dans l’œuf, à l’étouffoir machiavélique de l’achat des consciences. Ni vu ni connu, le crime est presque parfait. La propagande sans complexe a subrepticement supplanté l’information plurielle, objective et professionnelle. A longueur de pages et de journées, des journaux, des télévisions et les radios d’Etat ou privés bernent et bercent leurs auditeurs spectateurs et lecteurs dans un climat de monolithisme idiot et passablement abêtissant. Toutes choses qui jurent avec l’ambition de faire du Bénin un pays émergent. Car, mon cher Pancrace, as-tu jamais entendu parler d’un pays qui émerge pendant que l’esprit de ses citoyens est submergé par le flot torrentueux de dithyrambes, d’incantations, d’invocations au culte de la personnalité, de billevesées et de plaisanteries lénifiantes ?
Non, bien sûr que non, cher ami. Comme je te l’ai souvent dit, l’émergence que nous appelons de tous nos vœux sera culturelle ou ne sera pas. Or celle-ci ne peut se faire que dans l’ouverture d’esprit, dans la pluralité, dans le débat ouvert et dans l’indépendance : celle des partis, notamment de l’opposition qui attendent patiemment que soient promulgué lueur statut ; mais aussi celle de la presse qui doit jouer son rôle dans l’éveil des consciences et l’information des citoyens sans contrainte ni subornation de la part du pouvoir.
Le fait que cette intervention émane de l’Association des contribuables du Bénin n’est pas anodin, car elle souligne une tendance funeste dans les mœurs du nouveau pouvoir. Celle qui consiste à mettre le contribuable à contribution sur des fronts budgétaires illégitimes, parce que découlant de décisions par trop régaliennes. Car si le mythe de la transparence oblige à mettre sur un compte ou un autre le coût faramineux de l’achat des consciences, tous ces milliards déversés au chapitre douteux de la Propagande du Changement, il reste que leur bien fondé n’a jamais été démocratiquement convenu, et qu’il relève d’un acte discrétionnaire du Chef. Tout cela confine au gaspillage effréné des ressources de la nation, car ce n’est pas parce qu’on confère un chapitre comptable aux dépenses qu’elles acquièrent de facto un statut de légitimité politique. Un gaspillage reste un gaspillage qu’il soit doté ou non d’un chapitre comptable. Il n’est qu’une forme rationalisée de corruption, ou une manière autoritaire de disposer du bien public. Pour le nouveau pouvoir nanti d’une solide culture de banquier, tout se passe donc comme si la corruption n’est qu’une dépense sans chapitre, et que dès lors qu’une dépense est dotée d’un chapitre, indépendamment du bien fondé de son usage, elle échappe de facto à la zone grise de la corruption. Or le gaspillage à l’instar de la corruption se transforme tôt ou tard en dette de l’Etat : un fardeau pour le contribuable.
Et oui, cher ami, comme pour tuer la liberté de presse, en matière d’endettement public, les nouveaux hommes au pouvoir ont plus d’un tour dans leur sac. Pour finir, parodiant le proverbial Ghanéen de mes années collège, je dirai, qu’il y a plusieurs façons de tuer le contribuable : par la corruption ou par le gaspillage autoritaire. Dès lors l’Association qui le représente a bien raison de monter au créneau : c’est son rôle. Quant à toi, je te remercie de m’avoir fait passer son communiqué. Ce faisant, tu es toi aussi dans ton rôle de patriote et d’ami…
Amicalement,
Binason Avèkes
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