Le Pique-boeuf et le Boeuf.
Si celui qui marche est un marcheur et celui qui guette un guetteur, en toute logique celui qui nomme devrait être nommé nommeur... Nommeur, le substantif n’existe pas mais il faudrait sans doute l’inventer pour Yayi Boni. Parce que ça lui va comme un gant. Au début de son mandat, en raison des audits, la question des nominations a trainé un certain temps au point même de susciter des inquiétudes chez les observateurs avisés. Mais les audits ont fait pschitttttt sur le plan éthique et juridique. Et peu à peu, le moteur du Nommeur s’est dégrippé ; il a commencé à tourner lentement mais sûrement. Après une fière montée en puissance, faites d’à-coups et d’accélération, il a atteint sa vitesse de croisière. Du coup, plus rien ne peut l’arrêter, entre mur du son et saute d’humeur, il s’emballe pour un oui ou pour un non. Le Conseil des Ministres est son éther préféré, le milieu où il réalise son meilleur rendement. Là s’opère une foultitude de nominations : les classiques et les originaux, les attendus et les farfelus, les utiles et les loufoques sans compter les pince-sans-rire et les vertes et des pas mures. Une bonne astuce pour augmenter la réserve de nomination c’est d’anti-nommer ou dégommer, – opération consistant à envoyer un Zinsou précédemment nommé aller se faire voir à Limoges et le remplacer par un Sagbo, nouvellement nommé ; ce qui en français se dit : « déshabiller Paul pour habiller Pierre ». En cette période prétendument de chasse aux corrompus – sorcières de notre temps –, les raisons ne manquent pas. Et les affaires du Nommeur marchent à merveille, son carnet de commandes est plein et son moteur tourne à plein régime. Il agit d’autorité, du haut de son piédestal régalien. De manière Démoncratique… ! On s’amusera à classer ses nominations en catégories, et à leur attribuer des intentions, des fonctions et des usages plus ou moins cachés. Entre truisme politique et échafaudage sophistiqué, on peut prêter au Nommeur tout et son contraire mais foin de coupure de cheveu en quatre : le Nommeur fait ce qu’il lui plaît. Aux dernières nouvelles son moteur a encore frôlé le mur du "çon", il a nommé un avocat pour porter sa parole.
— Un porte-parole, parce qu’il est muet comme une carpe ?
— Non, parce qu'à un économiste de formation, il sied d'économiser sa parole.
— Et alors, pourquoi un avocat, il se sent coupable ?
— Oh que non ! Seulement présumé innocent... Et n'oubliez pas qu'en démocratie tout homme à droit à un avocat…
Bien tout cela paraît fort compréhensible : désormais, le Président ne parlera qu’en l'absence de son avocat de sorte que rien de ce qu’il dira ne sera retenu contre lui. D’ailleurs les journaux avisés qui ne sont pas avares de mode d’emploi sur le sens des actions du Nommeur, susurrent déjà que cette nouvelle embardée du moteur nominal n’a rien d’exceptionnel, puisque disent-ils avec sérieux, une telle nomination est à l’image de ce qui se fait en France. Ah, la grande France ! Que ne nous sert-elle de modèle en béton dans notre volonté d'évoluer ! Dès lors que ça se passe en France, ça peut se passer chez nous…Eh oui, s’il n’y avait pas eu de « Porte-parole de l’Elysée », le Nommeur n’aurait pas été inspiré d’en nommer un chez lui. Bientôt, les journalistes, ces usagers grégaires de lieux communs, parleront de «Porte-parole de la Marina» et la boucle sera bouclée. Le Bénin et la France même combat ; la preuve, Philippe Troussier, l’homme qui a semé la zizanie dans toutes les équipes où il est passé, a été nommé pour conduire nos rongeurs agiles au combat de la Can 2008. On va se ronger les sangs, chronique d’une bérézina annoncée… Mais pas de quoi s’affoler, les nominations en foot font souvent double jeu. Si cela fait chic d’être à tu et à toi avec la grande France, de la Présidence jusque sur les terrains de foot, la petite France et son Troussier pourront le moment venu faire une belle tête de Turc ! Pas bête, le Nommeur…
Pas bête, d'accord, mais imiter, faut-il tout imiter ? Peut-on tout imiter ? La France vient de faire inculper son tout dernier ancien Président de la République : pouvons-nous en faire autant, nous qui nous targuons de l'imiter ? Le pique-bœuf peut-il imiter le bœuf ? Si oui, qu’il beugle ! En vérité tous ces signaux dérisoires et clins d’œil suborneurs savamment émis à destination de l’opinion, visent moins à imiter qu’à faire croire en l’existence d’une parité illusoire, sinon entre les pays, du moins entre leurs dirigeants. Mais cette légitimation exogène des actes du Nommeur, sous ses dehors bon enfant, est en soi un petit paradoxe, car elle va à l'encontre de sa posture régalienne. En plus, à terme elle bride le zèle mimétique du Nommeur lorsque la liste des analogies puisées chez le modèle s’épuise, vient à son terme civilisé…
Que fera le Nommeur si d’aventure lui prenait l’atavique désir de nommer un cireur de pompe au vrai sens du terme (car au sens figuré, ils existent déjà) ? Que fera-t-il s’il lui prenait l’envie de nommer un éventeur ? Ou même un teneur de crachoir ? Devra-t-il attendre que l’imprévisible Président Français, l’agité du bocal politique français nommât de pareils en son royaume avant de lui emboîter le pas comme un esclave à son maître ?
Bertin Aklon
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