Feuilleton
II
Puis quatre jours s’écoulèrent après la mort des deux panthères et le drame des morts qu’elles laissèrent derrière elles. Pendant ce temps, les média s’emparèrent de l’événement. Comme pour exorciser la peur ambiante, on célébrait la bravoure du Président tueur de Panthère. Le chef de l’Etat était consacré grand héros national. Les images du Président, fusil au point terrassant les bêtes qui hantaient la population s’étalaient dans tous les journaux ; la scène de l’expédition sécuritaire passait en boucle sur les chaines de télévision. Tout le pays était fier du Président Yayi Boni. Les commentateurs les plus avertis, remontant le plus loin dans l’histoire de notre pays ne trouvaient pas son pareil, en dehors de Béhanzin et de Bio Guerra. L’homme était venu au pouvoir de façon inattendue, comme un don de Dieu au Peuple pour l’aider à sortir de sa misère chronique. Ce salut qui était placé sous le signe du changement exigeait de lourds sacrifices. Il fallait revoir nos façons de travailler, et remettre au centre le principe de la responsabilité individuelle et collective en politique. La corruption qui avait jusque là gangrené l’économie devait être éradiquée. Si la politique était l’art de distribuer les honneurs et les profits, il fallait faire en sorte que désormais cet art ne soit pas le but de lui-même mais concourt d’abord et avant tout au bien-être du peuple, au progrès du pays. Ce qu’on appelait émergence dans tout le pays. Et le peuple attendait cela, espérait cela avec confiance sachant que le changement voulu par lui-même et mis en œuvre par son Président, était la dernière chance dans un pays où on avait tout essayé. Mais à propos du changement beaucoup de questions se posaient. Compte tenu de la pauvreté des masses due à la mauvaise gouvernance et à la corruption du régime précédent, il y avait des gens pour qui le changement signifiait sortir vite la tête du peuple hors des eaux infectes de la misère. Cette façon de voir les choses correspondait en image à l’idée d’émergence. C’est d’ailleurs ainsi que le Peuple l’entendait dans sa grande majorité. Mais d’autres pensaient que cette approche était vouée à l’échec. Ces derniers pensaient qu’en dépit de l’appel au changement individuel préconisé par le chef de l’état, tant que ce seront les mêmes personnes qui seront aux affaires, on risquait bientôt de se retrouver dans les mêmes marécages de la corruption, du népotisme et de la médiocrité source de nos échecs du passé. Selon eux, il fallait donc un changement radical. Ce qui voulait dire que, à l’instar du Renouveau démocratique, le Changement devait être conçu comme un Renouveau éthique. Et aux yeux de ces fondamentalistes, le Renouveau éthique primait tout le reste, car tant que les hommes, les mœurs et les pratiques n’avaient pas changé le changement qui était sur toutes les lèvres serait un vœu pieux. Or entre ces deux positions opposées, il y avait place à une synthèse : c’est l’idée que la cure morale seule ne peut nourrir le peuple et qu’il fallait trouver la formule susceptible d’engager de front la Rénovation éthique et le décollage économique du pays de sorte que l’un serve l’autre et réciproquement. Etait-ce cette formule que le Président avait choisi d’appliquer sans le dire ? Comme l’homme n’était pas grand faiseur de discours mais préférait faire parler ses actes, le Peuple qui avait choisi son parti dans ce débat, suivait les faits et gestes de son Président en toute confiance. Et au fil des mois, cette confiance ne se démentait pas. Or, voilà qu’à l’image du Président actif s’ajoutait maintenant celle du Président tueur de Panthère. C’est-à-dire en somme l’image d’un Président protecteur de son peuple. L’affaire avait vite pris une tournure internationale. Les pays frontaliers du Bénin craignaient que cette histoire de panthère ne déborde sur leur territoire. Mais le mal semblait circonscrit ; comme l’événement avait un caractère occulte, les pays voisins se sentaient plus ou moins à l’abri d’un fait qu’ils tenaient pour typiquement propre au pays du vodou. La fébrilité des médias béninois avait fini par donner à l’affaire une dimension mondiale. Ainsi, en dehors des pays africains, l’événement attira l’attention des Occidentaux, Europe, Amérique, Japon, Australie. Dans ces pays, les médias relayèrent la mort des panthères. L’opinion occidentale était partagée entre exotisme et consternation. En Europe, les associations de défense des animaux, au mépris des impératifs de sécurité des Africains, exprimaient leur scepticisme et s’insurgeaient contre ce que certains qualifiaient de mise à mort rituelle à des fins politiques. Mais les Béninois, médias, milieux politiques et opinion méprisaient cette vision facile des choses qu’ils jugeaient passablement bourgeoise pour ne pas dire raciste ; ils vivaient l’exploit de leur Président comme le signe emblématique de son pouvoir prophétique de changer leur destin.
Nous en étions là lorsque quatre jours après le geste héroïque du Président, à Porto-Novo, on signala la présence de quatre panthères identiques en tout point aux deux tuées, à ceci près qu’elles étaient deux fois plus robustes que les précédentes et dépassaient en taille même de grands ours. Pour des panthères, c’était du jamais vu. Certains biologistes et mathématiciens émirent l’hypothèse savante de ce qu’ils appelaient un « clonage homothétique exponentiel » ; mais à ces mots obscurs on aurait pu ajouter aussi ceux de « panthère à réaction » car une chose était sûre, cette nouvelle apparition de panthères était bel et bien une réaction à la mort des premières. Et du reste les désignations scientifiques, aussi ingénieuses soient-elles, ne disaient rien sur l’origine de ces panthères qui continuaient de faire des ravages dans le pays. En effet, comme il fallait s’y attendre, la découverte s’était signalée par un carnage. Les quatre panthères avaient fait leur apparition aux quatre coins du marché de Djassin vers les environs de dix heures. Et, aux dires des témoins et rescapés du drame, ils s’étaient jetés sur la foule des marchands et acheteurs, pris en tenaille, massacrant des dizaines d’hommes et de femmes, déchiquetant les chairs et faisant valser les têtes de-ci de-là. Et, cerise sur le gâteau, comme lors de la dernière attaque de panthères, elles avaient épargné les enfants d’un certain âge pour lesquels elles débordaient d’une tendresse d’autant plus paradoxale, qu’elles venaient de tuer leurs mères et pères avec une bestiale sauvagerie. Les Forces de sécurité ayant été appelées à la rescousse, les quatre félins monstrueux se replièrent du côté d’un petit marigot dont les eaux s’enfonçaient dans les futaies pour rejoindre un affluent de l’Ouémé. Là, elles se désaltérèrent abondamment comme si le sang des humains qu’ils venaient de boire n’avait pas étanché leur soif. Un peu avant le marigot, se trouvait une place circulaire qui servait d’annexe au marché et où les vendeuses de poissons attendent le retour des pêcheurs. Quelques heures après le carnage, la place était prise d’assaut par les badauds. La foule, nombreuse, débordait jusque dans la brousse. Une partie de ce monde venait de Porto-Novo et une plus grande encore de Cotonou. Les services sanitaires et de sécurité ayant crée un cordon sanitaire autour du marché, la foule avait fait un large détour pour envahir la place et la brousse environnant le marigot. Les médias qui ne tarissaient pas de commentaires sur l’exploit du Président dans la forêt de Calavi avaient coup sur coup annoncé le drame et l’arrivée du chef de l’Etat à la tête d’une nouvelle expédition encadrée par un détachement de militaire en arme. Cela expliquait toute cette fièvre de la foule qui avide d’assister à un nouvel exploit du Président, semblait ne plus se soucier du carnage et des restes de corps humains qui exhalaient tout autour un relent fétide. L’arrivée du Chef de l’Etat fut annoncée par des sirènes. Lorsque le Président fit son apparition, les forces de sécurité lui ouvrirent un passage dans la foule et le conduisirent jusque devant le marigot où les panthères avaient disparu. Comme s’il était un personnage monté sur scène et que toute la place eût été un théâtre bondé, le Chef de l’Etat déclencha aussitôt une ovation collective. « Yayi le Magnifique ! Yayi le Courageux !» criait la foule en applaudissant à tout rompre. Le Chef de l’Etat laissa la foule à sa joie un certain temps, puis lorsqu’elle se calma, il salua d’un large geste de la main avant d’entrer en conciliabule avec les forces de sécurité. Le Président étant lui-même en tenue militaire, la foule avait du mal à le distinguer des autres généraux. Mais lorsque arme au point, chaussé de hautes bottes noires, le Chef de l'Etat entra dans le marigot accompagné par une escouade de militaires armés, la foule n’eut aucun doute sur l’identité de celui qui menait l’opération. Alors, elle reprit de plus belle son ovation et ses cris : « Yayi le Magnifique ! Yayi le Courageux !» Le sous-bois qui entourait le marigot était sombre, et le sentier qui conduisait vers l’affluent était étouffé par les herbes. Le Président et ses hommes avançèrent à pas lents et mesurés dans l'eau ; au bout d’une dizaine de mètres, ils débouchèrent sur une étendue plus vaste et éclairée. C’était là que les quatre félins avaient trouvé refuge. Le bras de marigot étant en courbe et le sous bois obscur, le Chef de l’État et sa suite se trouvèrent seuls dans un face à face dramatique avec les félins. Mais les clameurs de la foule et ses encouragements atténuaient leur isolement dramatique. Aussitôt qu’ils virent les hommes, les panthères dont les têtes étaient jusque là à ras disparurent au fond de l’eau. Et, comme l’ombre portée des hautes herbes qui recouvrait la surface de l’eau se mariait au noir de leur robe, elles restèrent invisibles. Le Président et ses hommes attendirent dans une relative incertitude.
Par Bob Akanmoun
A suivre...
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