A un moment où l'Académie royale de Suède met en lumière les nouveaux lauréats du Nobel, et qu’en France une loi vise à soumettre les candidats à l’immigration à un test ADN, la déclaration sur l’inintelligence relative des Africains faite par Monsieur Watson ancien prix Nobel et découvreur de l’ADN, résonne de façon sinistre dans les esprits. Même si la reconnaissance du lauréat connote son intelligence, par le jeu des déterminations, le Prix Nobel reste quand même une récompense de pays riches. Du reste, la notion d’intelligence est beaucoup moins simple qu’il y paraît. L’intelligence est une performance de culturel et de biologique. L'inspiration raciste des déclarations du sieur Watson ne fait aucun doute. En effet, pourquoi dans ses études et hypothèses comparatistes, Watson ne s'intéresse qu'aux Noirs ? Pourquoi ne tourne-t-il pas son regard de scientifique vers les Chinois qui sont à la mode en ce moment ni vers les Indiens ? Du reste, si l’intelligence est la capacité historique d’avoir réduit en esclavage, violé, malmené, acheté à une échelle industrielle et sur plusieurs siècles des êtres humains au motif qu’ils ne nous ressemblent pas, alors les Africains ne sont certainement pas intelligents… ; Si l’intelligence exclut le fait qu’une race, une nation ou un continent génère des dirigeants qui sont partie prenante et complices du pillage programmé de leurs ressources naturelles et humaines par d’autres alors évidemment les Africains ne sont pas intelligents… Au demeurant, le soupçon de l’inintelligence relative du Noir peut revendiquer des racines africaines. Car quoi lorsqu’un Léopold Senghor dit : « La raison est hellène et l’émotion nègre » que dit-il d’autre dans ce partage des aptitudes naturelles sinon la même chose que Watson mais en moins génétique ? Wole Soyinka a dit à juste titre : « le tigre ne proclame pas sa tigritude mais il saute sur sa proie et la dévore. » Dans le monde global qui est le nôtre, et eu égard à notre histoire, nous devons prouver l’intelligence en acte, pas en vaines paroles. |
Oui, mon cher Pancrace,
Comme toi, j’ai lu la déclaration faite au « Sunday Times » par Monsieur James Watson et dans laquelle le vieux Nobel de l’ADN disait :"Toutes nos politiques d'aide sont fondées sur le fait que l'intelligence [des Noirs] est la même que la nôtre, alors que tous les tests prouvent le contraire". Et, comme tu peux t’en douter, mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai lu qu’il disait en substance que : « Les Africains sont moins intelligents que les Européens » et qu’il était "fondamentalement pessimiste quant à l'avenir de l'Afrique".
Et oui, à un moment où l'Académie royale de Suède met en lumière les nouveaux lauréats du Nobel, et qu’en France une loi vise à soumettre les candidats à l’immigration à un test ADN, ce genre de déclaration de la part d’un ancien prix Nobel, découvreur de l’ADN, résonne de façon sinistre dans les esprits. Le rapport entre intelligence et Nobelité est en soi sujet à caution. En dehors du Nobel de la paix qui est le seul domaine où la reconnaissance est indépendante de l’origine nationale du lauréat, le Prix Nobel, par le jeu des déterminations, reste quand même une récompense de pays riches. Or, à partir du moment où, rapporté aux individus, le prix Nobel connote la reconnaissance d’une certaine intelligence, on comprend le crédit qui peut être accordé aux déclarations d’un ancien lauréat sur le sujet de l’intelligence. Mais la notion d’intelligence est beaucoup moins simple qu’il y paraît et n’est pas soluble dans des déclarations à l’emporte-pièce, fût-ce même celles d’un découvreur de l’ADN. L’intelligence est une performance mixte d’inné et d’acquis, de culturel et de biologique. L’intelligence individuelle n’est pas la même que l’intelligence collective. Et, à ma connaisance, il n’y a pas de gène de l’intelligence collective.
De toute façon, je n’ai aucun doute sur l'inspiration raciste des déclarations du sieur Watson. Il va sans dire que le manichéisme délirant décrié par Frantz Fanon est bien à l'oeuvre dans le cas d'espèce, avec un aspect de fixation culturellement déterminé. En effet, pourquoi dans ses études et hypothèses comparatistes, Watson ne s'intéresse qu'aux Noirs ? Pourquoi ne tourne-t-il pas son regard de scientifique vers les Chinois qui sont à la mode en ce moment ni vers les Indiens ? Lorsqu'en 2000, il émet une sombre hypothèse sur le lien entre la couleur noire de la peau et l'intempérance sexuelle pourquoi n'a-t-il en pensée que les Africains, alors que dans le vaste monde ceux-ci n'ont pas le monopole de la peau noire ? Et pourquoi, dans une même société, ne se hasarde-t-il pas à émettre le même type d'hypothèse en se basant sur la couleur des cheveux ? Dans une démarche saine, un scientifique digne de ce nom ne ferait pas tout le temps une fixation sur une race. En l'occurrence, un scientifique honnête émettrait une hypothèse sur la détermination ou la relativité de l’intelligence sans privilégier une origine ethnique ou géographique donnée. A moins qu’à l’ombre de sa notoriété scientifique Monsieur Watson ne soit en train de suivre la démarche de ces météorologues qui, incontinents, donnent le temps en regardant par la fenêtre. On n'a pas besoin d'avoir le prix Nobel pour débiter des lieux communs ; penser que ceux qui sont riches et dominants sont plus intelligents que ceux qui sont appauvris et dominés. Ce genre de prénotion est à la portée du premier raciste venu...
Cela étant dit, et parce que cela est dit, mon cher Pancrace, dans le tollé suscité par les déclarations de Monsieur Watson, je trouve qu’on s’est un peu emballé sans faire de nuance. En effet, pourquoi faire tant de cas de l’opinion de cet homme sans savoir ce qu’il a voulu dire exactement ? Est-ce que le grand bruit qui est fait sur ce sujet ne donne pas raison à celui dont on fustige les propos, dans la mesure où tout ce charivari peut cacher une manipulation ? Pourquoi les médias et les bonnes consciences occidentaux jouent-ils à ce point à l’indignation alors qu’à propos des Africains et de leur intelligence, à ne voir que la manière dont l’Afrique est perçue et traitée sans discontinuer par les Européens depuis des siècles, on ne peut pas dire qu’ils n’en pensent pas moins ? Pourquoi aborder avec des préjugés les propos d’un homme qui ne fait que dire tout haut les préjugés du groupe auquel il appartient ? Indépendamment des déterminants ou des critères de l’intelligence, il y a bien des cultures qui ne valorisent pas l’intelligence ! Donc vu d’une certaine manière ce débat est biaisé d’entrée.
C’est pour cela que, mon cher Pancrace, au risque de te choquer, moi j’affirme que :
Si l’intelligence est la capacité historique d’avoir réduit en esclavage, violé, malmené, acheté à une échelle industrielle et sur plusieurs siècles des êtres humains au motif qu’ils ne nous ressemblent pas, alors les Africains ne sont certainement pas intelligents… ;
Si l’intelligence consiste à ne rien renier à cette barbarie mais n’y renoncer qu’en apparence pour lui substituer des formes subtiles tout aussi inhumaines alors oui les Africains ne sont pas intelligents ! … ;
Si l’intelligence est la capacité d’inventer des armes susceptibles de détruire toute la planète, de créer une industrie qui nuit à l’environnement et met en danger la vie sur terre alors oui les Africains ne sont pas intelligents… ;
Si l’intelligence consiste à décider de façon arbitraire de rayer de la carte des nations celles qui ne pensent pas comme nous, ou qui n’ont pas la même religion judéo-chrétienne que nous alors les Africains ne sont pas intelligents… ;
Si l’intelligence consiste à protéger les ressources de son sous-sol et à ne pas les laisser piller par le système capitaliste qui domine le monde, alors les Africains ne sont pas intelligents... ;
Si l’intelligence consiste à ne pas avoir la peau noire, les cheveux crépus et le nez épaté, alors les Africains ne sont pas intelligents… ;
Si l’intelligence consiste à ne pas laisser piller ce qu’on a de meilleur pour ne recevoir en retour que ce que les autres ont de médiocre, alors les Africains ne sont pas intelligents… ;
Si l'intelligence consiste à éviter la prise de pouvoir systématique et la gestion des affaires de la cité par une minorité foncièrement incompétente, aveugle, cupide, stupide, inculte et médiocre alors les Africains ne sont pas intelligents... ;
Si l’intelligence exclut le fait qu’une race, une nation ou un continent génère des dirigeants qui sont partie prenante de l’esclavage de leurs congénères et se portent spontanément complices du pillage programmé de leurs ressources naturelles et humaines par d’autres qui en retour n’ont pour eux que condescendance, mépris et haine, alors évidemment les Africains ne sont pas intelligents. N’est-ce pas Monsieur Watson, élémentaire...
Au demeurant, cher ami, le soupçon de l’inintelligence relative du Noir n’est pas l’apanage du seul vieux prix Nobel. Ce soupçon peut revendiquer des racines africaines. Car quoi lorsqu’un Léopold Senghor dit : « La raison est hellène et l’émotion nègre » que dit-il d’autre dans ce partage des aptitudes naturelles sinon la même chose que Watson mais en moins génétique et en plus servilement poétique ? Dès lors on pourrait presque dire :"Watson, Senghor, même combat ! "
Mais, ne poussons pas le bouchon trop loin. Car il existe une différence entre Watson et Senghor, et celle-ci n’est pas négligeable. Dans sa commisération suspecte Monsieur Watson se dit profondément pessimiste pour l’avenir de l’Afrique. Peut-être le vieux Nobel blanc milite-t-il pour une affirmative action planétaire en faveur des Africains. Dès lors, la question peut se discuter ; puisque ce ne serait qu’une autre façon de poser le problème de la réparation des torts historiques subis par l’Afrique et qui en partie rendent raison aujourd’hui de son arriération. Dans ce cas, pourquoi Watson se cache-t-il derrière son petit doigt ? Culpabilité judéo-chrétienne ? Or quant à Senghor, on peut le traiter de tous les noms, une chose est sûre, c’est qu’en ce qui concerne l’avenir de l'Afrique, on ne peut pas dire qu’il fût un pessimiste forcené … Entre Watson et Senghor, s'étend le grand fossé qui sépare la haine et l’Amour…
Enfin, mon cher Pancrace, j’espère que tu ne me tiendras pas rigueur de la suspicion dans laquelle je tiens tout ce débat. Et, après avoir cité Senghor, je citerai volontiers un autre africain, Wole Soyinka, rare prix Nobel Noir d'Afrique, qui a dit : « le tigre ne proclame pas sa tigritude mais il saute sur sa proie et la dévore. » Les Africains ne doivent pas perdre leur temps à discuter de l’égalité ou de l’inégalité relative de leur intelligence avec qui que ce soit. Au contraire, dans le monde global qui est le nôtre, et eu égard à notre histoire, nous devons prouver l’intelligence en acte, pas en vaines paroles. Nous devons la prouver en nous et pour nous. Voilà tout le mal que je pense des propos du sieur Watson. En somme pas grand-chose, hein ? Et j’espère que tu ne m’en tiendras pas rigueur.
Cordialement,
Binason Avèkes…
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