ou Eloge du Noir
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2. Petty Racism
Fa entra dans le café à clientèle affable, comme il le supposait. Il venait de chez l'épicier asiatique, après un détour au kiosque. Bardé de journaux, il avait parcouru quelques lignes de « Libération » puis du « Monde » pour savoir si son article sur Nelson Mandela y était publié. De toute évidence il ne l'était pas… Ses articles n’étaient pas souvent publiés, mais les journaux donnent toujours une raison à leur forfait. Les gens n’aiment pas que les Noirs parlent des Noirs…se disait-il. Nelson Mandela est déjà trop grand pour être laissé à un Noir. Il faut un bon Blanc pour en parler. Contre apartheid, apartheid et demi…
Lorsque Fa entra dans le café qu’il croyait « tolérant », il commanda un express. Après quoi, il se mit à feuilleter les pages intérieures du Monde pour voir... Rien, il plia le journal, attendit son express, en restant debout au bar.
Tout autour, il y avait une ronde de gens en conversation : une jeune fille que Fa voyait de profil qui avait bien l'air d'origine maghrébine, un jeune homme peu disert derrière lui, à l’opposé de la fille. Deux hommes au milieu, des Français, vieux loups de mer, menaient la discussion. Fa avait déjà l’air trop sérieux pour un Noir : épais manteau, complet veston, cravate, écharpe précieuse, lunettes claires et pour couronner le tout, il avait le culot, dans cette escouade de brutes, de lire un journal. Le signal persifleur partit de l'arrière, du côté du garçon qui ne disait rien. Que lui trouvaient-ils de ridicule? Son air sérieux ? Etait-il à ce point à côté de la plaque ? Ah, il n'était pas dans son rôle de Noir ? Il en faisait un peu trop ? Ou, était-ce cette rapidité qu’il mettait à avaler une tasse encore chaude ?
Toujours est-il que, individu discret par nature, Fa devenait le ciment de leur lien mort qui revivait par-delà ce qui lui était reproché, à travers le fait même de sa présence : des sourires s'échangeaient, des sourires convenus. Les gens revivaient dans une unité soudain ressuscitée, et dans son existence même, on procédait selon des codes secrets à une mise à mort de ce qu’il pouvait avoir de non attendu...
Mais zut, sous ce ciel pâle, depuis des années, le Noir que Fa était a-t-il jamais été attendu, a-t-il jamais fait l’objet d’une attente digne de ce nom ? Le champ magnétique du racisme embrasse tous les univers, tous les microcosmes. Parfois comme là, c'est à travers une cascade d'imbécillités qu’il s'exprime. Ce qu’on appelle petty-racism dans le pays de Mandela. Ce rituel, qui eut le don de troubler Fa avait d'étranges allures de cannibalisme.... Qu’est-ce que ces gens peuvent lui apporter ?
Sachant que l'être humain a besoin de l'autre pour se sentir en confiance, le voilà transformé en objet extérieur de fusionnelles retrouvailles. Les choses sont ainsi. Les gens se moqueront de vous parce qu'on suppose qu'il y a un rayon d'attitudes hors duquel vous n’êtes ni attendu ni entendu. Hors de ce cercle, point de salut, vous devenez ridicule ; et ceux qui fêtent leurs retrouvailles sordides sur votre dos n'ont aucun compte à vous rendre... Mais ce qui est certain, c'est cette étourdissante imbécillité dans laquelle les gens sont pour ainsi dire figées et qui fait que, lorsque l'autre sort du cercle restreint de rôles qui lui est dévolu, il devient l'objet du sarcasme convenu des "bonnes gens" : venimeuse engeance si sûre de son rôle, si sûre de la place des uns et des autres, si sûre de sa normalité, et en même temps si heureuse de l’assumer telle qu'elle tombe sous le jour évident de sa conscience étriquée et de son esprit crasseux, dans le regard stupide qu’elle jette sur le théâtre où se joue le drame d’un cannibalisme aveugle, parce que s’ignorant comme tel.
Félix Zomalèto
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