16. Les dernières nouvelles de Léa
A mon retour à l’hôtel, j’ai mangé. Après, je me suis couché pour me reposer un peu mais le sommeil a pris le dessus pendant un bon moment. Il était dix-sept heures trente quand je me suis réveillé et comme j’étais en retard au rendez-vous de Monsieur Conan, j’ai téléphoné à sa boutique et je voulais lui présenter mes excuses mais il a dit : « Vous inquiétez pas, Monsieur
Kpossouvi, nous n’avons plus besoin d’aller à la bourse. » J’ai dit : « Ah, bon ? » et Monsieur Conan m’a dit qu’il avait réussi à avoir Monsieur Dubosc du Palais Brongniart au téléphone et c’était un Belge et il ne connaissait pas le maître de Joko. Et il a ajouté : « Les Dubosc c’est une grande famille, vous savez » Quand Monsieur Conan m’a dit ça, j’étais très découragé. J’avais mis tout mon espoir dans cet homme ; j’espérais qu’il connaîtrait le maître de Joko et ainsi je saurais où se trouvait Montcho. Evidemment, au téléphone, je ne pouvais pas dire à Monsieur Conan à quel point j’étais déçu. Au contraire, je l’ai remercié d’avoir essayé de m’aider du mieux qu’il avait pu. Cependant, il a senti le chagrin dans ma voix et il a dit : « Vous découragez pas surtout, Monsieur Kpossouvi ce n’est que partie remise ». Après, il m’a demandé pourquoi je cherchais Joko particulièrement et comme je ne pouvais pas lui mentir, je lui ai dit toute la vérité sur Joko. J’ai dit que Joko n’était pas un vrai chien, mais un de mes hommes ; il était devenu un chien pour gagner un peu d’argent ; mais je voulais le reprendre parce qu’il était très utile à ma famille et à mon clan tout entier. Monsieur Conan m’a écouté jusqu’au bout et quand j’ai fini il s’est exclamé en disant : « Ah, voilà donc ! Ce n’est pas étonnant, Joko était trop doué pour être un vrai chien. » Puis il a encore dit : « Ah, quelle bonne blague que celle-là ! C’est ma femme qui va être contente » Mais je lui ai demandé de ne parler de ça pour l’instant à personne parce que si les gens savaient que Joko n’était pas un vrai chien on pourrait lui faire du mal ou même le tuer et s’il mourait comme chien, ce serait pour de bon.
Monsieur Conan a promis de ne parler de Joko pour l’instant à personne même pas à sa femme. Et, avant de raccrocher, il a encore dit : « Du courage, Monsieur Kpossouvi, nous sommes de tout cœur avec vous ! »
Quand j’ai déposé le téléphone, la peur a empli tout mon esprit. La peur de la solitude. Je voyais toute ma famille loin là-bas au village mais je ne voyais pas comment retourner au pays sans Montcho. Et même si je retournais sans Montcho, comment je pouvais être un bon chef du clan des Kpossouvi-Adra si je n’étais pas digne de chacune de mes femmes ? Je ne voyais pas comment je pouvais faire honneur à la tradition de notre clan si je n’épousais pas ma quarante et unième femme. Mais est-ce que je pouvais épouser une autre femme quand je ne peux même pas satisfaire mes quarante premières ? Je pensais à tout ça. J’avais beaucoup de chagrin. Oh oui, beaucoup ! Pour prendre un peu d’air, vers le soir, je suis sorti de l’hôtel et j’ai marché longtemps dans les rues en pensant à tous les sacrifices et à toutes mes difficultés et ce que je pouvais encore faire pour retrouver le vrai Monsieur Dubosc et Joko.
A la tombée de la nuit, je me retrouve du côté de la rue des Martyrs et j’ai envie d’aller voir Léa. Je voulais lui parler un peu pour changer les idées dans ma tête. Je marche jusqu’à la place Pigale et je vais dans sa rue. Là-bas, je vois encore les femmes aux jupes courtes et au seins presque nus avec des cheveux noirs ou des cheveux or. Comme la dernière fois, certaines femmes étaient assises sur de grands tabourets dans un salon faiblement éclairé mais beaucoup étaient dehors, alignées le long du mur. J’entre tout droit dans la maison de Léa et je monte vers son appartement. Mais il n’y a pas de lumière et la porte est scellée. Alors je redescends dans la rue vers le coin où j’avais vu Léa la première fois et Léa n’était pas là mais à sa place une autre femme avec des cheveux noirs se tenait debout. Je m’approche de la femme et je lui demande où est Léa, mais elle recule et commence encore à me parler de gros nez. Alors évidemment, je vais vers une autre femme mais elle non plus ne voulait pas que je m’approche d’elle, et les autres femmes non plus ne voulaient pas me parler parce qu’elles ne savaient pas que je cherchais Léa. Comme les femmes qui étaient alignées le long du mur ne voulaient pas me parler et certaines me parlaient de nez gros, j’ai pensé que je pouvais tenter ma chance à l’intérieur du salon faiblement éclairé et je suis allé vers le salon. Et là, par chance, à l’entrée du salon, je tombe sur une femme aux cheveux noirs très gentille et elle me dit : « Tu montes mon ours brun ? » et je lui ai dit que je ne voulais pas monter mais que je cherchais une femme. En entendant ça elle a mis ses deux mains aux hanches, m’a regardé un moment d’un air étonné et m’a dit : « Ah, ben voyons, vous me prenez pour quoi ? Un homme ? C’est la meilleure…» Je lui dis que ce n’était pas ça mais que je cherchais une femme qui s’appelait Léa. Quand j’ai prononcé le nom de Léa, la femme a eu un air surpris et a dit : « Léa ? » en respirant profondément et je dis oui. Alors elle s’approche de moi tout doucement, me regarde droit dans les yeux et me dit d’une voix triste : « Mon bon Monsieur, Léa est morte. » Quand j’ai entendu ça, j’étais abasourdi. Je ne savais plus quoi dire ni quoi faire. Pendant une minute, je croyais que j’étais dans un cauchemar et la femme était devant moi et elle me regardait sans rien dire. Après, elle a mis la main sur mon épaule.
« Vous êtes son ami ?
— Oui
— Vous n’avez rien appris ?
— Non
— Allez venez »
Ayant dit ça, la femme m’emmène dans la rue loin du bar parce qu’elle ne voulait pas parler devant les autres femmes qui n’aimaient pas beaucoup Léa. Nous marchions devant des boutiques obscures, et elle dit ce qui s’était passé. C’est Roland qui a tué Léa, qu'elle me dit. Il a tiré sur elle en pleine rue en disant qu’elle était devenue une sorcière et elle n’avait pas le droit de travailler pour elle-même.
En entendant tout ça, j’avais mal dans ma tête et mon cœur était en peine. Je ne croyais pas à ce qui était arrivé. Je voulais revoir Léa. Je voulais la prendre dans mes bras, je voulais lui parler encore comme nous avons parlé la dernière fois dans le café quand elle m’avait accompagné à Joinville comme un perroquet. La femme était triste elle aussi. Elle connaissait bien Léa. Elle était là quand Roland a tiré sur elle dans la rue. De temps en temps, elle avait du mal à parler. Sa voix s’étouffait. On aurait dit qu’elle voulait pleurer et elle se taisait et nous marchions en silence dans la rue des boutiques obscures.
A suivre...
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007, © Bienvenu sur Babilown
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