L’illusionnisme vertueux
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En cette époque de Changement, la moindre action du gouvernement, le moindre projet est annoncé avec force scansions de milliards. X milliards par-ci, Y milliards par-là.
Les régimes précédents, notamment le tout dernier dont l’incurie a rendu plus que jamais nécessaire le changement étaient plus discrets. Certes, puisque le flux des milliards allait des caisses de l’Etat vers les poches ou les comptes d’une certaine maffia, on dira qu’il est logique de ne pas faire du bruit si l’on ne veut pas attirer l’attention sur des pratiques criminelles. Et puis, si Kérékou et sa bande étaient des modèles déposés de bâtisseurs ou de développeurs, en trente ans cela se saurait. Mais on ne peut pas en dire autant du Président Soglo qui, en son temps, a œuvré avec vigueur pour le redressement économique et social du pays. Du temps de Soglo toutefois l’égrènement vertigineux des milliards au titre de l’affectation des coûts des projets n’était ni une règle absolue, ni une pratique privilégiée.
Alors pourquoi l’époque du changement nous bombarde-t-elle de milliards par-ci et de milliards par-là à la limite du vertige ? Pourquoi, au plus haut niveau de l’appareil gouvernemental,
que ce soit l’argentier principal ou le Président met-on un point d’honneur à égrener les milliards dépensés ou à dépenser ? S’agit-il du défaut professionnel d’un gouvernement d’experts dont le chef reste sous l’emprise de sa culture pour ne pas dire ses réflexes de banquier ? Ou s’agit-il d’une volonté de transparence comptable ? Ces questions témoignent de l'aspect vertueux de cette médiatisation quantique de l'action politique.
Mais des questions vicieuses ne manquent pas. Celle qui vient d’entrée à l’esprit, est de savoir si cette manie des milliards n’aurait pas un rapport quelconque avec le cauris, objet fétiche sous le signe duquel le Président actuel accéda au pouvoir, et dont les partisans zélés n’ont pas hésité à reconduire et le principe et les vertus jusqu’au cœur de la dénomination de leur parti. Il est vrai que le cauris, chez nous, symbolise l’argent, valeur cardinale du Béninois, et que la méthode qui consiste à lui jeter en pâture le symbole archétypique d’une richesse éthérée est assez astucieuse. La force du signifiant parvient au même but que l’effet du signifié pour ne pas dire l’argent sonnant et trébuchant. L’opération qui consiste à prendre le Béninois au lasso de ses fantasmes pécuniaires sans rien débourser dans le réel, cette charité symbolique à grande échelle a été d’une grande efficacité suborneuse. Les épigones du changement ont compris très vite l’usage politique qu’ils pouvaient tirer d’un principe qui au départ n’était pourtant que médiatique. L’opération médiatique est devenue alors un principe et une source d’inspiration politiques. Il est évident que le dévolu jeté sur la scansion continue des milliards par le gouvernement, au moins en tant que méthode de communication, n’est pas exempt d’arrière-pensées. En effet, il y a là-dedans un côté paternaliste du généreux donateur du peuple qui, tel un laboureur consciencieux, jette à la ronde la semence dans un champ avide de nourriture. Prolongeant le même attachement au registre symbolique, on peut aussi soupçonner la volonté du donateur d’en mettre plein la vue à un peuple frustré et impatient.
Tout cela relève de l’aspect vicieux de la méthode. Double vice, en effet : à la fois de la part de celui qui ose la questionner et penser que derrière cette compulsion à égrener les milliards se cachent des intentions suborneuses, alors que le gouvernement est dans son rôle et ne pense que le bien du Peuple ; mais le vice est aussi en soi, dans la mesure où cet égrènement de milliards entretient avec l’opération médiatique qui porte le nom de cauris une identité de principe, et un dénominateur commun : la valorisation aveugle de l’argent.
Certes, il y a aussi l’aspect vertueux. Contrairement à la discrétion légendaire des pratiques qui avaient cours naguère, où les milliards prenaient la direction des comptes privés sans crier gare, cette méthode, dans la mesure où elle correspond à l’affectation de moyens à des projets bien définis, peut avoir partie liée avec la transparence et la bonne gouvernance. Il va sans dire que les vrais chevaliers d’industrie préfèrent opérer dans la discrétion. On ne peut pas faire tant de vacarme autour de milliards qu’on se prépare à détourner de leur usage officiel. Même si on fait la part des fausses annonces ; si on prend la peine de séparer le bon grain des projets qui tiennent la route de l’ivraie des annonces hâtives et sans lendemain ; même si on se méfie des artefacts budgétaires, il reste que cette traduction pécuniaire des actes politiques, cette scansion en milliards des actions du gouvernement a ceci de vertueux qu’elle fait sienne l’éthique de responsabilité comptable chère au Président de la république. Bien sûr, la méthode participe d’une forme d’illusionnisme : celui qui volontairement ou non laisse croire que les nouveaux argentiers, au premier rang desquels le chef du gouvernement, dépensent sans compter pour le pays, y compris en puisant de leur propre poche, alors qu’en définitive l’argent dépensé vient de la poche du peuple lui-même. Mais cet illusionnisme, à mille lieues du réalisme vicieux en vigueur sous le régime précédent, est vertueux ; car le flux de l’argent suit un circuit et un sens opposés. Si les milliards vont réellement des caisses de l’Etat vers le financement de projets vitaux pour le bien-être du peuple, c’est qu’ils ne tombent pas dans les poches privées. Et le fait que l’argent ne retombe pas dans les poches privées, justifie à la fois l’illusionnisme et sa nature vertueuse. Parce que chaque fois que nos argentiers ne détournent pas ou ne laissent pas détourner l’argent public, quelque part, à l’aune des pratiques anciennes, c’est comme s’ils le sortaient de leur propre poche…
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Binason Avèkes
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
Merci d'apporter cette précision qui nuance et éclaire le propos. C'est un point d'histoire. Mais il semble bien que la scansion des Milliards façon Soglo ait un côté bon enfant alors que celle de l'actuel pouvoir a une résonance passablement doctrinale et idéologique. Puisque ces deux régimes se ressemblent un peu en matière de gouvernance, en tout état de cause, la question qui vient à l'esprit est de savoir si scansion de milliards et gouvernance vertueuse vont de pair.
Rédigé par : B. A. | 01 mai 2007 à 23:37
Salut !
Je voudrais juste vous rappeler que du temps du président Soglo la gouvernance était vertueuse mais c'est à cette époque qu'on assista le plus à ce que vous baptisez si joliment "la scansion des milliards" par feu Paul Dossou qui lors de ses interventions télévisées soûlait ses interlocuteurs et les téléspectateurs par des "3milliards quatre","8 milliards trois", "5milliards deux" etc
Rédigé par : E. L. | 01 mai 2007 à 23:19