Ou la récurrence du mal
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Ce matin dans une radio parisienne, à l’occasion d’une chronique d’économie, sous forme de sermon donné par un soi-disant professeur, sorbonnard dogmatique et sûr de soi, la question de la hausse des prix du pétrole était à l’honneur. Eh oui, la chose est indéniable et notre docte parleur de l’admettre en la mettant en liaison avec la tension entre l’Iran et les pays Occidentaux ; plus précisément ce qu’on appelle depuis quelques jours la « crise des marins britanniques » ; marins qui, au lieu de voguer dans les eaux orthodoxes de leur tamise natale, s’en donnent à cœur joie de s’aventurer dans les eaux territoriales d’un pays pas très catholique, l’Iran. On parla non sans quelque égard à la force de nuisance du pays des Ayatollah et des mollah, qui sont tout sauf de molles personnes ; chiffre à l’appui on évalua la force de nuisance de l’Iran, pourcentage de gisement, capacité de blocage du détroit d’Ormuz par où transite le noir liquide qui mène le monde. Mais pour se rassurer on releva le paradoxe selon lequel, à terme, la hausse des prix du baril sera bénéfique aux pays du Nord ; puisqu’elle va faire prendre conscience du (et accélérer le) processus de recours aux énergies alternatives, notamment dans le cadre de la nouvelle coqueluche essentielle que représente l’éthanol, nous affirme-t-on.
Au passage, on n’hésita pas à se défouler sur les incertitudes inhérentes aux pays producteurs – arrogance idéologique du Venezuela, et quasi-guerre civile nous apprend-on au Nigeria !
Le Nigeria en guerre civile ! Est-ce une manière d’encourager les va-t-en-guerre en spéculant sur les tensions des élections en vue dans ce pays ? Les difficultés du vice-président à faire accepter sa candidature par la commission électorale sont- elles déjà interprétées à travers le prisme d’une logique ivoirienne ? Ou bien fait-on allusion aux groupes autonomistes qui dans le riche delta du fleuve Niger, luttent pour une certaine équité dans la redistribution des revenus pétroliers ? Cette petite terreur de poche plus médiatique que sanglante est-elle déjà assimilée à une guerre civile ? Difficile de démêler la réalité d’un pays en équilibre précaire depuis sa tristement célèbre guerre civile et les vaticinations méphistophéliques des prophètes blancs de mauvais augure.
Ce qui est sûr, c’est que les Blancs se gargarisent à bon compte sur notre dos ; notre ruine, notre misère, nos catastrophes, peu leur chaut ! Ils ont fait et continuent de faire leur beurre sur notre labeur et leur heur sur nos malheurs. Ainsi, n’attendent-ils pas que le Nigeria entrent en guerre pour l’affirmer. On peut y voir une idiosyncrasie hexagonale ; manière très française de déplorer que les guerres civiles en Afrique – à l’exception de l’historique cas nigérian – n’embrassent que la sphère d’influence francophone ou assimilée. Y en a marre que ce soit nos ex-colonies seules qui s’entredéchirent ! Vivement que le Nigeria entre aussi dans la danse ! Cette règle qui veut que les guerres civiles se concentrent en Afrique du côté francophone n’est pourtant pas le fruit du hasard. Raison pour laquelle on veut la dissoudre dans le chaos d’une guerre made in Nigeria, le plus grand pays anglophone d’Afrique.
Ivoirisation du regard sur les polémiques africaines, noyade du poisson et brouillage des pistes sur la question de la responsabilité culturelle et politique d’un pays qui, plus que tous les autres anciens colonisateurs du continent, a fait de la manipulation des Noirs l’indice même de sa supériorité raciste.
Mais au-delà, il y a une telle alacrité à penser l’Afrique à feu et à sang, croupissant dans le désordre et l’anarchie, moribonde. Réflexe et fantasme de cette venimeuse engeance de charognards qui ne jurent que par le malheur perpétuel de l’Afrique condition sine qua non de l’éternité fantastique de son pâle bonheur !
Il appartient aux dignes fils de l’Afrique de prendre conscience de cette définition antithétique de notre destinée par les zodjagué, définition enracinée au plus profond de leur psyché. Ceux d’entre nous qui bavent d’enthousiasme à s’acoquiner sans réserve avec les zodjagué dans un oecuménisme soi-disant universaliste font preuve d’une naïveté infantile coupable. Le Blanc qui n’a jamais renoncé au mal en Afrique, qui n’y a jamais reconnu ses crimes – car reconnaître ses crimes c’est d’abord et avant tout en assumer le lourd préjudice moral et matériel – que du bout des lèvres après quatre siècles de tergiversation, est toujours prêt, comme l’a dit le visionnaire Kadhafi, à récidiver le moment venu. Placé dans les mêmes conditions de pouvoir, de nécessité et de besoin, en dépit qu’il en aie, il n’hésitera pas à nous remettre le fer de l’esclavage au cou, à lacérer notre chair, à nous faire suer sang et eau, à violer nos femmes, à nous jeter dans les calles fétides des négriers ; nous recoloniser, nous asservir à nouveau, bref à faire tourner dans le même sens et sur les mêmes chemins de barbarie, la roue tragique de l’histoire. Notre histoire.
Moralité, si l’Occident avait une Amérique à « redécouvrir », il n’hésiterait pas un instant à se remettre en train. Si l’Occident avait un génocide d’Indiens à perpétrer, il n’hésiterait pas à le faire. Si l’Occident avait un esclavage de Noirs à réorganiser, il n’hésiterait pas à rentrer en besogne. Incontinents, les mêmes bateaux terribles, dans le même silence barbare du monde raviraient à leur corps et à leur décor, des millions d’hommes et de femmes Noirs qui seront livrés à la souffrance, séparés d’eux-mêmes, vendus, revendus sur les marchés féroces où l’on pèse le Noir au kilo ! Avis aux incrédules qui croient que le monde évolue vers la lumière, que les hommes sont devenus humains, et qu’il y aurait une limite au mal dans l’histoire. Non le monde n’évolue pas vers la lumière, il involue mû par l’instinct des plus forts ; non il n’y a pas de limite naturelle au mal, ni à l’horreur ni aux atrocités. Pour nous autres victimes et descendants de victimes, la seule limite est celle de notre volonté, de notre détermination à vouloir que le mot « plus jamais ça » ne soit un vain mot. Pour cela, il nous faut prendre la mesure de nos responsabilités, et nous doter les moyens de notre volonté : celle de vie, de liberté et de dignité dans un monde sans pitié : Attention, zodjagué !
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Binason Avèkes.
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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