Aïdama et Adrien
29 mai 1906
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Suite à un courrier très ancien de Père à l’administration coloniale du Dahomey réclamant protection de tous ses fils et filles ainsi que de nos mères restés au pays nous recevons avec surprise aujourd’hui une réponse de Monsieur le lieutenant-gouverneur en personne. Le courrier contient une photographie figurant une ribambelle d’enfants, garçons et filles. La moyenne d’âge tourne autour de vingt ans, et les plus âgés dépassent la trentaine. La photo contient en tout 27 personnes. Les plus jeunes sont accroupis, les femmes se tiennent debout au premier plan et les hommes grands ou petits au deuxième plan.
Je ne reconnais aucun de ces soi-disant frères ou sœurs. Tous ces visages dont, il est vrai, certains ne sont pas sans rappeler la figure de Père, sont pour moi perdus dans le temps. Mais Père semble ne pas s’y tromper. Il est heureux de voir sa descendance ainsi rassemblée. Cela nourrit l’espoir de l’unité et conforte l’idée que le retour en terre natale ne relève pas d’un rêve. Dans la lettre, le lieutenant-gouverneur évoque le nombre impressionnant de 77 enfants : 35 garçons, 42 filles !
Il parle surtout des deux premiers, l’aîné Sassè et de Ouagbè, le second. Et suggère en une tournure sibylline que Père devrait considérer toute sa descendance mâle sur un pied d’égalité et non pas seulement « celui que le destin a placé provisoirement à vos côtés. » Mais de quoi se mêlent ces messieurs de l’Administration ! Ils ne se contentent pas seulement de nous exiler, il faut maintenant qu’ils donnent à Père le mode d’emploi affectif de sa descendance !
De toute façon, cette masse anonyme de frères et de soeurs ne me dit rien, pour ne pas dire rien qui vaille. Je n’ai jamais eu l’occasion d’un échange fraternel avec tous ces frères et soeurs. En dehors d’Adrien qui est le seul fils de Père qui m’inspire amitié et confiance. Pour le reste, qu’il me soit permis de rester sur ma réserve.
En revanche, je pense à Aïdama qui est à Ouidah aux côtés de maman. Je lui ai même écrit aujourd’hui pour avoir de ses nouvelles et celles de maman dont la pensée m’arrache souvent des larmes de chagrin… Oui je dois l’avouer, cette masse anonyme a beau satisfaire Père, c’est du côté de Ouidah que se tourne mon coeur quand je pense à ma famille…
Binason Avèkes
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2007
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