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L’éthique de légitimité
L’idée qui consiste à crier haro sur certains Etats ou nations au motif qu’ils sont en train de mettre au point ou qu’ils disposeraient d’armes suprêmes est pour le moins vicieuse. Elle se base sur l’idée reçue et naturalisée qu’il y a des pays, des cultures, des régimes et des chefs auxquels on ne peut pas faire confiance sous le rapport de l’éthique de la guerre. Mais qu’en est-il de cette éthique ? En dépit qu’il en aie, et malgré les protestations de civilisation des timoniers du monde, la guerre n’a jamais été aussi proche de sa conception primaire d’une action des plus forts contre les faibles. Au nom de principes humains, dont la proclamation reste hélas en deçà de leur réalité, à l’échelle du monde actuel, les guerres sont l’œuvre et les affaires des pays proto-occidentaux, capitalistes, et soi-disant démocratiques, minorité qui puise et épuise les richesses de la terre par soumission directe – inféodation politique, militaire et économique – ou indirecte – subtil endormissement par une nuée d’idéologies bien pensantes – de la grande majorité de ses habitants.
Bien sûr, il y a guerres et guerre. Il y a celles, nourricières du système malsain et sorcier du capitalisme mondial, qui font prospérer dans le sang du monde l’économie de l’armement ; guerres infligées aux pays du tiers monde de part le monde dans un rapport de domination politique à but lucratif, c’est-à-dire conforme à la vision du monde capitaliste, hégémonique et ethnocentrique. Mais il y a aussi le spectre de la guerre entropique à prétention géopolitique – avec ou sans esprit de résistance marqué – qui met en jeu sinon en cause l’ordre idéologique et économique du monde qu’il vise à conserver ou à changer.
Le premier type de guerres qui saigne le monde à petit feu n’est pas celui pour lequel les maîtres du monde montent au créneau. Au contraire, semant derrière elles une ribambelle de victimes, d’atrocités, et de dérives humaines, ces guerres font rage dans tous les recoins du monde, de façon endémique ou sporadique dans une sinistre hypocrisie des meneurs du monde, sur fond de gesticulations des Agences médiatrices passablement internationales soumises à leur volonté et à leur chantage.
Dans l’Ariès des meneurs du monde, c’est plutôt le second type de guerre, espèce unique en son genre, qui suscite une levée de bouclier des dieux de la guerre. Une guerre des « démocrates » et pourquoi ne pas le dire tout net, des Blancs, chrétiens, capitalistes ou proto-occidentaux contre leur contraire. Une guerre dont les victimes exclusives par milliers ont nom : Rwandais, Ivoiriens, Musulmans, Iraquiens, Palestiniens, Asiatiques etc..
Telle est le principe dichotomique de la polémologie que défendent les meneurs du monde ; une situation que leur génie a su rendre si naturelle qu’il paraît évident, d’abord et y compris dans l’esprit dominé des victimes de leur puissance, de considérer comme un attentat à la paix du monde, le fait que certains pays stigmatisés, à l’exclusion d’autres, se dotent ou cherchent à se doter d’armes de destruction massive ou nucléaires.
Mais sommes-nous réellement dans le même monde ? Pourquoi tout à coup ce sens de l’égalité inhérent à l’idéologie démocratique chère au maîtres du monde fait-il cruellement défaut dans ce domaine du pouvoir à l’échelle mondiale ? Pourquoi certains disposent-ils des armes de destruction massive et sont présumés en faire un usage convenable et civilisé là où d’autres, suspectés d’indignité absolue en la matière, sont poursuivis, harcelés, et combattus sur la seule base de la suspicion d’en posséder ou de vouloir s’en doter ? Pourquoi le seul fait de posséder ou de chercher à se doter d’armes nucléaires signifie-t-il ipso facto un risque direct de son utilisation ? Et pourquoi ce risque, pourtant aux retombées mondiales, inquiète-t-il certains plutôt que d’autres ? Qu’est-ce que ceux-là ont à se reprocher sous ce rapport et qui n’inquiète pas outre mesure ceux-ci ? Pourquoi en matière d’armes de destruction massive ou d’arme nucléaire ne juge-ton pas nécessaire de mettre tous les compteurs à zéro ? Quelles sont la légitimité et l’inspiration de l’idée qui veut qu’en la matière il y ait des nations respectables et d’autres pas ? Et comment se fait-il que l’ONU ne se soucie pas de l’égalité stricte de ses membres en matière de sécurité ?
Toutes ces questions nous ramènent à l’éthique de la guerre. Pour autant qu’on puisse parler d’éthique entre groupes humains distincts dont le principe d’interaction tend à l’exclusion des uns et à la domination naturalisée des autres, la question de fond est justement celle de l’éthique. Quelle légitimité se soucie-t-on aux yeux du monde d’accorder à une entreprise guerrière ? Combien de guerres se soucient de l’obligation de légitimité ? Dans un monde où les moyens techniques et moraux de communiquer entre hommes n’ont jamais été aussi développés, force est de reconnaître le paradoxe apparent de la persistance de l’incompatibilité entre logique de guerre et obligation de légitimité partagée.
Les formes primaires de cette incompatibilité sont certes aussi vieilles que le monde. Elles ont été le moteur aveugle de l’histoire jusqu’à un certain seuil. Comme la prostitution ou l’esclavage, elles ont plus ou moins caractérisé les rapports sociaux et humains ; mais à l’instar du sort subi par ces deux fléaux, la modernité occidentale a systématisé leur virulence en leur intimant une organisation implacable qui fonde de nos jours la logique oligopolistique de l’administration de la violence à l’échelle du monde.
Dans un monde voué au culte du progrès force est de constater que l’éthique de la guerre au fil des siècles a évolué dans le sens contraire de la perfection des moyens de destruction massive. Plus que jamais, la raison du plus fort reste la meilleure. Au lieu d’un monde où par l’exemple et la conviction partagée se développe l’idée de la légitimité des guerres, les guerres et leur possibilité sont considérées comme l’apanage du plus fort, ou des groupes disposant de l’armement infaillible. Tout se passe comme si des Extraterrestres ou des dieux venus d’on ne sait où et dotés d’armes incomparablement supérieures aux nôtres auraient raison aux yeux des maîtres du monde d’avoir raison de nous. Comme si a priori nous renoncerions à notre devoir d’expliquer notre droit légitime de vivre et d’être libres. Cette régression éthique, que les gages de civilisation ou de progrès qui fusent de toutes parts ne suffisent pas à occulter, entraîne deux conséquences qui, en interaction réciproque, sont au principe du cercle vicieux de la menace de guerre qui pèse sur l’humanité indépendamment des causes chroniques qui la justifient.
La première conséquence est l’infantilisation méprisante du plus grand nombre de nations et par conséquent de la majorité des hommes et femmes qui les composent sous le rapport du droit à disposer des mêmes armes que les autres. Beaucoup de nations éprises de dignité ne comprennent pas pourquoi certaines sont jugées crédibles de se doter d’armes dont on s’acharne à leur dénier le droit de les posséder elles aussi. Elles s’insurgent contre cette logique de deux poids deux mesures, cette arrogance et ce mépris naturel avec lesquels ceux qui possèdent ces armements incriminés, au lieu de prêcher l’exemple en commençant à les détruire chez eux, s’érigent en arbitres de leur non prolifération, en jouant les censeurs du club fermé des détenteurs civilisés, qui s’opposent aux autres, renvoyés sans ménagement dans la nuit infantile du mépris.
Malheureusement, ce mode opératoire marqué au coin du mépris est l’un des ressorts de la course à l’armement nucléaire aujourd’hui. Dans la mesure où, pour laver leur dignité bafouée, nombre de nations qui se sentent blessées par cette ségrégation autoritaire n’ont de cesse d’en relever le défi à la face du monde !
Par ailleurs, les nations puissantes qui se sont autoproclamées juges suprêmes du droit de disposer des armes incriminées – nations généralement proto-occidentales, chrétiennes et capitalistes – au lieu d’aller dans le sens d’une logique valable pour tous et sans exception de destruction massive des armes de destruction massive, maintiennent leur diktat et s’enferment du même coup dans la paranoïa du vide d’une culture de légitimité partagée. Avec l’idée à peine cachée qu’il n’y a de bonnes guerres que celles qui s’enracinent dans la terre de leurs intérêts égoïstes ; au mépris de la volonté générale des femmes et des hommes du temps présent, de leurs droits légitimes, les maîtres du monde défendent une polémologie conforme à leurs avantages léonins acquis dans le sang et la sueur du monde, et au devoir pour eux sacré de leur transmission mutatis mutandis à leurs descendants. Le fait de frustrer la grande majorité des hommes de leurs droits et besoins élémentaires pour assurer de transférer un rapport de force stable et naturalisé à leur descendance leur paraît conforme à l’intérêt de l’humanité ; une humanité, elle aussi conforme à la définition tragique qu’ils en ont faite depuis des siècles et dont on voit les horreurs et l’affreuse cohorte de victimes chaque jour !
Le refus de concevoir la polémologie sous le rapport d’une légitimité éthique, c’est-à-dire largement partagée, le droit de frapper qui l’on veut quand on veut, sans en référer à la moindre conscience du monde, voilà ce qui motive la nervosité paranoïaque des maîtres du monde ! Voilà ce qui les pousse de nos jours, de l’Iraq à la Corée du Nord en passant par l’Iran à considérer déjà comme un casus belli le seul fait que certains Etats cherchent à se doter de l’arme nucléaire. Comme si ces grandes nations civilisées avaient renoncé non pas au pouvoir de la raison, mais à l’espoir d’une culture de justification raisonnable, d’une éthique raisonnée de la légitimité. Comme si la raison des autres, tenue pour le mal ne pouvait aussi avoir son bien fondé.
Binason Avèkes
© Copyright Blaise APLOGAN, 2006
Selon Le Monde :
Dans une lettre diffusée, à l'ONU, en ce jour, quinze Prix Nobel de la paix, dont le dalaï-lama, Desmond Tutu, ou encore le président costaricain Oscar Arias, conjurent les gouvernements d'adopter une résolution sur le contrôle du commerce international des armes, afin de faire cesser les exportations irresponsables "qui causent douleur et destruction à tous les peuples du monde".
"Nous, Prix Nobel de la paix, savons que le principe essentiel d'un traité international sur le commerce des armes est simple et incontournable : aucune arme ne devrait faire l'objet d'une transaction si elle doit être utilisée pour commettre de sérieuses violations des droits de l''homme", a déclaré Irene Khan, secrétaire générale d'Amnesty International, qui soutient le projet. "C'est l'heure de vérité à l'ONU : les gouvernements doivent prendre la décision historique de stopper les transactions irresponsables et immorales sur les armes en votant en faveur de l'élaboration d'un traité qui empêchera la mort, le déplacement forcé et le viol de milliers de personnes", a-t-elle ajouté.
Le projet est coparrainé par l'Argentine, l'Australie, le Costa Rica, la Finlande, la Grande-Bretagne, le Japon et le Kenya, doit être mis au vote mercredi à la première commission de l'Assemblée générale de l'ONU, qui s'occupe des questions de désarmement. Ce traité mondial s’il était voté viendrait combler les failles des réglementations internationales, qui permettent aujourd'hui aux armes classiques d'alimenter les conflits, les violations des droits de l'homme, avec des conséquences graves sur le développement des pays qui en sont les victimes.
Pays favorables à la résolution : Allemagne, France Grande-Bretagne, Brésil, Bulgarie Ukraine, ainsi que Colombie, Haïti, Liberia, Rwanda Timor-Oriental, ...
Pays +ou - réservés sur la résolution : Chine, Egypte, Etats-Unis, Inde, Iran, Russie...
Rédigé par : Godjiblanou | 24 octobre 2006 à 19:03