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Do the right thing !
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Depuis quelques législatures, il apparaît qu’un pays comme la France, héritier des Lumières et de la Révolution, n’a pas de sujet de débat politique sérieux autre que l’immigration. De septennat en quinquennat, l’habitude s’enracine. Lors des dernières élections présidentielles, après que les médias en eurent préparé le terrain sur le thème de l’insécurité, un scénario espiègle savamment élucubré a imposé un schéma électoral sordide où la défense des valeurs républicaines menacées sous l’angle funeste de la peur de l’autre a complètement occulté toute possibilité de débat.
A moins d'un an des élections présidentielles, de nouveau les tréteaux se mettent en place, les ténors donnent de la voix, les virtuoses accordent leurs arguments : chacun se fait prêts pour occuper les positions susceptibles de captiver l’attention de ceux que l’on appelle pudiquement « les électeurs du Front National. » Mais à la vérité ce cannibalisme est un phénomène qui embrasse la société tout entière. La place des immigrés dans le pays, tributaire d’une politique ambiguë, de législature en législature, surdétermine le débat politique, occultant les thèmes classiques devenus inopérants en dépit de leur pressante actualité.
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A l’instar de ces bêtes mortes dont les cadavres servent dans des rituels primitifs à la limite de la puanteur, tout le monde s’acharne sur l'immigré.
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Cet acharnement sur une catégorie vulnérable est d’autant plus perverse que la question sérieuse de son habilitation politique au niveau local est sans cesse renvoyée aux calendes grecques. Il s’agit là d’une question de mentalité aggravée par les zones d’ombre d’une histoire coloniale non expurgée. Enracinée dans l’économie politique du rapport à l’autre – l’Arabe, l’Algérien, le Musulman, Le Noir, l’Antillais, l’Africain, etc. – perçu dans l’amalgame différentiel de son altérité, cette mentalité est entée sur une représentation instrumentaliste de l’immigré. Avant-hier esclave, hier colonisé, aujourd’hui néo-colonisé ou immigré de gré ou de force, la loi de son usage se conforme aux normes mondialisées du marché fluctuant des rapports de force politiques.
Ainsi, même sur le plan politique, faut-il que l’immigré serve à quelque chose. A l’instar de ces bêtes mortes dont les cadavres servent dans des rituels primitifs à la limite de la puanteur, tout le monde s’acharne sur lui. Il va sans dire que cet acharnement sur la figure transactionnelle de l’immigré, cette manière qu’il a d’être saisi à son corps défendant, et pour ainsi dire à bras le corps et périodiquement projeté pieds et poings liés dans l’arène est à la mesure de sa passivité politique. Alors seulement retrouve-t-il sa place naturelle dans les représentations collectives. Que ce soit sur les questions récurrentes de la double peine, de la polygamie, de l’immigration clandestine, du regroupement familial, des quotas, et des mariages mixtes, l’incapacité chronique des gouvernements à mettre en place et conduire des politiques humaines, trahit le parti pris de la passivité politique de l’immigré et la volonté de constituer le sujet de l’immigration en réserve thématique bonne à jeter en pâture à l’appétit angoissé de la société. Et les hommes politiques de tout bord mais avec une subtilité retorse à droite, ont bien compris l’utilisation qui pouvait être faite de cette réserve thématique apparemment inépuisable.
L'usage politique de la représentation de l’autre s’inscrit dans la logique élargie du traitement anxiolytique du politique. Pendant longtemps, l’angoisse collective s’était cristallisée sur la problématique unique de l’emploi ; et comme une idée fixe qu’on a du mal à déloger de l’esprit, sans l’avoir évincée, on y a par un effet d’illusion substitué une autre idée fixe non moins anxiogène. Tout se passe donc comme si, moyennant la modernisation de ses formes, ce n’est que sous l’angle exclusif de l’instrumentalité que le thème du rapport à l’autre est abordé. Et cette médiation est perçue comme sa nature et son destin.
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La suspicion générale qui frappe l’immigré, (...)glisse peu à peu sur tous les aspects de son existence
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La politisation de l’autre comme bouc émissaire des angoisses collectives traduit l’échec cuisant des politiques à répondre aux attentes légitimes des citoyens. Elle a pris naissance au début des années 80 avec l’émergence du personnage de Jean-Marie Le Pen, grand méchant loup censé mettre en pièces le troupeau de la droite classique, avec ses idées générales portées sur la haine de l’autre : l’Immigré, l’Arabe et le Musulman, catégorie opposée au "Français de souche" honnête et dépossédé. Dans un tel discours, au lieu d’être une chance pour la France, l’immigration est perçue et dénoncée comme une colonisation à rebours. Ce discours fit école et ouvrit la voie aux surenchères les plus ignobles. A droite on ne lésina pas sur les formes. Certains hommes politiques en vue et pas des moindres commençaient soudain à sentir les odeurs des immigrés. La banalisation des idées du Front national alla de pair avec sa naturalisation dans le paysage politique français. A gauche on était bien prudent à ne pas accueillir toute la « misère du monde. » Celui dont un ancien Premier ministre socialiste a pu dire qu’aux bonnes réponses près il posait les bonnes questions est peu à peu devenu le point focal virtuel du paysage politique français. Ses idées et ses méthodes ont fait florès ; à droite comme à gauche, elles sont devenues un aspect incontournable de la vie politique française : soit parce qu’elles capturent toutes les énergies rivées contre elles soit parce qu’elles trouvent des émules plus ou moins habiles ou déclarés.
Ces thèmes et thèses ont peu à peu modelé le discours politique sur les immigrés et l’esprit des lois régissant leur vie dans notre société. La suspicion générale qui frappe l’immigré, venu d’abord selon la rhétorique lepenienne voler le pain et la femme du "Français de souche", glisse peu à peu sur tous les aspects de son existence : se marie-t-il à une Française ? Il ne pourrait s’agir que d’un mariage de complaisance visant expressément sinon exclusivement à obtenir un titre de séjour ; souhaite-t-il poursuivre ses études en France ? On le soupçonne déjà de chercher à s’incruster : Qu’est-ce qui est long et dur chez un immigré ? – ce sont bien sûr ses études, nous apprend un trait d’humour populaire ; demande-t-il un regroupement familial ? On y voit une intention douteuse d’immigrer sur fond de mœurs dissolues. Et si la polygamie défraie de nos jours la chronique, ce n’est pas vraiment parce qu’elle choque la pudibonderie vénielle de quelques députés de droite qui feignent tout à coup de la découvrir mais bien parce qu’on y voit un moyen suspect et désordonné d’immigrer.
Ainsi, l’angoisse majeure que suscite l’immigré tourne autour de l’intention qu’on lui prête de subvertir sa propre définition et d’échapper à sa représentation d’ustensile pour devenir à son tour usager sinon jouisseur de la chose publique. C’est face à cette subversion que se dresse la muraille de Chine d’une suspicion sans cesse réactivée, et qui n’a fait que ternir au fil des ans l’image de l’immigré. En l’espace d’une décennie, on est passé de l’ensemencement des idées de Le Pen à leur germination, de la lepenisation des esprits à celle des actes politiques. Ainsi en est-il du séisme du 21 avril 2002 ; et du référendum sur la constitution européenne qui mettait en jeu, faut-il le rappeler, le rapport à la légitimité politique de l’autre par la substitution d’une loi fondamentale à la constitution française. De même la guerre de position que se livrent les deux protagonistes de la majorité de droite au travers de laquelle, chacun selon son style essaie d’être à la fois le plus généreux et le plus méchant envers les immigrés est une illustration de cette suspicion.
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L’histoire a montré qu’à trop s’exciter sur les minorités au point d’en faire la cause des maux d’une société on encourt le risque de tragédies humaines irrémédiables.
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Pendant ce temps, dans une impassibilité générale pour le moins incroyable, le débat politique se rétrécit comme une peau de chagrin. Peu à peu se dessine sous nos yeux incrédules un schéma régressif de la mentalité politique au travers duquel, le rapport à l’autre et notamment la thématique prégnante de l’immigration et ses thèmes sous-jacents comme l’insécurité sont organisés en sujets dominants au détriment de tous les autres. Cette surdétermination du débat politique par la problématique récurrente de l’immigration est hélas le fait des hommes politiques eux-mêmes, en cheville avec quelques médias malintentionnés qui en font leur fonds de commerce. Confrontés à l’échec persistant des politiques de lutte contre le chômage, incapables de répondre aux attentes du citoyen consommateur soumis à l’inquiétude grandissante d’un monde en mutation sur tous les plans – technologique, idéologique, écologique, géopolitique et économique – au lieu de reconnaître leur échec collectif, les hommes politiques préfèrent faire de l’angoisse collective suscitée par celui-ci leur nouvelle raison d’être. Cette volonté d’éluder la crise de légitimité qui les frappe de plain-pied aboutit malheureusement à une prise en otage des immigrés entre d’une part le rejet souvent mal informé de l’autre tenu pour « la cause de tous nos maux » et l’exploitation politique irresponsable d’un fantasme collectif par ceux-là même dont la vocation est de l’éclairer.
Cette régression de la mentalité politique en France est préoccupante non seulement eu égard à sa richesse historique exceptionnelle mais aussi en raison du danger potentiel que recèle la tentation permanente d’utiliser politiquement les minorités passives. L’histoire a montré qu’à trop s’exciter sur les minorités au point d’en faire le sujet central sinon la cause des maux d’une société on encourt à terme le risque de tragédies humaines irrémédiables.
Dans un tel contexte et pour parer à ce danger dont les derniers événements des banlieues françaises offrent une brûlante préfiguration, à nos yeux, trois solutions complémentaires s’imposent de toute urgence.
Tout d’abord, il est urgent de banaliser l’image de l’immigré par une politique humaine et consensuelle qui enterre la tentation de faire de lui le bouc émissaire de la société. Loin du climat démagogique de dénégation qui prévaut, cette banalisation suppose une reconnaissance sans nuance de la faillite des politiques. En toute responsabilité, un devoir d’inventaire s’impose pour réévaluer la finalité du politique dans le contexte actuel du monde. Face à l’effondrement des idéologies et à la mondialisation, cette réévaluation est la condition pour ouvrir la voie à des projets de société viables et maîtrisés. La deuxième solution consiste à bousculer positivement le dogme de la passivité politique de l’immigré et plus généralement des minorités étrangères. Ceci passe par le droit de vote aux élections locales, c’est à dire une ratification de la citoyenneté quotidienne de fait de l’immigré en tant que sujet de droit et de devoir. Cette prise en compte qui est un formidable facteur d’intégration, entraînera une pondération politique relative du statut de l’immigré. Or dans la mesure où le fantasme collectif de l’immigré bouc émissaire prend ses racines dans les représentations locales, il va sans dire qu’une telle pondération ne sera pas sans effets immédiats sur la tentation d’utiliser politiquement son image. Enfin, la troisième solution qui fait cheville avec la deuxième, va plus loin en bousculant cette fois-ci un dogme républicain. Elle s’adresse à tous les Français d’origine étrangère ou assimilés dont l’union peut faire bouger les choses. Au rebours de l’éparpillement de leur représentativité dont l’échec politique est patente, nous pensons qu’une prise de conscience de leur force collective peut être investie dans des conduites politiques plus représentatives de leurs attentes sociales que les beaux discours républicains seuls ne suffisent plus à satisfaire. « Do the right thing !», ce mot d’ordre du cinéaste américain Spike Lee n’a pas perdu de sa pertinence et résume bien l’éclectisme de ces conduites.
Au total le combat pour le droit des immigrés à vivre en paix et dans la légalité incombe à tous mais il est un impératif catégorique de solidarité pour tous les Français d’origine étrangère ou assimilés. Du succès d’un tel combat dépend le nécessaire renouvellement du débat politique en France. La richesse de ce débat est mise à mal par le recours permanent à la figure passive de l’immigré. Pour enrayer cette passivité funeste, force est de s’unir. De ce point de vue, on pourrait sans excès parodier Marx et Engels, façon Spike Lee en disant : « Immigrés de tout le pays : Do the right thing ! »
Binason Avèkes
© Copyright Blaise APLOGAN, 2006
Josiane Balasko : FAIRE ENTENDRE UNE AUTRE VOIX
A propos de la mobilisation en faveur des squatters de Cachan, dans laquelle elle a été en première ligne, Josiane Balasko veut aider à "faire entendre une autre voix". "Je ne suis qu'un porte-voix, précisait-elle. Actuellement, il n'y qu'une voix qui passe, celle qui diabolise les immigrés. Le monde dans lequel on vit se rétrécit", s'alarme la comédienne qui se dit "frappée par le silence assourdissant de la gauche. Le PS fait une erreur colossale de penser qu'il va cueillir des voix de droite en se taisant. Les gens de droite voteront à droite, quoi qu'il en soit."
Préoccupée par la surdité de l'ensemble des politiques, elle était présente à Cachan et à Limoges dit-elle "non pour "foutre la merde", mais pour reprendre les termes de Coluche, "remuer la merde" et mettre les responsables politiques devant leurs responsabilités". Et d'insister : "Nous n'aurions pas besoin d'être en première ligne, de faire ce que nous faisons s'il y avait une véritable opposition. Il y a un vide politique face au seul discours que l'on entend. Sarkozy n'agit que dans une perspective électoraliste. Il n'y a pas de débat sur toutes ces questions-là. On a besoin d'un vrai débat".
Décidément, voilà une femme dont le cœur n’a pas changé de place : toujours là où s’exprime l’aspiration à la vie dans la justice parmi les hommes-frères de la même terre-mère !
Cette constance est sans égale : elle nous fend le cœur !
Rédigé par : Athanase Assiongbon | 11 septembre 2006 à 21:59