VII : Le verdict
A ce stade de sa relation, mon interlocuteur tel un plongeur sous-marin désireux de remonter en surface après une longue immersion, secoua la tête et me sourit.
« Eh oui, dit-il, l’air de partager mon étonnement. Ce procès a été décisif pour le dénouement heureux du Siège de l’Assemblée. Personne ne sait que l’échec de la seconde révision initiée par les députés est la conséquence directe du verdict de ce procès dont la nécessité a été imposée par l’intervention propice de nos Ancêtres. Tout le monde sait aujourd’hui que les députés révisionnistes ont échoué dans leur entreprise cynique parce qu’ils n’ont pas pu déposer le texte de la loi dans les mains de la Cour constitutionnelle dans les délais prévus par la loi. Or si le Siège de l’Assemblée a eu raison de la volonté des révisionnistes ce n’est pas faute qu’ils aient tenté de le contourner. L’échec de leur entreprise repose dans les conclusions du procès. Le procès lui-même a pris des heures et des heures. Sous le regard patient de nos Ancêtres, il s’est déroulé dans les règles. Le Parquet a respecté les droits de la défense. Je vous passe les détails.»
A nouveau le jeune député s’arrêta un instant et jeta un regard tout autour. Et bien qu’aucune oreille indiscrète ne fût à proximité, il se mit à me parler sur le ton du chuchotement, comme s’il séparait ce qui avait précédé jusque là de la révélation du secret de la langue perdue.
« Ce sont les ancêtres qui les ont punis, dit-il. Le verdict des Ancêtres a été logique. Vous savez en fon, parlementaire se dit « dèmènu » ce qui veut dire étymologiquement la langue du Peuple. A partir du moment où les députés s’étaient isolés dans leur tour d’ivoire ; à partir du moment où ils ne voulaient plus entendre la volonté du Peuple ; à partir du moment où ils étaient aveuglés par leurs intérêts mesquins, les Ancêtres, par la voix des jurés du Tribunal des Vivants, ont considéré qu’ils n’étaient plus dignes d’être les langues du peuple. En conséquence, la Cour les a condamnés au silence pendant 41 jours. Et pour concrétiser cette condamnation, un rituel de retrait provisoire des langues a été fait sous le regard de l’Assistance et des esprits de nos illustres Ancêtres. Le juge d’application des peines a alors sorti un bâton magique au moyen duquel il a frappé chacun des députés révisionnistes d’un coup sec sur la langue. Et c’est ainsi que nos Députés, mes collègues, ont perdu l’usage de leur langue. En tant que témoin libre, j’ai été chargé par les Ancêtres de leur porter assistance le moment venu. Ainsi, j’ai reçu des mains du juge de l’application des peines, la poudre antidote censée les délivrer de cette paralysie de la langue lorsque le délai imparti par le verdict des Ancêtres sera couru.
– Ça alors, fis-je émerveillé, c’est donc ça le secret de la langue perdue ?
– Eh oui, c’est ça ! Voilà pourquoi depuis quelques semaines ces Députés d’habitude si haut parleurs, sont silencieux comme des carpes !
– Je vois, nos Ancêtres sont vraiment derrière nous !
– Ça on peut le dire ! Je pense qu’ils ont décidé d’en finir avec la souffrance de notre Peuple, c’est pour cela que Dieu a envoyé un bon Président, et le Peuple lui-même fait preuve de sagesse, alors pourquoi se faire embêter par des députés jaloux et égoïstes qui ne pensent qu’à eux-mêmes ?
– Vous avez raison, il s’agit d’une lutte pour durer
– Oui, mais pourquoi durer alors qu’il faut aller au bout du Changement ? Mon sentiment est qu’il ne faut pas prendre les mêmes personnes et recommencer. J’ai un ami Chinois qui est resté au Bénin pendant un certain temps, et vous savez ce qu’il pense de notre pays ?
– Non
– Eh bien, ce Chinois pense que pour que notre pays change vraiment, il faudrait assassiner tous les Béninois de plus de 2 ans !
– Ah, un peu draconienne sa solution !
– Oui, mais il y a du vrai dedans. Moi je n’irai pas jusqu’à effacer ceux qui ont plus de 2 ans, mais ce que je pense c’est que ceux qui ont contribué à ruiner durant des années notre économie de loin ou de près, ceux qui ont développé l’esprit de paresse, de concussion et de corruption, c’est à dire finalement toute la classe politique d’avant le Changement, doivent dégager. C’est seulement sur cette base rénovée que nous pouvons construire du nouveau
Or, c’est là que tout le problème se pose ; car les anciens députés ne veulent pas, à l’instar de l’ancien président, laisser leur place. Ils sont près à servir l’ancien comme le nouveau régime…Ils persévèrent dans leur être..
– Dans ce cas, vous savez quoi ?
– Non
– Je crois que vous avez une carte à jouer …
– Moi ? Laquelle ?
– Eh bien puisque vous avez l’antidote qui peut délivrer leur langue, pourquoi ne pas les laisser au silence pendant 41 ans ?
– Voilà une idée géniale, je n’y ai pas pensé. Merci et mille fois merci ! »
Moïse Kourikan continua de me remercier jusqu’au moment de notre séparation. J’eus alors le sentiment que les rôles étaient inversés. C’était à moi de le remercier, et voilà que c’est lui qui me remerciait. Je ne savais quoi dire. J’étais heureux d’avoir percé le secret de la langue perdue. En y réfléchissant dans l’avion qui m’emmenait à Bruxelles, j’étais persuadé que l’énigme que je considérais vaguement comme métaphysique l’était à plus d’un titre…
Fin
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