L'ESPRIT D'INDECENCE
La dernière élection présidentielle dans notre pays s'est déroulée sous le signe du changement. Le large rassemblement du deuxième tour et l'atmosphère de consensus qui a suivi la victoire du candidat Yayi Boni avait nourri beaucoup d'espoir tempéré par l'ambiguïté de certains ralliements au deuxième tour. Le nouveau pouvoir était de ce fait face aux alternatives suivantes: maintenir un consensus surfait en restant inactif au risque de décevoir les nombreux électeurs qui l'ont élu, ou entreprendre les changements promis et alors prendre le risque de voir surgir la coalition des intérêts égoïstes. Les soubresauts auxquels nous assistons laissent croire que le temps de l'action est venu et avec lui celui du vrai choix entre le statu quo ante et l'assainissement en profondeur de la situation de notre pays.
Ces derniers jours, l'Assemblée nationale béninoise a consacré de nombreuses heures aux conditions dans lesquelles le sieur Fagbohoun a été appréhendé puis incarcéré le 4 juin dernier. Que les droits de Monsieur Fagbohoun doivent être respectés et défendus comme ceux de n'importe quel justiciable, cela va de soi! Que l'Assemblée nationale se découvre subitement une vocation de "défenseur des droits de l'homme" laisse cependant pantois! C'est à croire que les nombreuses associations spécialisées dans ce domaine et en particulier la Commission nationale des droits de l'homme sont tellement occupées par d'autres cas plus prégnants qu'elles n'ont pas daigné s'occuper du pauvre richissime Fagbohoun!
Plus sérieusement, le cas de la SONACOP SA pose un problème très préoccupant. Cette entreprise n'a jamais été dans une situation aussi catastrophique. Ceux qui, au nom du libéralisme, crient aujourd'hui aux loups devraient s'interroger sur les vertus du libéralisme tropicalisé. Car en réalité, ce libéralisme là qui consiste pour certains dirigeants, à coup de privatisations, à refiler des entreprises stratégiques aux amis politiques et capter une part significative de la richesse nationale constitue un véritable crime économique.
Ces entreprises soi-disant privatisées deviennent pourvoyeur de fonds pour notamment entretenir le clientélisme politique et financer les campagnes électorales. C'est ce système qu'il convient aujourd'hui de démanteler avec ou sans le soutien de certains de nos honorables députés et de leurs affidés régionalistes qui poussent les populations du Plateau à manifester.
Il est symptomatique que le Président de l'Assemblée nationale soit vice-président du parti de M. Fagbohoun. Sous d'autres cieux, ceci aurait conduit nos "honorables" à davantage de discrétions. Sous nos latitudes, au contraire, peu importe que la majorité de la population soit privée du minimal vital; nombreux de nos honorables représentants du peuple sont en réalité plus proches des pouvoirs d'argent et n'ont aucun scrupules à le montrer. Ils jouent, au contraire, face à la population, la séduction de l'argent sous le registre du richissime sauveur suprême.
Par la privatisation des entreprises publiques, la Banque mondiale et le FMI cherchaient peut-être à rendre ces entreprises plus performantes, en évitant les interventions néfastes des pouvoirs publics qui utilisaient ces entreprises comme des vaches à lait et y plaçaient des dirigeants souvent irresponsables. On peut se demander aujourd'hui si le remède n'a pas été, dans beaucoup de cas, pire que le mal.
La question de fond n'est donc pas forcément le choix entre nationalisation ou privatisation mais plutôt la recherche des conditions de gouvernance de nos entreprises de service public qui garantissent leur développement et leur fonctionnement adéquat. Pour le moment, le libéralisme tropicalisé, qu'il soit à l'œuvre à Cotonou ou à Conakry affiche sans vergogne un état d'esprit d'une indécence honteuse. Il reste à lui opposer une alternative convaincante, celle de la création des conditions humaines et institutionnelles pour une gestion saine de l'espace économique national dans l'intérêt des plus faibles et du bien-être collectif. Pour y parvenir, les dirigeants de la nouvelle génération devront davantage faire preuve d'imagination et de pédagogie en s'appuyant sur la population.
Les maux qui rongent la société béninoise - une société soumise pendant longtemps aux méfaits du libéralisme tropicalisé - méritent d'être publiquement débattus dans le cadre d'une nouvelle conférence nationale. Les solutions pour permettre un nouveau départ ont besoin d'un consensus suffisant pour être durables. Pour ce faire, elles doivent émerger d'une volonté collective qui seule pourra permettre d'asseoir une légitimité à toute action d'assainissement visant à promouvoir un Bénin aux mains plus propres.
Une contribution de : Edgard Gnansounou
Imaginer et construire l'Afrique de demain (ICAD)
16 juin 2006
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