B. A. : Monsieur Cossi Bio Ossè, en votre qualité de philosophe et fin observateur de la vie nationale, comment comprenez –vous les premiers gestes et décisions du nouveau Président béninois ?
M. Cossi Bio Ossè : Dès son accession au pouvoir Monsieur Yayi Boni n’a pas perdu du temps : il s’est mis au travail avec une célérité qui montre qu’il a bien pris la mesure des défis à relever. Sur le plan intérieur, la formation du gouvernement et les passations de service semblent déjà du passé. Le premier conseil des ministres consacré aux mesures à prendre pour débloquer et stimuler le secteur du coton, produit phare de l’économie de rente du pays, en crise depuis quelques années, ont été prises avec courage et doigté. Donc sur le plan national, on peut dire que l’élan est bien pris.
B. A. Qu’en est-il du plan international ?
M. Cossi Bio Ossè : Dans le même élan, le chef de l’Etat semble être lancé dans un véritable chassé-croisé diplomatique, avec à la clé un bain de foule des Présidents de la région. Il n’y a pas de doute, ancien fonctionnaire de la Banque ouest-africaine, Monsieur Yayi a de l’entregent dans la sous-région et semble presque plus à l’aise à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Au-delà des frontières du Bénin où il a passé le plus clair de son temps professionnel, il donne l’impression de vivre, d’être chez lui. Une évidence, Monsieur Yayi Boni est tout le contraire d’un dogmatique. A le voir agir, il semble qu’il est d’inspiration positiviste, du genre de ceux qui parlent par les actes que par les mots, et encore moins par des idées toutes faites.
B. A. En somme un pragmatiste.
M. Cossi Bio Ossè : Oui, certes. Pour autant, cette façon qu’il a de se sentir vraiment chez lui à l’extérieur des frontières du Bénin est en elle-même un concentré d’idées qu’il assume sans tambour ni trompette. C’est à dire le fait que les frontières héritées du passé sont des lignes artificielles à l’intérieur desquelles l’Afrique réelle étouffe, et qu’il sied de dépasser en réalité pour nous situer à un niveau viable à l’échelle du monde globalisé. Dans sa forme purement romantique, il s’agit du panafricanisme.
B. A. Yayi Boni panafricain ?
M. Cossi Bio Ossè : D’une certaine manière oui, mais le pragmatisme panafricain de Yayi Boni est tout sauf romantique. N’est-ce pas lui qui dans son programme électoral rêve de l’Afrique comme d’un vaste marché sans frontière ? Compte tenu du fait que sur le plan économique l’Afrique ne pèse pas lourd et reste dominée, la lutte pour l’indépendance et la prospérité économiques est un devoir et une urgence. De ce point de vue, cette approche marchande du panafricanisme peut se comprendre. Mais sur le fond, une telle vision du monde ne saurait, nous osons l’espérer, épuiser notre raison d’être Béninois ou Africains.
En tout cas, mercantile ou romantique, ce pragmatisme panafricain de Monsieur Yayi Boni s’exporte bien au-delà des frontières du Bénin. En l’espace d’une quinzaine de jours après son accession au pouvoir, Monsieur Yayi Boni a déjà rendu visite à quatre chefs d’Etat africains. Le nigérian Obasanjo, le libyen, Kadhafi, le gabonais Bongo, le congolais N’guesso. Bientôt ce sera le tour de l’angolais Do Santos.
B. A. Alors Yayi Boni un Président itinérant ? Quel sens donner à ces visites ?
M. Cossi Bio Ossè : Eh bien, cette bougeotte qui tient le nouveau Président peut donner lieu à maintes interprétations. Elle peut d’entrée faire figure d’habitude professionnelle. On peut se demander si c’est le Président qui bouge où si ce n’est pas le banquier international africain qui continue de se livrer à des conciliabules techniques de-ci de-là comme naguère. On peut aussi dire que le Président cherche ses marques et comme l’extérieur a toujours été son point fort, il se montre aux Béninois au travers de ce qu’il sait le mieux faire et être.
B. A. : Autrement dit, pour Monsieur Yayi Boni la meilleure façon d’aller vers les Béninois c’est encore de passer par l’aval de l’extérieur, de l’international.
M. Cossi Bio Ossè : D’une certaine manière oui, du moins au début ! C’est une forme de médiatisation. D’un point de vue symbolique, cette médiatisation internationale de la vie nationale est un effet de miroir recherché. Pour mieux entrer dans son rôle et étrenner son costume de tout nouveau Président, Monsieur Yayi Boni a besoin de l’onction des autres Présidents établis de la place africaine. Et l’adoubement recherché est d’autant plus symboliquement efficace que celui qui le donne est ancien dans le métier. D’où les visites à des Chefs d’Etat dinosaures comme Kadhafi, Nguesso, Bongo, etc.… et non pas de jeunes fraîchement entrés en fonction comme Faure Gnassingbé ou Ellen Johnson Sirleaf qui avaient l’avantage d’être à nos portes.
B. A. Il y a aussi de la stratégie dans tout ça, vous ne trouvez pas ?
M. Cossi Bio Ossè : Bien sûr, j’allais y venir. D’un point de vue stratégique, on peut dire que, un des rares Présidents du continent à être élu d’une manière dont le caractère démocratique est clair et dans le cadre d’une alternance régulière qui donne ses lettres de noblesse à notre jeune démocratie, le nouveau Président ne veut pas non plus jouer les forts en thème, pour ne pas provoquer l’hostilité d’arrière-garde de ses pairs démocratiquement contrariés. L’usage de politique intérieure de cette démarche se comprend lorsqu’on connaît le pouvoir de nuisance de cette faune blanchie sous le harnais de la politique africaine qui n’hésite pas à s’ingérer dans la politique intérieure des « pays frères ». A l’instar des judokas qui utilisent la force de leur adversaire, Monsieur Yayi Boni préfère, le cas échéant, mettre les forces redoutables de son côté, plutôt que d’avoir à utiliser son énergie pour s’y opposer.
B. A. D’où le côté pragmatique de ces premières visites...
M. Cossi Bio Ossè : Tout à fait. Cette approche diplomatique de l’activité politique de Monsieur Yayi Boni peut-être perçue autrement. Si on considère que tous les Chefs d’Etat auxquels Yayi Boni a rendu visite, sont à la tête de pays producteurs de pétrole, on peut en déduire que ces visites ne sont pas de simples visites de courtoisie mais sont aussi des visites de travail. Et ce travail abattu à l’extérieur est de nature à produire concrètement ses effets à l’intérieur. C’est aussi ça le style de Yayi Boni, et en cela on peut dire déjà : « ça change ! »
B. A. Quel regard portez-vous sur cette médiatisation au plan éthique ?
M. Cossi Bio Ossè : D’un point de vue éthique et surtout psychologique cette médiatisation internationale de la vie nationale suscite quelques questions. Déjà le discours feutré du nouveau Président est difficile à insérer dans l’espace affectif de la société béninoise. Il manque de tonus dans le sens où pour soulever un poids on a besoin d’un point d’appui ; pour être soi on a besoin de s’opposer aux autres, de les désigner clairement, de connaître leur tour et leurs contours, de les nommer. En clair, par rapport à l’affectivité engagée dans la préférence d’un homme politique et d’un régime – surtout lorsqu’ils promettent en chœur le changement – le peuple a besoin de connaître clairement ses amis et ses ennemis. Or, il semble que la prudence œcuménique qui caractérise le style de Yayi Boni prive le peuple de ce besoin, et le frustre de ce désir. C’est une frustration douce, mais une frustration quand même...
B. A. Mais ce constat est valable seulement sur le plan intérieur…non ?
M. Cossi Bio Ossè : Il s’en faudrait de beaucoup, hélas. La même frustration embrasse aussi l’espace africain. Dans l’esprit des Africains assujettis, il y a une représentation affective naïve de l’espace politique du continent : avec ses héros, ses martyrs, ses bons Africains, ses mauvais Africains téléguidés de l’extérieur, etc.
Si on considère que les personnes à qui un Président fraîchement élu rend ses premières visites ne tombent pas comme un cheveu dans la soupe. Mieux encore, si on considère qu’il sied que ce soit à ceux qui lui sont chers, à qui il voue un respect et une admiration sans borne qu’il réserve la primeur de telles visites, on peut se faire une idée des amis de Monsieur Yayi Boni. Dans la mesure où ces visites revêtent un caractère éminemment symbolique, les Béninois qui ont voté massivement pour le nouveau Président doivent remiser leurs préjugés. La fin justifie les moyens. Et les Africains doivent être sans préjugés les uns envers les autres. Il faudrait que le peuple s’habitue à la rondeur gestionnaire de son nouveau Président. A sa culture diplomatique. Pour dîner avec le diable, il faut une longue cuiller, dit-on. Le Président Yayi Boni, en bon diplomate doit être un fin gourmet !
B. A. Quelle conclusion tirer de cette analyse…
M. Cossi Bio Ossè : Bien sûr, il est trop tôt pour tirer des conclusions. Mais les premiers signes ne sont jamais trompeurs. Etant donné le pragmatisme panafricain de Yayi Boni, au travers de laquelle l’Afrique est d’abord vue comme un grand marché ; vu le cercle assez baroque de ses amis et pairs africains qu’il admire, la prudence œcuménique du nouveau Président a des intérêts évidents et des qualités pratique ; elle laisse rêveur mais ne fait pas rêver.
Interview réalisée par :
M. Binason Avèkes.
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