Par Jean Suret-Canale. C'est l'honneur du Dahomey d'avoir compté parmi ses fils un homme [Louis Hunkanrin] dont la vie coïncide presque exactement avec la durée de la période coloniale -- il est né au moment de la conquête, il a vécu jusqu'aux lendemains de l'indépendance -- et qui consacra sans défaillance toute sa vie au combat contre le régime colonial. Cette brève étude ne prétend pas être complète (1) : elle se veut avant tout un hommage. Nous souhaitons qu'elle encourage les historiens dahoméens à la reprendre, à en rectifier les erreurs ou à en compléter les lacunes, tant pour honorer sa mémoire que pour contribuer à restituer l'histoire de l'Afrique dans son authenticité et sa plénitude. Louis Hunkanrin naquit le 25 Novembre 1886 à Porto-Novo alors protectorat français. La colonisation devait, comme on le sait, utiliser à ses fins la vieille rivalité qui opposait les deux royaumes frères de Porto-Novo et d'Abomey pour conquérir l'ensemble du Dahomey. Lorsque la conquête s'achève pour l'essentiel avec la reddition de Béhanzin, en 1894, Louis Hunkanrin est encore un enfant. C'est dans le contexte du système colonial triomphant que son action va se dérouler. Il n'est pas inutile d'évoquer ici les conditions politiques et sociales engendrées par ce système. II est courant de considérer que 1' « éveil politique » (c'est le titre d'un livre du gouverneur Deschamps, qui fit date) coïncide en Afrique tropicale d'obédience française, avec les élections législatives de 1945. Il est bien vrai que les conditions d'une vie politique réelle, et de son expression publique, ne furent créées dans les Colonies françaises d'Afrique tropicale qu'à l'issue de la seconde guerre mondiale. Mais la génération politique de 1945-1946 avait eu des précurseurs : pas seulement dans les mouvements de résistance armée ou les messianismes religieux qui prolongent les formes de la vie politique précoloniale, mais aussi dans des mouvements d'inspiration moderne. Certes, l'action de ces précurseurs fut limitée, tant dans ses moyens que dans son expression. La logique même du système colonial ne permettait pas qu'il en fût autrement. Dans son principe, la colonisation mettait fin à toute souveraineté des pays conquis. Les peuples soumis étaient composés de « sujets », non de citoyens. L'idée même d'une part prise par les « sujets » à la gestion de leurs propres affaires, la possibilité même d'une expression politique, étaient attentatoires à 1' « ordre » colonial. La situation objective, économique et sociale, ne s'y prêtait pas non plus. L'« économie de traite » régnant en Afrique tropicale, pays tenu en réserve plus que mis en va/eur, faisait obstacle à la constitution d'un marché national. Point d'industries, point de centre vital où affluent, avec les marchandises, les hommes et les idées : simplement quelques comptoirs et quelques «postes». Cette économie n'engendre pas les classes ou catégories sociales susceptibles de servir d'appui à un mouvement politique de style moderne. Peu ou pas de prolétariat ; sauf dans les chemins de fer, qui seront le théâtre des premiers grands mouvements sociaux, les véritables ouvriers sont peu nombreux, souvent de profession et de mentalité semi-artisanale (maçons, menuisiers, etc...), peu ou pas lettrés, ce qui limite leur rôle politique. Pas non plus de bourgeoisie : et, paradoxalement, dans ce domaine, il y a régression. Au XIXe siècle, au moins dans les régions littorales, s'était constituée une classa de commerçants intermédiaires, parfois riches, ayant emprunté à l'Europe des formes de vie moderne, envoyant leurs enfants faire des études en Europe ou en Amérique (au Brésil par exemple). L'implantation des grandes sociétés européennes les élimine. Le système colonial les soumet, à la loi commune : ils sont des « indigènes » comme les autres et, en Côte d'Ivoire, le gouverneur. Augoulvant fait démolir leurs maisons à étage ; un « indigène » ne saurait habiter que dans une « case ». Certes, le système colonial ne saurait se passer entièrement d'intermédiaires « modernes », de fonctionnaires sortis des écoles françaises et qu'on appellera, d'un terme expressif de toute l'idéologie coloniale, les «évolués». Peu nombreux — on les considère comme un mal inévitable et on restreint leur formation au strict minimum — ils sont en outre pour la plupart isolés, et dispersés dans les postes de brousse où l'on ne manque pas d'envoyer systématiquement les « fortes têtes », les « mauvais bergers », en bref tous ceux qui seraient susceptibles de jouer le rôle de leader. L'ambiguïté de leur situation aggrave encore leur isolement. Formés et modelés par le pouvoir colonial, ils sont destinés à lui servir de «courroies de transmission», de cadres subalternes d'exécution. Le rôle même qui leur e.st imparti, le mépris qu'on s'attache à leur inculquer pour leurs frères «illettrés», «sauvages», «non civilisés»,. les habitudes de vie acquise, leur rendent le contact malaisé avec les masses paysannes et les chefs « traditionnels ». En même temps, ces fonctionnaires ressentent avec acuité toutes les humiliations de la condition coloniale. On leur a justifié à l'école l'action coloniale au nom de principes humanitaires, de l'abolition de l'esclavage et des coutumes « barbares », de la tyrannie des « roitelets » sanguinaires. Parfois même, en dépit des instructions-officielles, des instituteurs imprudents leur ont parlé des principes républicains, de démocratie, de liberté et d'égalité. Or, après que l'école leur ait inculqué l'ambition de devenir des « africains français », voilà que les coloniaux avec lesquels ils sont en contact permanent leur rappellent avec brutalité que, tout diplômés qu'ils soient, ils ne sont que des « indigènes » comme les autres, et que ce n'est pas en « une ou deux générations qu'on peut prétendre arriver au niveau du Blanc héritier d'une culture millénaire»... Ce blanc fût-il en l'occurrence, la brute la plus inculte et la plus illettrée ! C'est donc tout naturellement dans ce milieu que vont s'exprimer les premières manifestations d'une volonté d émancipation. Mais avec deux restrictions d'importance. La première est que le fonctionnaire dépend, dans son existence même, de l'administration coloniale. Rares seront ceux qui oseront affronter les risques de sanction — révocation, emprisonnement, exil La seconde est que la revendication de l'indépendance est, à cette époque pratiquement impossible à exprimer — ce qui ne veut pas dire qu'elle soit absente des esprits. L'exprimer conduirait tout droit à l'accusation d'atteinte à la sûreté de l'Etat et au bagne. Les plus hardis seront tout naturellement portés à exprimer leur volonté d'émancipation non sous la forme nationale, mais sous la forme démocratique, prenant au mot les proclamations mêmes des colonisateurs à l'usage de la métropole ou de l'étranger. Au début du siècle, les radicaux, convertis à l'idée coloniale depuis leur installation au Ministère des Colonies, et d'autres « républicains », s'efforcent de convaincre les lecteurs français du caractère civilisateur, démocratique et émancipateur de la colonisation. Au nom d'une politique dite d' « assimilation » (que les « vrais » coloniaux, mêlant naïveté et cynisme, repoussent avec horreur) on s'efforce de faire croire aux Français que la colonisation, en multipliant les écoles, a pour but de transformer lès petits «sauvages» en «africains français». Les premiers contestataires vont donc prendre au mot les principes « officiels» et exiger que les actes du pouvoir colonial y répondent : abolition de l'indigénat, octroi de la citoyenneté française, respect des droits de l'homme et du citoyen, exercice des libertés politiques, seront leurs mots d'ordre essentiels. Par là, ils mettent leur adversaire en difficulté sur son propre terrain, l'obligeant à démasquer son hypocrisie ; en outre, à travers ces mots d'ordre, c'est tout le régime colonial qui est mis en accusation : arbitraire des administrateurs, brigandage des sociétés coloniales, protection par l'administration (au nom du respect des « coutumes ») des pratiques qu'elle prétendait bannir, y compris l'esclavage. Cette politique permet de réaliser l'union la plus large et éventuellement de se faire entendre de l'opinion française. En dépit de ses limites apparentes, elle a en définitive un contenu objectif national en ce sens qu'elle réalise le plus large front contre l'impérialisme et contre son institution politique fondamentale, l'indigénat. Naturellement, même sous cette forme, elle ne peut s'exprimer qu'avec les plus grandes difficultés. Le colonialisme considère comme inadmissible la moindre critique et traite aussitôt ceux qui l'expriment d' « ennemis de la France ». C'est sur ce terrain et dans ce domaine que Louis Hunkanrin fera œuvre de pionnier. Dans l'Afrique tropicale française du début de ce siècle, deux pays seulement réunissent les conditions nécessaires à l'expression, même limitée, d'une protestation politique : le Sénégal et le Dahomey. Dans les grands centres du Sénégal, sur le littoral dahoméen, et là seulement, existe une concentration relativement importante de commerçants (ou anciens commerçants) et de fonctionnaires ayant reçu une formation moderne, capables d'exprimer cette protestation. Au Sénégal, l'octroi de la citoyenneté aux natifs des quatre communes de plein exercice et l'électoralisme permettront de l'étouffer et de neutraliser ceux qui auraient été capables de l'exprimer. Elu protestataire en 1914, Blaise Diagne se baisse gagner par le système dont il se fera bientôt l'avocat auprès des instances internationales. Au Dahomey, la situation évolua différemment. Ici, dès avant la conquête, s'était constituée sur la côte une bourgeoisie instruite, ouverte à la vie moderne tout en restant fidèle à l'organisation familiale et aux traditions nationales. Ces familles, qu'elles fussent de souche locale ou d'origine brésilienne, envoyaient leurs enfants aux écoles des missionnaires, portugais puis français, en attendant que l'administration introduisît l'école laïque. Evincées pour ]a plupart du circuit commercial par l'implantation coloniale, elles durent se reconvertir dans la fonction administrative, et le Dahomey, avec le Sénégal, devient une pépinière de commis, d'instituteurs, de médecins, souvent voués à l'exploitation. Elles n'eurent même pas, comme leurs homologues de Corée ou de Saint-Louis, la compensation illusoire de la citoyenneté. C'est dans ce milieu que grandit le jeune Hunkanrin. Il va à l'école des missionnaires, puis à la toute nouvelle école laïque d'où il sort major de sa promotion. Précisément, en. 1903, vient d'être institué en A.O.F. le système d'enseignement qui durera autant que la colonisation. Il prévoyait la formation d'instituteurs africains. Le brillant écolier de Porto-Novo est ainsi incorporé dans la première promotion de l'Ecole Normale de Saint-Louis de 1904 à 1907. Il en sort instituteur et est nommé à l'école de Ouidah. Dès ce moment son caractère s'affirme. Le rôle d'éducateur est pour lui inséparable de la responsabilité civique. A peine installé dans son poste à Ouidah, il se met à la disposition de ses concitoyens pour les défendre contre les diverses manifestations de l'arbitraire colonial. Il crée au Dahomey la première section de la Ligue des Droits de l'Homme. La répression ne tarde pas à s'abattre sur lui. En 1910, il est pour la première fois condamné, emprisonné, révoqué. Il aura particulièrement à souffrir de la vindicte du gouverneur Noufflard, arriviste colonial typique, tyrannique et incapable. De cette époque, Louis Hunkanrin, dans une de ses dernières lettres (8 Juin 1963) nous retraçait le tableau suivant : « Sous le règne du Gouverneur Noufflard, les indigènes du Dahomey étaient traités en quantité négligeable, en « animae viles » Un arrêté du Gouverneur général approuvé par le Ministre des Colonies donnait aux administrateurs le droit d'infliger aux indigènes sujets français, pour soi-disant « atteinte au respect dû à l'autorité française », des peines disciplinaires allant jusqu'à quinze jours de prison et cent francs d'amende (franc-or bien entendu !). Le gouverneur avait le droit de porter ces peines à un mois de prison et cent francs d'amende En vertu de ces pouvoirs disciplinaires formidables, que d'abus de pouvoir, que de crimes commis par les administrateurs et le Gouverneur au préjudice des « sujets •» français, taillables et corvéables à merci ! Quand le Résident Maria passait dans son pousse-pousse, tout le monde était oblige de se découvrir, de se mettre au garde-à-vous et de faire le salut militaire. Celui qui ne voulait pas se plier à cette discipline était traîné, roué de coups, expédié à la prison et frappé des « peines disciplinaires ». Le Résident Brot qui se prélassait dans un hamac, escorté de gardes-cercle, en faisait autant et son escorte qui n'avait pitié de personne exerçait, à tour de bras, ses violences sur tout indigène lettré ou illettré qui, faute d'attention ou de promptitude, avait «porté atteinte au respect dû à l'autorité française... » Toute la population vivait dans les transes. » Faute de pouvoir s'exprimer sur place, Hunkanrin, avec le concours de quelques européens progressistes — dont certains furent eux aussi victimes de la répression — dénonce les injustices dont il est le témoin dans quelques journaux français. Parallèlement, il rédige des tracts qui sont placardés pendant la nuit à Porto-Novo, Cotonou, Ouidah, Allada, parfois jusque dans les bureaux du gouvernement. En 1913-1914, il réside à Dakar et devient l'un des rédacteurs de la Démocratie du Sénégal, le journal de Biaise Diagne, dont les campagnes aboutirent au succès de ce dernier à l'élection législative de 1914. Revenu au Dahomey, il continue à y animer la résistance. « De nombreuses condamnations par contumace furent prononcées contre moi, sur les ordres de M. Noufflard, par Je tribunal de Cotonou, pour ma campagne contre lui (soi-disant menaces de mort sous conditions, troubles politiques graves de nature à compromettre la sécurité publique, etc..,), condamnations dont le total s'élevait à plus de cinquante années de prison ferme et soixante quinze ans d'interdiction de séjour » (Louis Hunkanrin, ibidem). Pour échapper aux poursuites, Louis Hunkanrin dut se réfugier dans la clandestinité pendant les premières années de la guerre 1914-1918. Etabli à Djoffin (Nigeria), il continuait à bombarder le Gouverneur de lettres ouvertes de dénonciation, affichées jusque dans ses bureaux. « De ma thébaïde dénommée par mes partisans Banusô, c'est-à-dire dans notre langue «ne parle qu'à ton cœur», car il n'y a plus de gens sincères, tout le monde est menteur, un journal clandestin manuscrit, intitulé Le Récadaire, fut fondé par Paul Hazoumè et par moi... » M. Noufflard, les cartes du Dahomey et du Nigeria sous les yeux s'évertuait en vain à dépister- sur ces cartes le « Banusô » où je m'étais réfugié ! » (Louis Hunkanrin, ibidem). Noufflard, dont les agissements avaient passé les bornes, jugé au surplus incapable, fut rappelé et dut s'embarquer à Lagos pour échapper à d'éventuelles manifestations. Mais son successeur Fourn maintint les mandats d'arrêt émis contre Louis Hunkanrin. Rappelant cette époque, Hunkanrin écrit encore : « L'éveil politique au Dahomey fut l'œuvre du mouvement des notables qui avaient 50 à 60 ans au lendemain de la première guerre mondiale. » Les jeunes gens, pour la plupart fonctionnaires et employés de commerce, craignaient pour leurs places, car pour un oui ou pour un non, c'était le licenciement, la prison et des sévices inhumains. D'autre part, formés dans les écoles congréganistes où l'instruction religieuse dominait, les jeunes gens subissaient l'emprise de la religion et n'avaient pas conscience du danger que courait le pays. « Pas d'histoires » était leur devise ». Louis Hunkanrin et son collègue Paul Hazoumè, dans ce mouvement, faisaient exception. Un tournant fut marqué dans cette période de la vie de Louis Hunkanrin par le passage au Dahomey de Biaise Diagne, dont il avait été le collaborateur, alors investi des fonctions de « Commissaire de la République dans l'Ouest africain » pour le recrutement des troupes. Informé de la situation dans laquelle il se trouvait, Biaise Diagne se fit remettre par le Procureur de la République les mandats d'arrêt décernés contre lui, exigea qu'il ne fût plus inquiété, et lui demanda de l'aider dans sa mission. Louis Hunkanrin réunit 120 volontaires et s'engagea lui-même pour trois ans. Il fut envoyé sur le front d'Orient. Après l'armistice, il est nommé Secrétaire d'Etat-major et, en liaison avec Diagne, s'emploie à révéler et à déjouer les abus dont étaient victimes les tirailleurs Sénégalais. Mais bientôt le malentendu éclate. Diagne entendait avoir conclu un « marché » faisant de son obligé un instrument de sa politique personnelle, là où Hunkanrin avait voulu manifester son désintéressement et l'absence de toute arrière-pensée anti-française. Hunkanrin refuse le poste que Diagne voulait lui faire donner au Dahomey clans cet esprit, comme « mouchard » du député et complice de l'administration coloniale. «Si j'avais accepté ce plan, écrit Hunkanrin, j'aurais eu tout à volonté, mais c'eût été au détriment de mes amis et clé la population qui, confiants en moi, n'avaient cessé de me soutenir dans la lutte. Je déclinai l'offre. D'où la brouille. » Ayant rompu avec Diagne, dont l'orientation procoloniale s'affirme de plus en plus, Hunkanrin fonde Paris le Messager dahoméen, journal consacré à la lutte anticolonialiste. Il participe avec le Dr W. E. B. Du Bois au deuxième Congrès panafricain à Paris (1921). C'est sans doute en 1922 que Louis HUNKANRIN regagne le Dahomey et y reprend la tête de l'organisation mise sur pied dès 1914. Entre temps, le député radical Maurice Violette avait obtenu l'annulation des condamnations portées contre lui. Mais de retour au pays, la répression ne va pas tarder à le frapper à nouveau. En Février 1923, l'augmentation des impôts (droits dé marché notamment) et l'abus du travail forcé provoquent des manifestations à Porto-Novo. L'administration saisit l'occasion pour frapper un grand coup : état de siège, déploiement de forces militaires, mais surtout arrestation de la plupart des dirigeants du mouvement fondé par Hunkanrin. « Sauf dix ou douze des membres de ce mouvement qui pourront, échapper à la répression, écrit Hunkanrin, nous fûmes tous arrêtas et condamnés, les uns à des peines de prison allant de 6 mois à 2 et 5 ans, les autres à la déportation (internement dans les régions les plus arides de l'A.O.FJ. Le prince Sognigbé Mipon « et moi-même fûmes internés en Mauritanie pour dix ans, lui à Tichitt, moi à Kiffa». La déportation administrative en Mauritanie, par ses résultats « statistiques », selon le Gouverneur Angoulvant, équivalait à la peine capitale... Les intéressés reçurent d'ailleurs, avant Je départ, le conseil de rédiger leur testament. Agé, malade, privé de soins médicaux et parfois de nourriture, le prince ne survécut pas longtemps à sa condamnation. Hunkanrin, plus robuste, mais surtout animé d'une volonté farouche, survécut ; plus encore, il continua le combat... D'abord mis en cellule à Kiffa, il est transféré à Tichitt après la mort du prince Sognigbé Mipon, puis déplacé de ksar en ksar : Akarijitt, Tidjikja, Tamchakett. . Dès le 21 Septembre 1923, il dépose une plainte en justice contre ceux qu'il accuse d'être à l'origine des mesures qui le frappent. l'administration confisque ses lettres. Lorsque sa plainte, renouvelée, est enfin instruite par un magistrat, celui-ci est aussitôt déplacé, et remplacé par un administrateur qui classe le dossier « sans suite... ». En 1.930, à Tidjikja, il se fait l'avocat des esclaves maltraités par les Maures, multiplie les interventions, obtient la libération de certains d'entre eux par décision judiciaire. Les féodaux maures et l'administrateur local obtiennent du gouverneur le déplacement d'Hunkanrin qui, selon eux, menace la sécurité publique ! On l'envoie à Tamchakett. Deux esclaves libérés par lui qui avaient réussi à le rejoindre sont arrêtés, condamnés à 15 jours de prison administrative et livrés à leurs anciens maîtres. Louis Hunkanrin adresse une plainte au procureur de la République à St-Louis (10 Avril 1931) puis réussit à faire parvenir en France le dossier qu'il a établi sur l'esclavage en Mauritanie et sur la manière dont il est protégé par l'administration coloniale, au mépris des proclamations officielles. En France même, la cause de Louis Hunkanrin n'avait cessé d'être plaidée, en premier lieu au sein de la Ligue des Droits de l'Homme dont il était un militant ancien et en vue. Non sans problèmes, car le « lobby » colonial avait des hommes jusqu'au Comité Central de la Ligue, qui s'efforcèrent d'étouffer l'affaire. Hunkanrin reçut néanmoins l'appui de Félicien Challaye, agrégé de philosophie, ancien membre de la mission d'enquête dirigée par Brazza au Congo en 1905, et d'Elie Reynier, professeur d'histoire et géographie à Privas. C'est Flie Reynier, Président de la Fédération ardéchoise de la Ligue qui préfaça et publia en brochure le dossier communiqué par Hunkanrin sous le titre « L'esclavage en Mauritanie ». Hunkanrin obtint le déplacement du Gouverneur de Mauritanie, Chazal, compromis dans le trafic d'esclaves, mais dut accomplir jusqu'au bout ses dix années de déportation. II. fut enfin libéré en Septembre 1933 et autorisé à revenir à Porto-Novo. Espérant que l'épreuve l'aura « assagi » et qu'on pourra ainsi le « tenir en mains », le Gouverneur Général Brévié le réintègre dans l'administration et l'affecte à l'étude des coutumes locales, dans le cadre du grand travail de rédaction des « coutumiers juridiques » de l'A.O.F. alors en cours. Mais Louis Hunkanrin conduit cette tâche à sa manière. Il reçoit et écoute les plaintes de ses compatriotes ; le rapport, qu'il rédige tend moins à codifier des « coutumes » périmées qu'à les faire évoluer dans un sens libéral. Cette manière de procéder est peu appréciée à Dakar où l'on propose son licenciement... Hunkanrin renonce bientôt à ce travail dont il mesure l'inanité, pour revenir au journalisme. En fait, il avait déjà repris cette activité dès 1933, mais sous pseudonyme, étant donné ses fonctions officielles. Depuis 1923 en effet, les journaux s'étaient multipliés au Dahomey — modestes feuilles à parution irrégulière — grâce à trois circonstances : l'existence d'une clientèle de lecteurs, l'achat par quelques Dahoméens de presses à imprimer (même à Dakar, seuls l'administration et le groupe Del mas — Grande Imprimerie Africaine — monopolisaient les moyens d'expression), l'intervention d'un magistrat réunionnais qui autorisa — contre l'administration — les « sujets » à occuper les fonctions de gérants responsables. Louis Hunkanrin collabora activement à La Voix du Dahomey, et au Courrier du Golfe du Bénin, où il dénonça les abus coloniaux. De 1934 à 1936, il est impliqué dans le procès de La Voix du Dahomey ; les rédacteurs du journal sont poursuivis pour avoir révélé une affaire de corruption mettant en cause un haut fonctionnaire colonial... On les accuse de « détournement de correspondance officielle», de «détention d'armes» (on a trouvé chez l'un des rédacteurs quelques cartouches!) enfin, d'« atteinte au respect dû à l'autorité française » en vertu clés décrets Rolli n-Régnier... Hunkanrin sera condamné avec ses collègues — condamnation bientôt, levée par le Front Populaire qui vient d'arriver au pouvoir. Mais ici intervient un épisode pénible pour Louis Hunkanrin, victime de sa bonne foi. Manœuvré à son insu par un. administrateur français (qui lui avait fait part en privé qu'il partageait ses convictions, mais qui était en réalité en service commandé), il fut considéré comme déserteur de son ancienne cause et dut se retirer de l'arène politique. Les circonstances tragiques de la guerre et de la défaite française de 1940 allaient lui donner l'occasion de se justifier. Il entre aussitôt dans la résistance au régime vichyste, assurant les liaisons avec Lagos. Il est arrêté le 1er Janvier 1941. (avec deux dahoméens, Wabi et Albert Idohou, et un policeman nigérian, Adewale). Ses compagnons seront condamnés à mort et fusillés. Lui-même, faute de preuves, bénéficie d'un non-lieu. Mais il n'est pas libéré pour autant... Le régime vychiste veut se débarrasser de lui et avec la complicité d'un avocat véreux le fait poursuivre pour « faux et usage de faux en écritures publiques». Il est condamné à huit ans de réclusion ; il proteste et on lui inflige une peine supplémentaire pour «outrage à magistrat». Il est relégué au camp pénal de Tougan (Mali). En vain, il multiplie les protestations, réclame une révision de son procès... Vichy tombe, la libération arrive, Hunkanrin reste relégué et ses plaintes «classées sans suite ». Lorsqu'il est enfin libéré en 1947, c'est avec une interdiction de séjour de dix ans sur tous les territoires de l'A.O.F. ! Il faudra une campagne d'un « Comité de défense » fondé au Dahomey et du « Secours populaire de France » pour obtenir sa réhabilitation et l'ouverture d'un procès contre les faussaires qui avaient « monté » contre lui le procès de droit commun de 1941. Par Jean Suret-Canale, 1974, in" La Vie et l'Oeuvre de Louis Hunkanrin, 1977, sous la direction de Guy Landry Hazoumè
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