Le discours de Me Adrien Houngbédji est un discours programme subtil, tout en humilité. Le nouveau Président de l’Assemblée nationale a même fait état de ses défauts, presque à la manière japonaise où humilité rime avec auto-humiliation ; il a usé d'euphémisme et d'ellipse, pour que personne ne se sente visé, parce qu'il n'y exprime que le bien du pays, pas le mal contre tel ou tel. Discours de sagesse d'un homme blanchi sous le harnais de la politique et qui a décidé de dédier le reste de ses forces à l'essentiel. Pour un homme dont l'un des défauts est la rigueur morale en politique, Me Adrien Houngbédji, à défaut de prononcer le discours d'investiture à la présidence qu'il méritait en 2011, n'est pas moins heureux, à ce moment clé de la vie politique nationale, d'être investi à la tête de l'institution où se font les lois, et qui de ce fait a un droit de regard sur l'ordonnancement de la période de transition politique que nous abordons à grands pas. Dans sa parole sobre, Me Adrien Houngbédji a du mal à cacher sa certitude que la tâche qui lui incombe requiert de tous l'attachement aux valeurs de la démocratie, le respect des lois et des règles qui la régissent. Il est donc heureux pour une fois de lâcher la bride à l'un de ses défauts : la prévalence de la raison en politique. Cette détermination semble à ses yeux un objectif essentiel et une condition suffisante pour mener à bon port sa mission. D'où le refus sincère de polémique, le regard porté sur l’essentiel, le souci de concertation qui traverse le discours. Quand le Président Houngbédji dit « Je serai le président de tous », c'est à ce souci de tolérance, d'inclusion et de concertation qu'il fait référence, et ce conformément à sa volonté de ne heurter personne. Et pourtant, subsiste dans ses omissions et ses sous-entendus comme l'ombre portée d'une démarcation presque manichéenne entre le bien et le mal. Par exemple, si Me Adrien Houngbédji a cité tous ceux qui ont contribué à son élection, s'il a rendu hommage à ses prédécesseurs sans exception, il n'a pipé mot de Monsieur Yayi ni en tant qu'institution – Président de la République, premier personnage de l'État, – encore moins en tant que personne. Ce silence lourd de signification se passe de commentaire. Pour un homme qui applique la sagesse au combat politique, et qui aspire au triomphe de la raison, le silence et l'omission, lorsqu'ils sont poussés à ce point à leur limite extrême, en disent plus long que les critiques ouverts ou ad hominem, sources de tensions inutiles. En clair, Me Adrien Houngbédji invite à entendre en sourdine sa pensée critique dans le non dit ou le silence de sa voix de concorde. De même, son allusion à « l'allégorie des deux télécommandes » qu'il renvoie dos à dos dans leur vicieuse emprise sur la vie politique, est un chef-d’œuvre d’affirmation éthique qu’il prend soin du reste d’étayer. Outre la critique sous-jacente des mœurs politiques qui se sont détériorées ces dix dernières années sous l'influence de l'argent roi, Me Adrien Houngbédji affirme en vérité son indépendance ; il rappelle à suffisance que l'issue des élections à tous les niveaux traduisait la volonté du peuple, et c'est à l'en croire le plus important. Mais revenons à ce fameux et ô combien subtil « je serai le président de tous ». Une phrase simple, qui n'a d'ailleurs aucune originalité tant elle est devenue une formule convenue de maints présidents en Afrique avant de retourner dans le marais des préférences régionalistes, politiques ou factionnelles, dans la fange des luttes de clocher ou d'obédience qui sont source de division nationale. Mais en vérité, sous ses dehors de simplicité, dans la pensée et la bouche de Me Adrien Houngbédji, cette phrase est plus dense qu’il n’y paraît. Elle n'est que la forme dépolitisée d'une phrase similaire prononcée par le nouveau Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, lors de son investiture lorsqu'il a dit, « I belong to everybody, I belong to nobody », En clair Buhari disait qu'il appartient à tous, et qu'il n'appartenait à personne, Il va sans dire que le Président de l’Assemblée nationale fait sienne la phrase du Président Nigérian. Mais comme son discours est tout entier placé sous le signe de la concorde -- aussi bien vis-à-vis de sa majorité à géométrie politique variable, que vis-à-vis de ce qu’il faut bien appeler l’opposition présidentielle -- Me Adrien Houngbédji met un bémol à son discours bien qu’il n’en pense pas moins. Et la différence apparente entre ces deux phrases -- la résonance elliptique de l'une et l'affirmation sans ambages de l'autre -- symbolise à merveille tout l'effet critique de son discours de sagesse. Me Agossou Barthélemy |
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