Mais ils ont tout faux, ces beaux esprits qui s'indignent à vide. Car Yayi Boni n'est pas allé marcher à Paris pour les raisons qu’ils croient, supposent ou invoquent. Selon le fâ qui a été consulté, les motifs de la marche parisienne de Yayi sont à la fois ailleurs et multiples. De ces motifs, il y a même lieu de supposer la possibilité d'une lueur d'espoir. Selon le fâ, Yayi Boni n'est pas parti pour on ne sait quelle liberté d'expression, puisqu'il réprime celle-ci à domicile, à tous les sens du mot domicile, mais il est parti en France pour plaire à la France et lui complaire ; il est parti en France pour être compté parmi ceux qui ont fait le déplacement parisien et tiennent de ce fait la France en haute estime ; c'est donc un « mitoyémin » de la plus haute volée qu'il a réalisée. Yayi Boni est parti, et il paraît même qu'il aurait versé des larmes parce qu'il espère qu’on pensera en haut lieu françafricain qu’un homme aussi sensible ne peut pas être complètement mauvais. Il est parti en ce moment où la tragédie de Charlie hebdo a fait monter les enchères émotionnelles en France, pour qu’en retour, la France officielle le compte parmi ses amis de cœur ; Yayi Boni est donc parti en France pour s'assurer un statut bien meilleur à celui d'homme de mains qui est le sien présentement. Ce faisant, il espère que la France le lui revaudra. De ce point de vue, c’est un pari qu'il prend sur l'avenir. En caressant la France émue dans le sens du poil, Yayi Boni espère qu'un jour, elle saura lui renvoyer l'ascenseur. Et cet espoir n'est pas sans lien avec l'agenda qu'il caresse, celui du projet « après nous c’est nous ». De ce point de vue, deux versions possibles de la connivence française dans son agenda sont envisageables et envisagées en tout cas par Yayi Boni lui-même. La version basse, qui a mal tourné actuellement au Nigéria, consiste à céder le pouvoir dans les normes et les formes, mais en faisant élire une marionnette dont on détiendrait les ficelles. L'expérience montre que, une fois élu, l'ivresse du pouvoir devient incompatible avec la condition de marionnette, les choses se gâtent et c'est tout le pays qui en paye le prix. Sous ce rapport, signalons par parenthèse que les Béninois feraient mieux de garder Yayi Boni après 2016 plutôt que de se laisser induire à élire une de ses marionnettes. Ce conseil correspond à l'objet de la version forte de l'agenda « après nous c'est nous ». Selon ce schéma, par l’instrumentalisation de la cour constitutionnelle qui a déjà si bien commencé à jouer sa partition, via l'obtention d'une majorité massive à l'assemblée lors des élections législatives opérées sur une liste électorale fantôme, Yayi Boni parviendra vaille que vaille, dans une apparente régularité formelle, à convaincre le Bénin et ses amis de l'extérieur, notamment ses amis de cœur français qu'il se représente aux élections en 2016 dans le cadre d'un changement de république qui lui en donnerait le droit conformément à des décisions complaisantes qui auront été prises dans ce sens par une cour constitutionnelle tout aussi complaisante. Dans cette situation, le soutien français, de son ami François Hollande, serait le bienvenu, sinon un soutien actif du moins dans le genre tacite comme savent si bien le faire les français en jouant les aveugles au moment où les peuples africains résistent à l’oppression de leurs autocrates. C’est ce rêve qui porta Yayi Boni dans sa marche du 11 janvier à Paris, en soutien non pas tant à la liberté de la presse dont il se soucie comme d'une guigne mais en expression de sympathie vis-à-vis de ses maîtres françafricains qui lui ont certes donné le job de président du Bénin ; un CDD qu’il espère transformer en CDI, façon Eyadema ou Bongo. Mais à côté du rêve qui porta Yayi Boni dans sa marche du 11 janvier à Paris, le fâ relève aussi comme la silhouette d'une inquiétude, l'ombre portée d’un cauchemar que ce voyage et la marche parisiens visaient en quelque sorte à exorciser ou plus exactement à sublimer. Avec ce qui s'est passé au Burkina Faso même en rêvant sur un soutien français au coup d'état constitutionnel qu’il prépare, Yayi Boni a de sérieuses raisons de douter de son plein succès. Et c’est peu dire. Il a compris qu'il y a une logique de gauche qui conduit actuellement la Françafrique à une mutation, et celle-ci, du Sénégal au Burkina Faso est fatal aux autocrates et présidents à vie. De ce point de vue, M. Yayi Boni se doute qu'il vit ses derniers moments de président de la république. Même dans l'hypothèse plus crédible et soutenable par la France de la version basse de son agenda « après nous c'est nous », il y aura un couac dans l'une des choses qu'il a le plus aimées dans la fonction présidentielle : l'occasion qu'elle lui donne d'être avec les « grands de ce monde ». Ce faible-là, Yayi Boni l’a très vite étrenné aussitôt devenu président. C'est cela qui l'a fait courir sans arrêt pendant les deux ou trois années qui ont suivi son élection. L'homme ne se tenait plus de joie ; il lui fallait coûte que coûte écumer les grandes capitales du monde, de l'Afrique à l'Amérique, de l'Europe à l'Asie. Il prenait un plaisir sans bornes à fouler les tapis rouge, à serrer les mains ou faire des accolades aux « grands de ce monde. » Il abusait volontiers de la synonymie du mot président de la république, au nom de laquelle on peut mettre a priori sur le même pied d’égalité le président des Etats-Unis et le président de la Gambie. Ce mot signifiait pour lui une race d'hommes ou de femmes considérables à laquelle il appartenait et il en était fier, même si son pays était l'un des plus pauvres de la planète. Comme pour ne pas oublier ce titre, il fallait qu'il se frottât à ses pairs. Si dans un avion un patient souffrait et que les hôtesses demandent : « y a-t-il un médecin à bord ? » Et si d'aventure le seul médecin se levait avec fierté, tous les passagers le regardent avec respect et admiration. Yayi Boni a toujours rêvé que dans les assemblées où il se retrouvait de façon plus ou moins anonyme qu'une voix s'écriât : « y a-t-il un président de la république parmi nous ? » Alors il se lèverait, couvé par le regard de respect et d'admiration de la foule. C'est pour cela qu'il court, c'est pour cela qu'il a couru, zigzaguant dans le ciel comme un éclair sans tonnerre, voyageant sans arrêt, souvent avec des délégations pléthoriques pour montrer de quel bois il se chauffe, et à l'occasion faire profiter à ses nombreux griots et sbires de la joie et de la fierté qu'il éprouve à être avec ses pairs du monde. Peu importe si, au passage, le Bénin est ruiné, pourvu que notre président ait son ivresse fantasmatique. Or, c'est la fin de cette ivresse qu’annonce la fin du statut, de la fonction et du mandat présidentiels. Signalons qu'après avoir harcelé ses pairs durant les deux premières années qui ont suivi son élection, en se faisant inviter à tour de bras, ceux-ci ont fini par se lasser de sa fréquentation jugée souvent ennuyeuse et stérile. Et, à côté de cela, ils ont aussi vite fait de faire le tour du personnage : un nègre ordinaire qui, en dehors des voyages en avion, ne vole pas très haut en termes d'éthique et de vision. Alors quand on a reçu le personnage une fois, on se dit qu'on en a eu sa dose. Ceci explique pourquoi, pendant ces années de vadrouille planétaire, Yayi Boni était celui qui allait vers les autres mais presque aucun de ses hôtes du monde ne lui rendait la pareille. Et quand il a épuisé leur nombre et son charme et que personne ne l'invitait plus, Yayi Boni a dû faire violence à sa boulimie voyageuse. Si bien que la chute de la cadence effrénée de ses voyages non-stop autour du monde que tout le monde a pu constater n'est pas due au fait qu'il aurait été pris d'une soudaine pitié pour les caisses de l'État mises à rude contribution pour réaliser ses lubies, mais plutôt parce que, faute d'avoir des mains de « grands de ce monde » à serrer, des tapis rouges officiels à fouler, Yayi Boni s'est résolu à se calmer. De ce point de vue, la marche de soutien de Paris était une occasion inespérée. Voilà donc une chance inouïe d'avoir en une seule journée tous les « grands de ce monde » réunis. Pour une dernière fois, ne sachant pas quand pareille occasion se reproduirait, il plongerait dans le bain de ses pairs, devenu soudain si rare. Il saluerait peut-être pour une dernière fois les uns et les autres, renouerait des rapports qui étaient au point mort, se ferait de nouveaux amis et pourquoi pas aurait l’insigne occasion de boire à la santé de tous du bon champagne de France ! Telles sont les raisons réelles pour lesquelles Yayi Boni est parti marcher à Paris le 11 janvier, nous apprend le fâ. Ceux qui lui font un procès en contradiction doivent donc se raviser et mettre un peu de l'eau dans leur vin ; ils doivent cesser de lui chercher la petite bête, conseille le fâ. Certes, surtout venant du côté de la presse, on comprend leur indignation ; on comprend que la cérémonie de Paris ayant mis en lumière leur frustration, ils veuillent en faire payer le prix à Yayi Boni. Mais il est inutile qu'ils se cachent derrière leur petit doigt, nous dit le fâ. Le fâ conseille aussi de ne pas sauter sur l'occasion d'une contradiction avant de crier à l'insoutenable accaparement des médias, l'ignoble monopole exclusif que Yayi Boni s'est taillé dans le domaine de l'accès à l'information, la réduction drastique de la liberté d'expression des citoyens et des partis politiques. Cette atmosphère de pensée unique où le débat a déserté le forum est, selon le fâ, trop rance pour être à une contradiction près.
Alan Basilegpo
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