La semaine dernière deux déclarations d'importance ont agité l'opinion politique et médiatique du Nigeria ; prononcées par deux femmes ministres du gouvernement de Jonathan à des postes économiquement stratégiques pour le pays. Il s'agit de la ministre de l'économie et des finances, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, et de Mme Diezani Alison-Madueke, la ministre du pétrole. Cette dernière a déclaré que le Nigeria devrait continuer à importer des produits pétroliers durant les 20 prochaines années. Tandis que la ministre des finances a annoncé que la baisse en devises étrangères qui affecte les réserves nigérianes s'était poursuivie ; et que celles-ci s'établissaient à 38 milliards de dollars. 38 milliards, c’est trois mois de réserve, ce qui devrait conduire le pays à emprunter au moins 5 milliards de dollars pour faire face à ses besoins financiers. Ces deux déclarations--alarmantes ou réalistes--ne font que traduire la situation contradictoire de l'économie nigériane entre ses potentialités immenses et ses blocages ou tares endémiques. Les raisons fournies par la ministre du pétrole pour justifier sa déclaration étaient que le pays n'avait pas assez de raffineries et que les trois existantes ne fonctionnent pas à pleine capacité. Affligeante réalité, lorsque l'on sait que le Nigeria est le seul pays de l'OPEP qui importe son pétrole raffiné. Dans les années 80 pourtant, avec ses trois raffineries, le Nigeria était exportateur de produits pétroliers. Que s'est-il passé entre-temps pour que 90 % des produits pétroliers directement consommés au Nigeria soient importés ? Que s’est-il passé pour que les habitants d’un des plus grands pays producteurs de pétrole au monde passent des heures interminables dans des queues gigantesques pour se ravitailler en essence ? Comparé à la plupart des pays de l'OPEP, la situation du Nigeria est déconcertante par sa vicieuse singularité. Par exemple l'Algérie et la Libye ont chacun 5 raffineries ; l'Afrique du Sud qui n'est pas un pays producteur de pétrole possède 6 raffineries ; la Malaisie possède 7 raffineries. L’Égypte et l'Iran possèdent chacun 9 raffineries ; l'Irak et l'Arabie Saoudite possèdent chacun 11 raffineries ; les États-Unis possèdent 142 raffineries ! La situation des raffineries existantes au Nigeria est déplorable. La plupart d'entre elles sont d'abord de faible capacité et fonctionnent rarement à plein régime. Ainsi la raffinerie de Kaduna a une capacité de 110 000 barils/jour ; celle de Port Harcourt est de 210 000 barils/jour et celle de Warri, 125 000 barils/jour. La nécessité d'accroître le nombre de raffineries dans le pays est admise par tous les grands décideurs sauf que, entre leur volonté et leurs actions, il y a souvent un grand fossé. Par le passé, des tentatives diverses ont été initiées pour construire des barrages mais elles ont fini en queue de poisson ou en éléphants blancs. Actuellement, l'homme le plus riche du Nigeria, M. Alikote Dangote envisage de construire une raffinerie, mais cette bonne volonté reste à l'état de projet. Alors la question qui vient à l'esprit est : pourquoi le gouvernement nigérian n'est-il pas pressé de pousser à la construction de raffineries et de faire de leur bon fonctionnement une priorité ? Eh bien, la réponse est assez simple : il s'agit pour le gouvernement d'éviter des conflits d'intérêts. Ceux qui importent les produits pétroliers vont se retrouver sur le carreau dans l'hypothèse d'une floraison de raffineries effectives dans le pays. Or la plupart d'entre ces « Oil Marketers » comme on les appelle, se recrutent parmi les amis financiers des hommes politiques. Exemple M. Femi Otedola, l'un de ces grands marchands du pétrole est un ami financier personnel de Jonathan. Pourquoi le gouvernement se décarcasserait-il pour construire des raffineries alors que ce même Femi Adetola peut gagner 398 millions de dollars en 90 jours ? En tout cas le bizness du marketing pétrolier fait florès au Nigeria depuis plusieurs années. Ainsi, on est passé de six marketers à 10 en 2007, puis à 19 en 2009, et en 2011 à 140 marketers dans le pays ! Et puis la question des raffineries et du peu d'empressement que mettent les pouvoirs publics à y répondre est à mettre en parallèle avec la question des subventions du prix du pétrole en faveur du consommateur nigérian. Depuis plusieurs années, la caisse de subventions est au coeur d'un scandale financier. 6,8 milliards de dollars ont disparu de cette caisse en l'espace de trois ans, et ce en toute impunité. Il y a eu un début de procès, mais comme toujours au Nigeria, tout cela s'est terminé dans le brouhaha et le sommeil judiciaire orchestré par les coupables potentiels. L'autre raison pour laquelle les pouvoirs publics ne sont pas pressés d'accroître le parc des raffineries, ou de réparer celles qui existent est en rapport avec la production et la distribution de l'énergie électrique dont la situation est des plus calamiteuses depuis plusieurs décennies. Le Nigeria dépense chaque année 4 milliards de nairas en fuel pour faire tourner des groupes électrogènes ! En effet plus de 60 millions de Nigérians possèdent des groupes électrogènes. Si les raffineries étaient réparées ou construites, l'entente des importateurs de produits pétroliers et des vendeurs de groupes électrogènes subirait un manque à gagner fatal pour leurs affaires.
On l'aura compris, les dysfonctionnements et anomalies qui affectent l'économie politique du Nigeria sont savamment créés et entretenus par l'alliance entre les hommes politiques et les hommes d'affaires. C’est cette alliance diabolique sur le dos de la grande majorité du peuple qui explique la situation paradoxale d'un Nigeria, potentiellement riche mais pratiquement pauvre où tout ce qui marche ailleurs dysfonctionne dans le pays. Un pays où, en nombre, les riches sont pauvres et les pauvres sont riches...
Binason Avèkes
ibinimori
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