La lutte contre Boko haram est aussi une lutte pédagogique et citoyenne, ce que ne font pas ou pas suffisamment ni le pouvoir ni les médias ni les intellectuels nigérians. La première cause du désordre et de la violence terroriste qui frappent la société nigériane sous le nom de Boko haram relève d’un principe éthique partagé : à savoir le fait que ni la société ni l’état n’affirme leur laïcité comme un absolu, et que la religiosité qui ruissèle partout ait droit de cité dans les esprits et les pratiques au mépris d’une approche séculaire de la vie sociopolitique. Si bien que toute personne ou tout groupe qui prétend poser un problème d’ordre religieux dispose a priori d’une audience et d’une légitimité politique. En effet, ni le pouvoir ni les médias ne soulignent suffisamment la genèse et la motivation essentielle de Boko haram. Boko haram est né parce que le président du Nigéria, depuis Obasanjo, n'était plus nordique ou musulman, comme c’était le cas du temps de la période dictatoriale. Dans le Nord musulman du Nigéria, la mentalité est acquise à l'hégémonie politique incarnée dans la fonction présidentielle que les nordistes estiment leur échoir de droit naturel. Cette idée était déjà exprimée par le premier ministre du Nigéria indépendant, Abubakar Tafawa Balewa, qui estimait en 1960 que, « la nouvelle nation appelée Nigeria doit être le domaine de notre aieul Ousmane Dan Fodio. Nous devons impitoyablement empêcher un changement de pouvoir. Nous devons utiliser les minorités du Nord comme des outils assujettis à notre volonté, et le Sud comme des territoires conquis, et ne jamais leur permettre d'avoir le contrôle de leur avenir. »
C'est sous la présidence d’Obasanjo--un chrétien born again, qui ne s'en cache pas-- que la première réaction de rejet des nordiques s’est exprimée avec l’institution de la charia dans la plupart des états du Nord, au mépris de la constitution fédérale. Et c'est au milieu du deuxième mandat d'Obasanjo qu'on a commencé à entendre parler de Boko haram, qui se signalait alors par des violences mineures qui, comparées aux exactions criminelles et guerrières d'aujourd'hui, n'étaient que symboliques. La modération de Boko haram sous la présidence d'Obasanjo pouvait s’expliquer par le fait que le sud-ouest yoruba dont il est originaire n'est pas perçu par les nordiques comme une région chrétienne parce que, outre un état comme Kwara qui est en grande majorité musulman, plus d'un État yoruba ou simili/proto-yoruba du sud et du centre Ouest comme l'État de Kogi est peuplé par des musulmans. D'une manière générale au moins 45 % des Yoruba sont musulmans. Cette perception des Yoruba comme étant en partie des cousins musulmans et des voisins géographiques et historiques peut expliquer la relative tolérance du groupe Boko haram et sa modération sous la présidence d'Obasanjo. Mais, avec l'arrivée au pouvoir de Goodluck Jonathan, arrivée dans la frustration consécutive à la mort en exercice du président nordique et musulman Yar’adua, le volcan Boko haram, jusque-là endormi, s'est réveillé et depuis lors se signale par une activité intense, placée sous le signe d’une violence croissante ; avec une organisation militaire et des velléités politiques de captation territoriale menaçant l'intégrité territoriale du pays. Pourquoi Boko haram est-il devenu intransigeant et violent sous Goodluck Jonathan ? Parce que, à l'instar d’Obasanjo, Goodluck Jonathan est un chrétien qui ne s'en cache pas. Un chrétien venu au pouvoir selon ce qu'il considère publiquement comme la volonté de Dieu. Seulement, pour les musulmans du Nord et la nébuleuse sectaire de Boko haram, le Dieu chrétien et le Dieu musulman sont distincts et irréductiblement conflictuels. Comme au temps des croisés, les chrétiens sont tenus pour des infidèles à combattre sans faiblesse. Il y a à l'encontre de Goodluck Jonathan, de la part du groupe Boko haram et de leurs nombreux soutiens tapis dans l'ombre, une haine personnelle qui est d'abord dirigée contre le chrétien originaire d'une région chrétienne. Après huit ans sous Obasanjo, les Nordiques estiment qu’ils ont déjà leur dose de président chrétien, aussi rejettent-ils avec violence Jonathan qui incarne le genre de chrétien qu’ils abhorrent, à savoir un chrétien issu d’une région chrétienne. Ajouté à cela, le Delta du Niger d’où Goodluck Jonathan est originaire est la zone qui, à ses dépens écologiques, produit le pétrole dont dépend tout le reste du Nigéria, y compris le Nord. Cette dépendance des nordiques musulmans vis-à-vis du sud chrétien provoque une haine redoublée, réaction négative d’amour-propre qui ressortit d’une dénégation symbolique de la dépendance. Du coup, le Nord ne se délivrerait--du moins dans l'esprit de ses plus fervents représentants-- de cette vexation paradoxale de la générosité de l'ennemi chrétien qu'en prenant le pouvoir, qu'en se donnant le sentiment à soi-même et aux autres que le dispensateur ultime de la richesse nationale ce n'est pas le Delta pétrolier mais l'État fédéral dont ils auraient les commandes. Si bien que les violences, les attaques terroristes, les kidnappings, les actes de guerre quotidiens qui défient l'armée nationale ne sont que des actes inspirés par la haine religieuse du Nord musulman contre le chrétien en général, et particulièrement contre les chrétiens de ce sud du Delta dont provient la richesse nationale, le pétrole et qui par surcroît détient la présidence fédérale tant convoitée. Or donc, s'il en est ainsi, c'est un échec de la part du gouvernement nigérian, de son premier responsable, de ne pas suffisamment exposer les ressorts et les dessous du climat de désordre et de violence aveugle instauré par une bande de haineux radicaux. Au lieu de caractériser Boko haram du terme générique de terroriste qui est probablement le mot le plus fourre-tout en ce siècle, la lutte contre cette idéologie de la haine ethno-religieuse, cette exacerbation démentielle de l'intolérance aurait gagné à être plus explicite, en appelant l'ennemi par son vrai nom. Il s'agit d'une bande de racistes, violemment antichrétiens qui pensent que leur race est venue au monde pour gouverner, présider aux destinées des autres et que l’accession d’un chrétien du sud chrétien à la présidence est une abomination insupportable, qu’il faut combattre y compris dans la violence, la barbarie et les atrocités les plus innommables. Cette donnée, Goodluck Jonathan le sait très bien, mais son erreur et celui de son gouvernement c'est de n'avoir pas suffisamment communiqué sur cette réalité de fond ; c'est de ne l'avoir pas exposée clairement et suffisamment à la conscience nationale où le désordre créé par les exactions du groupe pour rendre le pays ingouvernable au président chrétien du sud chrétien l'emporte sur tout le reste. Cette donnée, Goodluck Jonathan le sait bien et son erreur consiste à traiter par le mépris la haine personnelle que lui voue le groupe Boko haram parce qu'il est un chrétien du sud chrétien. C'est d'ailleurs ce mépris qui pousse Goodluck Jonathan à une certaine nonchalance à prendre les mesures et les attitudes idoines pour combattre Boko haram. Par exemple Goodluck Jonathan a mis presque deux mois pour « croire » à l'enlèvement des lycéennes de Chibok, et à se décider à faire quelque chose pour leur libération. Mais, au vu de tout le temps qui a été perdu, il était trop tard pour réussir. Ce mépris porte aussi Jonathan à une certaine indifférence vis-à-vis des populations du Nord victimes immédiates de la barbarie du groupe Boko haram ; une indifférence paradoxale et coupable pour le chrétien qu’il prétend être, lorsque l'on sait que la cible privilégiée et le gros des victimes de Boko haram dans le Nord sont constitués par les populations chrétiennes. Alors que le Nord brûle, saigne et souffre, Goodluck Jonathan, engoncé dans son mépris souverain de Boko haram pour ce que ce groupe représente et pour la haine qu’il lui voue, n'entend rien changer au bel ordonnancement de sa réélection. Les terroristes ont-ils sciemment frappé la veille du lancement de sa campagne électorale, faisant des dizaines de morts et des blessés ? Qu'à cela ne tienne, il en faudra bien plus pour émouvoir un Jonathan qui oppose fermement la bave du crapaud Boko haram à la blanche colombe de son obsession présidentielle. Et de fait, en dépit des promesses fermes d’un seul mandat qu'il avait faites quatre ans plus tôt--et qu’Obasanjo a eu beau jeu de lui rappeler dans sa fameuse lettre polémique--et quand bien même il est évident que l'ivresse du pouvoir est le vice le plus répandu parmi les chefs d'états africains--l'une des raisons pour laquelle Goodluck Jonathan viole allègrement sa promesse supposée et se présente aux élections traduit son mépris de ceux qui le haïssent parce qu’il est issu d’une minorité chrétienne, du Delta pétrolier chrétien. Sa volonté de persister et de s'affirmer, au-delà de l'ivresse du pouvoir, traduit aussi une volonté de défi à l'égard de ses ennemis religieux et ethniques. Si bien que l’échec patent de Goodluck Jonathan à combattre et réduire le désordre causé par Boko haram dans le Nord du pays découle de cette approche haineuse stérile qu'il oppose fermement à ceux qui le haïssent. Car derrière les civilités, la bienséance ou les convenances dignes d’un chef de l'État, brûle le feu inextinguible d'une haine, et d’un mépris qui n'a d'égal que celui qu’administrent les terroristes à travers leurs actes, leur volonté d'humilier, leur refus d'entendre raison ou de dialoguer avec le pouvoir. Le précepte qui conseille de ne pas répondre à la haine par la haine n'est pas seulement un précepte moral mais il est d'abord un principe psychologique qui conditionne la victoire sur l’ennemi. La condition de la victoire est au-delà de la haine de l’ennemi. Si vous voulez tirer sur un fauve qui a tué votre enfant et que vous l’avez mis en joue, vous devez vous départir de votre haine, si vous voulez que votre coup l'atteigne au cœur.
Malheureusement l'état d'esprit de Goodluck Jonathan est loin de correspondre à ce précepte. D’où son incroyable et lamentable échec face au groupe terroriste Boko haram.
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