Jusqu'au 30 novembre dernier date du soulèvement du peuple burkinabé, Yayi Boni gardait ces deux schémas de diversion par-devers lui, comme deux fers au feu. Mais, avec le renversement inattendu de Blaise Compaoré du Burkina Faso, les esprits naïfs ou optimistes peuvent penser que le feu qui réchauffait ces deux fers stratégiques de Yayi Boni s'est éteint et que l'un au moins de ceux-ci s'est refroidi. Mais, à la vérité, en dépit des apparences et de quelques signaux de retour au bon sens, il n'en est rien. Certes, la tempête qui a déraciné le vieux baobab burkinabè ne pouvait être prévu par aucune météorologie politique. Et les dictateurs sont des gens volontiers obnubilés par leur bon vouloir, et dont les yeux ne voient pas ce que voient les gens ordinaires. Le cas même de Blaise Compaoré témoigne à suffisance de ce syndrome d'aveuglement qui affecte l'esprit des dictateurs, pour autant qu'ils aient un esprit. Comment se faire renverser du jour au lendemain par un peuple qui vous a été soumis pendant 27 ans, sans percevoir les signes avant-coureurs de cette brutale vicissitude ? La réponse à cette question est simple : c'est que les dictateurs ne voient qu’eux-mêmes, n'entendent et n'écoutent qu’eux-mêmes et ceux qui dans leur entourage leur susurre de belles paroles lénifiantes ou flagorneuses. Or justement, avant même de montrer les signes de son penchant dictatorial, Yayi Boni était apparu très tôt à tous ceux qui l'ont côtoyé de près comme un homme tourné vers lui-même, qui n'écoute personne, ne voit que ce qu'il veut voir et n'entend que ce qu'il veut entendre, ce qui stimule ses rêves et flatte son ego. Donc d'une certaine manière, passé l’onde de choc des événements du Burkina Faso, Yayi Boni a encaissé le coup mais n'a pas rompu avec son rêve qui est le troisième mandat. La conservation du rêve du troisième mandat, dans un tel cas, passe évidemment par un travail psychologique de rationalisation. L'idée est que--et là-dessus, avec un peu d’imagination on peut entendre Yayi Boni parler tout haut --« ce qui arrive à Blaise du Faso, il n'y a pas de raison que cela m'arrive nécessairement. Certes, s'il avait réussi son coup, c’aurait été pour moi une confirmation et un renfort à mes chances de réussir à mon tour ; mais le fait qu'il ait échoué ne compromet en rien mes chances de réussite à moi. Après tout, on ne peut pas dire que Blaise et moi nous soyons de la même graine. Il n'est pas mon modèle. Lui et moi on ne s’entend pas vraiment. Plus d’une fois il a menacé de faire publier les audits sur ma gouvernance à la BOAD… Après tout moi, je suis venu au pouvoir après une élection démocratique qui a pris du reste la forme d'un plébiscite. J'ai été « réélu » en 2011. Je n'ai pas été épinglé par la CIA pour être un protecteur des réseaux de trafiquants de diamants en Afrique de l'Ouest, et particulièrement au Libéria ; je n'encourage pas des machinations politiques qui conduisent à des guerres civiles dans certains pays d'Afrique de l'Ouest, guerres civiles dont j'aurais profité des retombées économiques et politiques et pour lesquelles je me faisais fort de passer ensuite pour le Monsieur bons offices. Je n'étais pas dans les petits papiers de Kadhafi, même si son financement du CENSAD a bénéficié à mon régime. Et pour tout dire, je n'ai pas passé 27 ans à la tête de mon pays. ». C'est cette rumination in petto dans laquelle on imagine Yayi Boni empêtré depuis le renversement brutal du dictateur burkinabé que l'un de ses hérauts crapuleux est venu étaler à la face du monde et en plein jour sans vergogne ni scrupule. N’hésitant pas à dire tout haut ce que son maître pense tout bas, L’ex et peut-être définitif assassin du juge Coovi qui voue a Yayi Boni une houleuse amitié, s'est livré sur une chaîne de télévision au même exercice de rationalisation. « Le président Yayi Boni n'est pas Blaise Compaoré, dit-il sans rougir. Et, d’élaborer sa pensée : « Yayi Boni est élu démocratiquement. Il écoute son peuple. Il n'a fait que huit ans alors que Compaoré a fait le triple, soit 27 ans… » Comme on le voit, dans la limite du temps imparti par une émission de télévision, tous les tropes de ce discours de rationalisation ont été énumérés. Il s'agit en effet d'un beau morceau de rhétorique au sens aristotélicien du terme. En effet, loin d'être tombés au hasard, les propos du plus déshonorable de nos honorables visaient à convaincre, emporter l’adhésion, rassurer et persuader. Au passage et en définitive, ce qu’il nous dit in fine est assez inquiétant. Nous devons penser que sous le choc de la tempête burkinabé, le roseau Yayi a ployé mais n'a pas rompu. Moyennant une distinction argumentée de leurs parcours, de leurs œuvres sinon de leurs basses œuvres, nous sommes invités à comprendre que toute ressemblance de situation entre le dictateur burkinabé déchu et son homologue béninois est purement trompeuse. La presse béninoise en réaction à ces propos graveleux a pu dire que l'ignoble honorable a volé au secours de Yayi Boni. Mais, au vu de ce qui précède, il n'en est rien. Le député, en bon représentant --hélas non pas du peuple, mais du chef du régime dont il vit--ne faisait que porter la voix de son maître. Il était venu faire passer le message que ce qui venait de se passer au Burkina Faso laissait entièrement intact le rêve de troisième mandat de Yayi Boni. Ce rêve caressé de longue date, longuement mûri et pour lequel le chef de l'État se bat comme un beau diable avec énergie et imagination, passant d'un schéma à l'autre au gré des résistances et des évolutions, selon que tout ou partie de ses stratégies est mise à nu par ses adversaires et la vigilance soutenue du peuple. Au total, la ténacité et la détermination avec lesquelles Yayi Boni se bat pour sauver le rêve du troisième mandat en disent long sur sa fonction. Avec le séisme politique du Burkina Faso, il est évident que les rêves de pérennisation de maints dictateurs francophones d'Afrique ont pris un sérieux coup. Même si les situations politiques spécifiques à chaque pays sont différentes, tout comme est différente la plus ou moins grande implication de l'Occident--États-Unis ou France--dans le processus de leur déchéance. Dans le cas de Yayi Boni, le rêve du troisième mandat ne vise pas expressément un maintien au pouvoir, qui devient de plus en plus hypothétique. Avant de servir à la fin manifeste qui le définit, la fonction latente du rêve du troisième mandat est surtout commerciale. Il sert de monnaie d'échange et de garantie d'immunité contre les mille et un crimes dont le dictateur devenu citoyen ordinaire pourrait être amené à répondre. On comprend alors pourquoi aussi violente et imprévisible que soit la tempête venue du Burkina, elle aurait du mal à faire ployer ce rêve de troisième mandat auquel Yayi Boni tient plus qu'à la prunelle de ses yeux.
Adenifuja Bolaji
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