Il y a quelque chose de grave au Bénin concernant l’obsession régionaliste qui entache les actes politiques. Ce n’est plus le régionalisme lui-même, mais sa naturalisation, le fait qu’il passe inaperçu ou apparaisse comme normal. L’opposition régionaliste, à travers les entités pertinentes elles-mêmes, est naturalisée. En effet, il ne vient à l’idée de personne d’opposer l’Est et l’Ouest. L’opposition pertinente au Bénin -- mais aussi dans les autres pays du même golfe -- est l’opposition structurée et structurante Nord/Sud. Cette naturalisation est appuyée sur le consensus frauduleux de la parité nord-sud. Pour comprendre comment opère ce vice idéologique qui gangrène la politique au Bénin, déjà sourdement voire sournoisement sous Kérékou, mais plus que jamais systématiquement et cyniquement sous Yayi Boni, il faut tenir compte de deux indicateurs. Le ratio démographique nord/sud : Rd ; et le ratio sociologique : Rs. L’indicateur Rd est le quotient de la population du sud par la population du nord ; et l’indicateur Rs est le rapport du nombre de personnes instruites du sud par le nombre de personnes instruites au nord. Au Bénin, le sud est plus peuplé que le nord. Sur 100 Béninois 65 peuvent être considérés comme du sud-- identification basée aussi bien sur leur situation géographique que sur leur faciès culturel et symbolique (langues, religion du Livre de référence, panthéon traditionnel de référence)
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De même pour des raisons héritées de l’histoire et de la géographie -- comme c’est le cas aussi avec tous les pays du golfe du Bénin -- Nigéria, Togo, Ghana -- et notamment le Ghana avec lequel nous comparons ici, tous les pays du golfe du Bénin disons-nous présentent un avantage sociologique du sud sur le nord ; en clair au sud on est plus instruit qu’au nord. Parce que le nord anciennement sous influence islamique et éloigné des côtes par où venaient les Blancs porteurs de l’instruction, était réservé, hostile voire rebelle à l’instruction. Il y a un déficit d’infrastructure scolaire qui pénalise le Nord. Cela explique ce que nous appelons le déficit sociologique du Nord. Au Ghana, au lendemain de l’indépendance, conscient de ce fait, le grand leader panafricain Kwame Nkrumah a fait voter une loi d’aide spécifique en faveur du Nord, qui rend l’école gratuite à tous les Ghanéens originaires du Nord, et ce depuis la maternelle jusqu’à l’université. Cette loi est toujours en vigueur aujourd’hui. Elle a permis de corriger le déficit, mais ne l’a pas enrayé, loin s’en faut. Le sud du Ghana comme le sud du Bénin reste toujours sociologiquement favorisé par rapport au Nord. Cela se traduit dans le ratio de cadres formés originaires de chacune de ces régions. Au Ghana, il faut dire que le régionalisme n’est ni aussi fort ni aussi naturalisé qu’au Bénin, pour au moins deux raisons : la reconnaissance légale du déséquilibre et la mise à disposition de politiques et de moyens de correction d’une part et d’autre part le fait qu’au Ghana il y a une région intitulée Nord, et qui est parmi d’autres régions géographiquement connexes qui ne portent pas de dénomination les identifiant comme Nord, tandis qu’au sud, toutes les régions reconnues et nommées ne portent aucune référence au mot sud. Si bien qu’au Ghana, s’il existe bel et bien une région dite Nord, elle ne s’oppose pas à une région sud qui n’existe tout simplement pas. La guerre nord/sud est donc tuée dans l’œuf, faute de combattant. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réflexe ou de comportement régionaliste, et notamment la dualité géographique nord/sud qui va souvent de pair avec l’opposition Musulman/Chrétien. Au Bénin, ancien « quartier Latin » comme au Ghana l’indicateur Rs reste en faveur du sud. Sur 100 personnes bien formées, au point d’être Ministres dans des pays africains qui ont besoin d’efficacité, d’intelligence gestionnaire, de savoir faire, et de savoir décisionnaire conformément à l’esprit du right man at the right place, sur 100 telles personnes disons-nous, au Bénin, 70 sont originaires du sud et 30 seulement sont originaires du Nord. Alors d’où vient-il que dans la nomination des Ministres, on est tous conditionné dans l’idée d’une parité Nord/sud en ce qui concerne l’origine de ces Ministres ? Le gouvernement n’est pas l’Assemblée nationale où de par la constitution sont élus des hommes et des femmes représentant des circonscriptions législatives du pays. Certes, cette reconnaissance spécifiée de la fonction représentative du Parlement n’empêche pas une certaine coloration représentative du gouvernement, mais entre coloration et essence ou fonction, il y a un fossé que Yayi Boni franchit au Bénin allègrement et de façon désormais naturalisée S’il n’y a pas de violence idéologique, de préférence régionaliste, et si le président est soucieux du développement du pays avant toute chose, eh bien ses choix de nomination devraient refléter le rapport sociologique entre les régions. Si ce rapport n’est pas à égalité entre le Nord et le Sud pourquoi dans le meilleur des cas Yayi Boni nomme-t-il autant de Ministres du Nord (sinon plus) que de Ministres du Sud. Et au-delà des postes ministériels qui sont voyants, une étude du volume de nomination tous niveaux et toutes sphères confondus montre l’orgie régionaliste à laquelle se livre tranquillement Yayi Boni dans ses nominations. Pourquoi par exemple dans la délégation balnéaire qui l’a accompagné au dernier sommet africain aux Etats-Unis y avait-il plus de gens du Nord que de gens du Sud ? La comparaison entre le Bénin et le Ghana sous l'angle du régionalisme est assez cohérente. En effet non seulement les deux pays sont de la même région ouest-africaine du golfe du Bénin, ils ont a priori une image positive sur le plan de l'histoire de la démocratie depuis au moins une dizaine d'années, et enfin à leur tête se trouvent deux présidents tous issus du Nord de leur pays respectif, et tous de confession chrétienne. Mais, comparé au Ghana, le régionalisme béninois, sous le rapport des nominations, ce que se permet de faire Yayi Boni dans le silence naturalisé de la plupart de nos compatriotes, est un scandale minable et abominable ! La technique utilisée par Yayi Boni consiste à mettre en scène le mythe de la parité, qui est en elle-même fausse et impaire, mais surtout, sa tactique consiste à nommer un comparse du sud sur un poste voyant pour des dizaines de nominations discrètes et moins voyantes de gens originaires de sa région de prédilection. Nous disons région de prédilection parce que sous la dénomination nord, et à la faveur d’une certaine biographie métissée, Monsieur Yayi a imposé une perception et une définition affectives arbitraires du Nord, qui n’ont rien à voir ni avec la géographie ni avec l’histoire ou la culture : une perception imaginaire et autoritaire de la région. Les tableaux ci-dessous donnent un échantillon des mouvements ministériels lors de récents remaniements gouvernementaux intervenus au Ghana et au Bénin. Dans l’échantillon Béninois on voit le travail d’apothicaire du racisme régionaliste auquel se livre Yayi Boni pour mettre en scène le consensus frauduleux de la parité Nord/Sud. Ainsi, il y a autant de ministres du Nord ( 4) qui ont fait leur entrée dans le nouveau gouvernement que de Ministres du Nord qui en sont sortis (4). De même y a-t-il autant de Ministres du Sud entrants que sortants (3). Comme il y a 7 Ministres entrants, on voit que le scandale n’est plus celui de la parité que rien ne justifiait, mais qu’il se déplace au niveau de l’avantage numérique conféré au nord sur cet échantillon.
Au Ghana en revanche c’est tout le contraire. A n’en juger que par l’échantillon du dernier remaniement de Monsieur Mahama, le mouvement a concerné beaucoup plus de ministres originaires du sud que du Nord. Et ce dans un rapport qui ne fait que refléter le ratio sociologique entre les régions de ce pays.
La question qui sous-tend cette étude comparée que certains tiendront pour vicieuse ou suspecte, en tout cas politiquement incorrecte, est celle-ci : quelle est la fonction de la politique au Bénin ? Est-ce que c’est vraiment pour développer le pays ou bien la politique vise-t-elle, dans le constat de l’impossibilité de sauver le navire national, à mettre le voile à la chaloupe régionaliste ? Le plus grand danger du régionalisme ce n’est pas ce qu’il était et qui nous a conduits dans l’injustice, la pauvreté, l’individualisme et la haine de soi. Non le plus grand danger c’est le génie régionaliste d’un homme venu d’on ne sait où, nommé Yayi, et qui, d'une façon venimeuse et bestiale, est parvenu à naturaliser le vice et à nous en faire avaler la pilule avec alacrité. Jusqu’à quand cette passivité suicidaire et imbécile continuera-t-elle ? Prof Boakye Agyarko &. Dr Alidou Bio Guirou |
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