Dans toutes les sociétés, à travers le monde et les époques, la femme est considérée et traitée comme inférieure à l'homme. Il s'agit d'une réalité universelle et originelle. Si cette inégalité pouvait s’expliquer aux stades primitifs de l'humanité, rien ne la justifie plus de nos jours où la pensée supplante la force physique brute. Et pourtant le mythe de l’infériorité de la femme à la vie dure. En Afrique, où le niveau de vie sociale et économique reste faible, l'infériorisation de la femme paraît aller de soi, prise qu’elle est dans le carcan des idées reçues, culturelles ou religieuses. La femme est inférieure à l'homme, veut dire qu'elle dépend de lui matériellement, et est soumise à lui comme un enfant à un adulte. Dans les pays occidentaux démocratiques qui sont très avancés économiquement et intellectuellement, et où les idées d'égalité et de liberté sont à l’honneur, la hiérarchie entre les sexes est peut-être moins brutale qu'en Afrique mais l'infériorisation de la femme est une réalité plus ou moins atténuée par les effets de la « civilisation ». En Occident, le droit et l'entrée massive des femmes dans le monde du travail ont donné à celles-ci plus d'autonomie économique. Cette insertion sociale de la femme dans le monde du travail qui ressortit d'un droit, va de pair avec le droit à l'instruction et l'éducation. Comme le disait Michelle Obama dans un récent discours aux femmes à l'occasion de la Fête des Mères, plus une femme est éduquée plus elle a des chances d’être salariée et plus elle est salariée plus elle est libre en ainsi que sa famille. Plus que partout ailleurs, où l'éducation a un impact sur les comportements sociaux, l'Occident peut se vanter d'avoir accompli un réel progrès dans la condition de la femme, en assurant au sexe féminin une égalité dans l'éducation et de grandes chances dans l'accès au travail. Le point affligeant dans cette libération/égalité de la femme a peut-être été en Occident, l’hétéronomie du sexe féminin, et la tendance des femmes à se calquer sur les hommes, à croire qu’égalité signifie singer l'homme. Mais l'idée que l'égalité des femmes, qu'elles n'avaient pas eu en héritage, doit se résoudre à l'imitation du sexe masculin, jusques et y compris dans ses travers, et la mise hors jeu d’un regard éthique radical de la femme constituent le point d’achoppement de ce progrès. Mais malgré ce progrès, même dans cet Occident épris d'égalité et de liberté, force est de constater qu'est à l'œuvre la même réalité d'infériorisation de la femme, la même logique de dépendance et de hiérarchie des sexes. Bien des aspects de la vie sociale, politique et professionnelle reflètent cette situation : la sous représentation politique, le cantonnement des femmes dans des rôles ou des métiers spécifiques que rien ne justifie, le déséquilibre des salaires et des avancements sont autant d'indices parmi tant d’autres de l'infériorisation de la femme en Occident. Cette réalité est la preuve, en Occident, comme en Afrique ou en Asie, qu'il y a un tropisme archaïque des sociétés à maintenir la femme dans un rapport de sujétion. Ce tropisme qui se reproduit à des degrés divers selon les sociétés n'est pas fortuit. L’inégalité sexuelle au départ venait du fait qu'à l'origine c'était la force physique qui décidait de la puissance politique et économique. Le guerrier, le chasseur le plus vaillant le plus fort qui s'imposait aux bêtes et aux hommes était au centre de tous les intérêts et de toutes les sollicitations. Il faisait la pluie et le beau temps ; il commandait le respect et son autorité était respectée. Même avec les révolutions induites par sa nature d'homo faber, la force physique de l’homme a continué d'être l'aune de la puissance. C’est sur ces données biologiques et historiques que s'est greffée l'infériorisation/exclusion de la femme, qui sanctionne l'espace public comme le domaine de la puissance masculine, là où l'espace privé a été marqué comme le domaine par excellence de la femme avec les contraintes biologiques et familiales. Mais les conditions technologiques et culturelles de l'homme ont changé avec le temps ; à tel point que la force qui décide de la puissance n'est plus la force physique mais la force des idées, la force intellectuelle. Celle-ci étant indépendante des sexes, pourquoi même dans les pays occidentaux la femme continue-t-elle de subir les séquelles de son infériorité physique ? Pourquoi l’inégalité sexuelle qui frappe la femme a-t-elle la vie dure ? Eh bien, c'est que les rapports entre les deux sexes se sont toujours ordonnés de façon circulaire. Avant, « sois belle et tais-toi » était l'ordre éculé intimé à la femme normale. Cela voudrait dire que l'homme, après avoir marginalisé socialement la femme, après l'avoir bridée matériellement se réserve le droit de la choisir comme partenaire sexuelle ou compagne à sa guise. Et la femme, socialement vulnérable, économiquement dépendante ou inférieure jouait le jeu consistant à choisir l'homme le plus fort, c'est-à-dire le plus intéressant matériellement. L'homme--c'est-à-dire de sexe masculin--a donc délibérément rendu la femme dépendante pour se permettre de la choisir à sa guise. L'homme socialement et économiquement puissant était ainsi assuré d’avoir à sa portée le gratin de la gent féminine selon les critères d’excellence de la culture et du moment. La société fonctionnait idéalement selon la volonté masculine. La femme belle choisissait l'homme puissant. Pour une société d'hommes moralement indélicats, construite sur la violence sans limite, c'est pain béni que de ne pas avoir à se justifier moralement quant à sa clientèle féminine, puisqu’en raison de sa dépendance économique, la femme ne choisit pas l'homme sur des considérations morales mais en seule raison de sa plus grande puissance. « Que tu sois pirate, assassin, ou négrier, peu me chaut, je ne veux rien savoir des obscures origines de ta puissance, je me satisfais de ses effets ». Ce sont là les termes de la complaisance féminine à l’égard de l'homme. Et cela depuis des temps immémoriaux et dans toutes les sociétés. Les progrès économiques, intellectuels et moraux de l'humanité n'ont rien changé à ces termes sur le fond. Les sociétés dites avancées, sous des formes diverses, n'offrent de ce cynisme originel des relations amoureuses qu'une apparence plus ou moins maquillée. Le réalisme matérialiste de la femme ne varie pas de nature d'une société à l'autre ou d'une époque à l'autre mais uniquement de degré ou de forme. En Occident où les conditions de vie ont évolué au point que ce réalisme pouvait se muer en une vraie liberté de la femme, la mise hors jeu de la conditionnalité éthique dans les rapports entre les sexes, conjuguée à l’hétéronomie du sexe féminin, a achevé d'hypothéquer les chances de cette mutation. Si bien que, malgré les progrès considérables enregistrés dans la condition moderne de l'humanité, le rapport de force et d'intérêt continue de tourner à l'avantage du sexe masculin. Les choses sont arrangées de telle sorte que le sexe masculin soit détenteur de la puissance et que le sexe féminin privé de cette puissance s'en remette à l'homme qu'elle choisit toujours en fonction de son mieux-disant politique, c'est-à-dire économique, matérielle et sociale. Le fonctionnement de ce rapport relève d’un piège sans fin que le sexe masculin détenteur original du droit de propriété politique tend à son contraire pour optimiser auprès de lui les effets de son droit et de ses faveurs. À partir du moment où, originellement et généralement, béni en cela par les lois de la nature et l'instinct de survie, le sexe féminin se fait l'agent d'une sélection naturelle du sexe masculin, il se fait du même coup l'agent et le complice de sa propre sujétion. C'est cette logique que Pierre Bourdieu caractérise sous le concept de violence symbolique. A contrario, c'est-à-dire que la femme qui, par son magnétisme, fait tourner la roue de sa propre sujétion, dispose en son sein et dans ses mains les moyens d'arrêter la domination masculine, qu'elle a jusqu'ici spontanément reconduite. Il suffit pour cela, dans son commerce avec l’homme, que la femme, loin d'obéir au réflexe de survie tout entier basé sur le réalisme matériel, introduise la conditionnalité morale que ni la nature ni la société jusqu'ici ne l'ont incitée à valoriser. De par l'utilisation que le sexe masculin fait de sa puissance, il est assimilable à une confrérie de pirates, d'assassins, de tueurs à gages, de négriers, de voleurs etc. qui ont établi leur situation dans une violence masquée ou stylisée. Jusqu'ici, lorsque cette confrérie veut entrer en rapport avec la gent féminine, elle bénéficie de la mise hors jeu du regard moral de celle-ci. Au contraire, plus l'homme est pirate plus il est assassin, plus il est tueur à gages plus il est négrier, bref plus il manie la violence plus il a des chances de faire société avec la gent féminine qui ne lui demande rien d'autre que d'être puissant, comme l'homme dit à la femme : « sois belle et tais-toi ». Or, qu'en serait-il si la femme, demandait à juger l'homme sur l'archéologie de sa puissance, et n’accepte de faire société avec lui que sur la base d'une origine moralement recommandable ? Eh bien, le règne plusieurs fois millénaire de l’assassin, du pirate, du négrier etc. qui continue d'époque en époque sous des formes changeantes, ce règne de scélérats et de crapules déguisés ne tarderait pas à prendre fin. Si la femme est une victime de la société, c'est que la société, considérée comme une propriété originelle du mâle, a tendu un piège que la femme, à l'instar de l’âne de Buridan, poursuit sans fin en le perpétuant. Il suffit que la femme s'arrête, et demande à voir ce qui fait tourner le piège et l’en voilà libérée. La société occidentale a poussé très loin les conditions d'émancipation de la femme et pourtant les symptômes de la dépendance féminine sinon de son infériorisation sont encore présents en ce que dans la résolution du problème, on s'est contenté de socialiser une logique naturelle. Mais le véritable coup d'arrêt de l'inégalité dont la femme est victime n'est pas dans la libération matérielle seule ; il réside avant tout dans le pouvoir moral de la femme.
Hermine Jada
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