Jonathan est confronté au défi de sa réélection -- ces quatre ou cinq années érigées en éternité et pour le renouvèlement desquelles nos présidents font flèche de tout bois, hypothèquent l'avenir de nos pays, et s'allient avec tous les diables.
Une indication de cet acharnement diabolique a été la violente charge de son mentor politique et prédécesseur, M. Obasanjo qui, dans une lettre au vitriol en décembre 2013, a rappelé à Jonathan sa promesse faite en 2011 de ne briguer qu'un mandat unique. Un peu avant la charge d’Obasanjo, le paysage politique du Nigéria a connu une recomposition considérable, qui a donné naissance à l’APC, une fusion des quatre principaux partis de l'opposition. L'une des raisons qui ont poussé ces quatre partis naguère divisés à s'unir, outre l'État déplorable du Nigéria, le mépris ou le renoncement par Jonathan à sa parole. Les partis d'obédience nordique, de ce point de vue, sont très remontés car selon l'entente non écrite de la présidence tournante entre le Nord et le Sud, ils estiment que le décès prématuré de Yar’Adua, et sa relève constitutionnelle par Jonathan les ont frustrés de la jouissance du pouvoir. Le pouvoir en Afrique, un peu plus qu'ailleurs, est une chasse aux postes ; il ne concerne nullement une quelconque oeuvre d'amélioration de la condition du peuple. Il n'a aucun rapport avec l'ambition de construire une nation qui peut se comparer aux autres dans un monde en pleine émulation. Les conditions historiques et politiques de la constitution de nos nations ne sont pas non plus des plus favorables. La difficulté de construire la nation est transmuée en bonne volonté ethnique, sinon tribale ou clanique. La chasse aux postes sert à satisfaire cet objectif. Mais outre cette chasse et parallèlement, les opportunités indues que permettent l'occupation de ces postes transforment la politique en source d'enrichissement. La situation sociale, économique, technologique et entrepreneuriale des pays africains, tributaires d'une aliénation historique fait que la politique devient la seule source d'enrichissement en Afrique. Il suffit de regarder dans le répertoire infini des objets et des produits en circulation dans la vie pratique et dans nos échanges pour nous rendre compte qu'en dehors de certains produits agricoles de base, aucun des produits et objets de base que nous utilisons ou consommons n'est fabriqué chez nous, surtout si on considère cette fabrication non pas comme l'appendice reproductif de sociétés étrangères mais comme un savoir-faire approprié. Ainsi, c'est l'indigence capitaliste, technique voire technologique de l'Afrique qui fait que la politique est conçue comme la seule source de constitution de capital. La politique ne permet pas seulement d'arbitrer le cadre de production comme c'est le cas dans les pays développés mais en l'absence de production, elle se substitue à ce cadre et s’érige en un système de tractations, de recel, de détournements et de prédation organisés par un aréopage de chevaliers d'industrie qui privilégient le présent, leur époque à l'avenir, la famille et leur tribut au collectif, à la nation. Dans un pays comme le Nigéria où les pétrodollars coulent à flot, cette problématique de la corruption et de l'aliénation technologique est centrale. Elle exprime le paradoxe d'un pays riche dont les habitants sont parmi les plus pauvres de la planète ; une économie qualifiée de la première en Afrique mais sur des critères purement abstraits ou inhumains. L'aliénation technologique au Nigéria est occultée par une infrastructure de productions secondaires plus axées sur la facilitation des conditions pratiques de consommation que sur une volonté et une politique d'appropriation des savoir-faire. C'est pour cela que la corruption au Nigéria est un fait dominant de la vie sociale et politique, et que les hommes politiques qui devraient en principe guider la société et donner le bon exemple sont ceux-là mêmes qui s'enfoncent dans la gabegie, le vol, et les détournements en tout genre. Parlant de corruption en Afrique comme partout ailleurs, on peut distinguer deux types de corruption : la corruption d'État et la corruption ordinaire. La corruption d'État est celle qui concerne les hommes politiques et les cadres de l'État, et la corruption ordinaire est le résultat des écarts aux règles sociales et économiques. Cette deuxième corruption qui est une entrave au développement prospère sur le terreau de la première où elle reçoit les signaux de son renforcement et la substance de son maintien. Les deux types de correction étant dans un rapport de solidarité réciproque. Au Nigéria la corruption ordinaire, à l'instar de la corruption d'État, est une seconde nature et une culture ; une gangrène qui ruine la santé sociale et économique du pays. Et les hommes politiques ne font rien pour la réduire, à défaut de l'éliminer. L'impunité qui est l'un des ferments de la corruption d'État pousse à la perpétuation au pouvoir puisque la condition de vérification et de comptabilité d'un pouvoir politique passe par l’alternance démocratique. Aussi, rester au pouvoir à tout prix est la parade africaine qui permet de boucler la boucle de la corruption. En clair, on vient au pouvoir pour faire de la corruption et on fait de la corruption pour conserver le pouvoir afin de continuer à faire de la corruption. Pendant ce temps, toute considération de développement centré sur le bien-être du peuple et son avenir, dans la dignité, l'intégrité et la justice est mise hors-jeu : elle est un véritable non-événement politique en Afrique où, à l'instar de la période coloniale, les peuples et leurs préoccupations fondamentales sont abandonnées à eux-mêmes. C'est en s’appuyant sur cette culture de corruption, et dans un réflexe de corrupteur assiégé que Jonathan entend se perpétuer au pouvoir. Avec les mutations politiques intervenues dans le paysage politique qui ont vu la naissance et l'accueil enthousiaste par le peuple du parti APC, une espérance politique est née au Nigéria. Mais cette espérance est une menace pour le PDP au pouvoir. La situation délétère du pays, la pauvreté grandissante, l'injustice sociale, le grand nombre de gouverneurs qui ont quitté le PDP pour l’APC, la pression du terrorisme, les affaires de corruption qui se succèdent sous son règne, n’autorisent aucun espoir de réélection pour Jonathan dans un contexte de transparence électorale. Mais, comme même pour truquer les élections, il faut en préparer les conditions de vraisemblance symbolique, la situation n'est pas à l'avantage de Jonathan. Déserté par de grandes pointures du PDP, n'ayant pas dans son escarcelle les états les plus peuplés du pays—Kano et Lagos sont aux mains de l'opposition. Tout ce déficit symbolique et politique a poussé Jonathan dans ses derniers retranchements. Ne pouvant plus étaler une allégorie trompeuse de vraisemblance, la stratégie de Jonathan est une stratégie de désespéré : il a choisi au contraire d'afficher sans complexe son soutien aux hommes politiques les plus corrompus, dans la mesure où il espère bénéficier de leur soutien. La politique étant perçu comme un domaine obscur où les gagnants ne sont pas les plus propres mais plutôt les plus crapuleux, montrer qu'on sait en la matière de qui tenir, c'est espérer ramasser la mise d'un jeu qui sera d'autant plus facile à gagner qu'il est obscur. C'est ainsi qu'il faut comprendre les faits et gestes mais aussi les décisions de Jonathan dans la perspective des élections de 2015. La liste de ces faits et gestes est troublante lorsqu'on la considère à la lumière de la normalité éthique de l'action d'un homme politique qui espère être réélu sur la base de son bilan : 1. Le fameux pardon accordé à M. Diepreye Alamieyeseigha, l’ancien gouverneur de l’État de Bayelsa accusé et condamné pour détournement de plusieurs millions de dollars et dont la démission avait permis à Jonathan de prendre sa succession et par la suite de devenir vice président du Nigéria. 2. Le classement sans suite des poursuites contre Mohammed Abacha, le fils de l'ancien dictateur, accusé de recel et d'abus de biens sociaux portant sur les centaines de millions de dollars détournés par son père. 3. La profération par Jonathan d'une déclaration controversée où il faisait une distinction spécieuse et scandaleuse entre détournement et corruption. 4. La décoration à titre posthume du dictateur Abacha. 5. Le limogeage/sanction de L’ex-gouverneur de la banque centrale M. Sanusi pour avoir révélé le détournement de 20 milliards de dollars à la société nationale du pétrole. 6. Le refus soutenu de ne pas poursuivre la ministre du pétrole mise en cause et son maintien en poste. 7. Le refus tout aussi soutenu de ne pas poursuivre la même ministre du pétrole impliquée dans une affaire de location d'avions privés 8. La récente nomination à la tête de la NDLEA, l'Agence nationale de lutte contre le trafic des stupéfiants, de la femme d'un baron du PDP, George Bode, condamné pour détournement. 9. La résistance pendant de longs mois à limoger la ministre de l'aviation empêtrée dans des affaires de corruption et de fraude. 10. Enfin toute une série de nomination d'hommes politiques à la moralité douteuse, opérées en dépit du bon sens. Dans une société ouverte où les médias font écho des faits et gestes du président, on ne peut pas avoir cumulé méthodiquement tant d'actes douteux qui sont autant d'éloges à l'immoralité en société sans que cette accumulation d'outrages et de viols de la conscience morale du peuple ne s'inscrive dans un plan stratégique de conservation crapuleuse du pouvoir. A défaut de montrer une allégorie de vraisemblance vertueuse, on essaie de lever une légion de corrompus et de repris de justice dont le nombre et l’influence occulte sont censés faire autorité. Gagner avec les crapules et chevaliers d’industries ceux qui s'y connaissent dans les bas-fonds ténébreux de la politique où le crime, le vol, le viol et la fraude font le lit des pouvoirs corrompus en Afrique tel semble être le pari désespéré de M. Jonathan.
Adenifuja Bolaji
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