L’histoire d’Amèhuga est cocasse et pathétique à la fois, parce qu’elle mélange, comme toujours sous nos tropiques, le rationnel et l’irrationnel, la mentalité et la réalité.
Amèhuga est un jeune Ghanéen d’une trentaine d’années, marié et père d’une fille de deux ans. Jusque-là, il menait une vie tranquille, ouvrier dans une scierie à Accra. Vie tranquille ? Du moins au regard de ce qu’en savaient sa femme, ses collègues et ses amis. Mais voilà que du jour au lendemain, Amèhuga, se réfugie dans un commissariat de police, au motif qu’il est poursuivi par un fantôme. Pour la petite histoire, rappelons que bien que travaillant dans une scierie, Amèhuga avait reçu une formation de chauffeur de taxi mais, comme il n'avait pas de moyen de s'acheter une voiture, il s'est fait employé de scierie pour parer aux nécessités, en attendant mieux. Mais, le rêve de posséder sa propre voiture ne l’avait pas lâché. Après son mariage avec Akwaba, l'envie de s'établir à son compte dans son vrai métier de chauffeur l’avait repris. Amèhuga se mit alors en tête de réaliser son rêve, par tous les moyens, y compris les plus crapuleux. Ainsi, en arriva-t-il à concevoir l'idée de déposséder les chauffeurs de taxi de leur voiture par la ruse et la violence. Le procédé consisterait à héler un taxi, à demander au conducteur de l'emmener à une destination très éloignée. Pour cela, Amèhuga promettrait une somme alléchante à sa victime. A un endroit précis du chemin, Amèhuga aurait pris soin de cacher une arme sous un buisson au bord de la route. Et lorsque le conducteur et lui seraient isolés en rase campagne, Amèhuga le ferait sortir de la voiture et le forcerait à entrer dans la brousse où il le tuerait. Cette idée criminelle avait germé dans sa tête à force d'envie et de désir de s'enrichir. Et, n'écoutant que ses envies, Amèhuga résolut de la réaliser. Il avait compté qu'une dizaine d’opérations de ce genre suffisait pour faire de lui un homme fortuné. Akwaba et lui quitteraient Accra et iraient s'installer à Agoué au Bénin. Akwaba serait installée dans le commerce de tissus, tandis que lui-même ferait le taxi entre Lagos et Lomé, histoire de faire fructifier en toute tranquillité l'argent de son recel criminel de voitures. Amèhuga, en homme déterminé, n'a pas eu froid aux yeux pour joindre le geste à l’imagination méphistophélique. La première fois, il repéra sa victime et lui proposa une course aux environs de Berma dans le district de Tano. Sans demander son reste, alléché par l’argent, crédule et enthousiaste, le chauffeur accepta. Et du même coup scella son sort de victime. Tout se passa comme Amèhuga l’avait imaginé. L'arme du crime caché à mi-chemin au bord de la route, un arrêt soi-disant pour se soulager, et le voilà qui revient armé, menace la victime, l'amène dans la brousse où il le tue avant de disparaître au volant de sa voiture. Mais depuis ce deuxième crime, Amèhuga n'a plus la conscience tranquille. L'enthousiasme naïf avec lequel il avait fomenté son plan, et la froideur avec laquelle il l’avait exécuté jusque-là, soudain le désertèrent. Pour tout dire, depuis le meurtre de sa deuxième victime à Asuoso près d’Abofour dans le pays Ashanti, Amèhuga a perdu le sommeil. Plusieurs jours durant, il ne put fermer l'œil de la nuit, et suait à grosses gouttes même à l'aube lorsqu’il faisait frais. Et, la goutte d'eau qui fit déborder le vase de ses ennuis tomba la septième nuit de son deuxième crime. Cette nuit-là, le fantôme de sa victime lui rendit visite. Amèhuga entendit quelqu'un frapper à la porte de sa chambre en pleine nuit. Et, quand il alla ouvrir, il tomba nez à nez sur sa deuxième victime. « Amèhuga, dit le fantôme après une litanie incantatoire» puis il le gifla. La même scène se répéta pendant trois nuits de suite. Quelqu'un frappait à la porte, Amèhuga allait ouvrir, tombait sur le fantôme de sa victime et celui-ci, après avoir prononcé une litanie incantatoire où revenait le mot Amèhuga lui filait une taloche avant de s'évaporer dans l'obscurité. Son besoin de parler était si fort que la police accepta qu’il fasse une conférence de presse dans ses locaux, conférence au cours de laquelle Amèhuga confessa ses crimes devant des journalistes hébétés. Et, en attendant d'être jugé pour ses crimes, Amèhuga déploya une ardeur inhabituelle, et un zèle prosélytique peu commun pour exhorter les criminels de son espèce à renoncer à leurs plans diaboliques, et à se mettre sur le droit chemin…Et ces chevaliers d’industrie, ne se recrutent pas seulement parmi les gagne-petit ou le petit peuple désœuvré des villes, mais ils sont aux sommets de nos états d’où ils commettent toute sorte de crimes en toute impunité : détournements de denier public, fraudes électorales, blanchiment d’argent sale, crimes de sang, abus de pouvoir, viol, pédophilie, sacrifices humains, régionalisme ; avec une seule finalité : l’argent. Puissent-ils, ces criminels en col blanc, à l’instar des autres et peut-être avant eux, apprendre la leçon d’Amèhuga… Adio Badaga |
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