Le roi Apata était un roi Yoruba. Il avait plusieurs épouses mais Awero était sa préférée. Awero était enceinte, et le roi, très attaché à elle nourrissait de beaux espoirs de descendance. Mais, coup dur à son espérance, Awero donna naissance à des jumeaux. A cette époque, c'était la coutume universelle parmi les Yoruba de tuer immédiatement les jumeaux à leur naissance -- eux ainsi que leur mère. Mais Apata n'eut pas le courage de mettre cette loi cruelle à exécution, et il chargea secrètement l'un de ses hommes d’emmener la mère et ses jumeaux, Kehinde et Taiwo à un endroit éloigné où ils pourraient vivre en sécurité . Dans leur refuge secret, Kehinde et Taiwo grandirent jusqu’à l’âge adulte. Les deux frères s’aimaient beaucoup ; ils étaient inséparables, et l’un n’avait pas plaisir à vivre hors de la société de l’autre. Quand Kehinde entamait une phrase, Taiwo la terminait, et réciproquement, tellement leurs pensées et leur inclinations étaient en harmonie. Awero leur mère, bien qu’ayant renoncé à sa vie de princesse préférée, était heureuse de l’amour que se témoignaient ses deux fils, et encore plus heureuse qu’ils aient eu la vie sauve. Mais Awero n’eut pas la chance de vieillir auprès de ses deux enfants. Quelques mois après leur vingt-cinquième anniversaire, Awero tomba gravement malade et s’alita. Se voyant près de la mort, elle appela à ses côtés Kehinde et Taiwo et leur parla du passé et de l’histoire de leur naissance qu’ils ignoraient. Elle leur parla du royaume où ils n’avaient pas pu vivre, de la coutume cruelle qui éliminait les jumeaux, de leur père dont la bonté épargna leur vie ainsi que la sienne. La révélation de ce pan secret de leur passé troubla les deux jumeaux ; partagés entre affliction et résignation, Kehinde et Taiwo versèrent des larmes chaudes. Awero les consola. Elle parla de l’amour du roi Apata ainsi que sa bonté qui leur sauva la vie. « Okomi, leur dit-elle d’une voix égrotante, en toute chose, il faut toujours voir le bon côté. Si votre Père n’était pas un homme de bien, ni vous ni moi ne serions en vie aujourd’hui » Kehinde et Taiwo en convinrent. Mais dès ce moment, le regret de leur exil les habita. Il ne se passa pas de jour où l’envie du pays ne les prenne ; alors ils souhaitaient que la loi du pays permettent leur retour en terre natale. Sur ces entrefaites, Awero mourut. Et l’affliction des deux jumeaux fut à son comble. Désormais, Kehinde et Taiwo se sentaient plus que jamais seuls, et ne savaient comment échapper à leur déréliction. Mais un jour, des nouvelles arrivèrent du pays, et ils apprirent que leur père, le roi Apata était mort, et n’avait aucun héritier pour lui succéder. Il parut clair aux deux frères, que l’un d’eux devait aller à la capitale réclamer le trône de leur père vacant. Mais lequel des deux ira ? Pour régler ce dilemme, Kehinde et Taiwo décidèrent de lancer des pierres, et celui qui lancerait le plus loin ira réclamer le trône ; ensuite selon leur accord, le nouveau roi enverrait chercher son frère pour partager avec lui les splendeurs du pouvoir. Le sort tomba sur Taiwo, le plus jeune, et il partit pour la capitale. A son arrivée, Taiwo se présenta comme le fils du Olofin. Les dignitaires et prêtres royaux, qui étaient à la peine pour résoudre le problème de la succession, furent heureux de l’accueillir. Sept jours après son arrivée, après de nombreuses cérémonies, Taiwo fut intronisé roi dans une joyeuse unanimité.
Une fois devenu roi, sous le non de Aderopo, Taiwo n’attendit pas son reste et fit venir Kehinde à ses côtés. Et Kehinde était traité avec honneur et distinction. Mais hélas, la jalousie commença peu à peu à prendre le dessus sur l’affection fraternelle. Ainsi, un jour, où les deux frères marchaient côte à côte le long de la rivière Osun, Kehinde, qui avait prémédité son coup, poussa Taiwo ; celui-ci tomba à l’eau et se noya. Le régicide consommé, Kehinde retourna au palais où il convoqua dignitaires et prêtres pour leur annoncer que son frère, le roi Aderopo, avait quitté le pays.
« Pourquoi le roi Aderopo est-il parti ? Et quand reviendra--il ? demandèrent les dignitaires
-- Eh bien, répondit Kehinde, mon frère est lassé par la royauté et ne reviendra plus !
-- Ahan ? firent les dignitaires sous le choc
-- Mais ajouta Kehinde, mon frère a souhaité que je règne à sa place … »
Obnubilés par la grande amitié qui existait entre les deux frères et l’étroite complicité de leurs rapports, les dignitaires ajoutèrent foi au récit de Kehinde. Et, loin de le soupçonner de la disparition du roi, ils firent Kehinde roi. Et Kehinde assouvit ainsi son ambition secrète. Comme rien n’est plus paisible qu’un homme mort à l’insu de tous, Kehinde fit ses premiers pas de roi en toute quiétude. Mais, un beau jour où l’envie lui prit de marcher en solitaire le long de la rivière Osun, venant à passer par l'endroit même où son frère s'était noyé, Kehinde vit un poisson se dresser à la surface de l’eau et d’une voix sibylline, commencer à chanter : « Votre frère est ici , Votre frère est ici » Le roi prit peur. Et, avec une pierre tranchante, il tua le poisson. Mais un autre jour, en passant à nouveau au même endroit en présence des prêtres et dignitaires royaux, protégé par le parasol royal fait des peaux d'animaux rares, la rivière elle-même gonfla et ses ondes se mirent à chanter la même rengaine inquiétante: « Votre frère est ici , Votre frère est ici »
Surpris, les dignitaires et prêtres royaux ainsi que la suite formée de courtisans du roi s’arrêtèrent pour écouter. Et la mystérieuse rengaine de la rivière éveilla leurs soupçons. Alors, il s’approchèrent de l’eau et, scrutant ses profondeurs, ils découvrirent le corps du roi
Ainsi, le secret de la disparition du roi Aderopo a été mis à nu. Et le peuple en signe de réprobation a rejeté avec horreur son méchant frère. Acculé à la disgrâce, Kehinde s’empoisonna et mourut.
Binason Avèkes, Conte de Kétou
|
|
|
La question de la gémellité elle-même instaure d'entrée l’ambiguïté et la rivalité. On peut se demander jusqu'à quel point deux frères -- et peut-on être plus frères que ne le sont deux jumeaux ? -- peuvent rester frères à l'épreuve du temps, des tentations et des expériences ? Le pouvoir suprême et sa possession, ici le conte nous en montre les limites pour ne pas dire les écueils fatals. Mais il n'y a pas que le pouvoir qui chamboule la fraternité, aussi intime et forte fût-elle à la base. On peut aussi parler de richesse, de femmes,(ou d'hommes) etc. L'autre leçon du conte touche au rapport entre la loi et le pouvoir. Tout pouvoir ou toute position politique doit être légale, et non obtenue par faveur ou par entente tacite. Toute entente tacite à un moment donné et face à certaines épreuves peut se muer en complot ou en trahison. Et le drame est si vite arrivé.
Mais à mon sens la leçon fondamentale du conte est celle que tu as indiquée, à savoir la fragilité de la fraternité face aux enjeux ou pire face à la tentation personnelle, familiale, tribale ou narcissique du pouvoir.
Rédigé par : B.A. | 03 décembre 2013 à 08:22
Effectivement c'est le seul endroit qui est concerné par cette possible confusion. Oui c'est aussi la croyance yoruba qui dit que l'aîné est Kèyindé. A noter que les prénoms Tayéwo et Kèyindé sont portés par les garçons et les filles sans distinction du sexe, l'ordre de naissance étant le critère de nominaton des enfants.
Quant à la leçon on pourrait dire : quelle que soit la solidité des liens entre frères, l'esprit de rivalité existe entre eux quand il s'agit du pouvoir. On le voit dans plusieurs de nos royaumes depuis nos ancêtres jusqu'à aujourd'hui. C'est ma compréhension de ce conte.
Afolabi
Rédigé par : B.Affolabi. | 01 décembre 2013 à 18:59
Cher Affolabi,
Apparemment, la confusion que vous signalez n'apparaît que dans une phrase,(Kehinde fut intronisé roi dans une joyeuse unanimité.) Merci d'en signaler d'autres, le cas échéant.
Au-delà de la confusion que cela peut générer, vous avez raison de souligner la question car selon les croyances yoruba, l'aîné des jumeaux n'est pas celui qui est sorti en premier du ventre maternel ; celui-ci étant considéré comme l'envoyé du second, tenu pour le vrai aîné.
Pour ce qui est de la leçon, la demande est intéressante mais il est souhaitable que chaque lecteur donne son point de vue, et en l'occurrence le votre serait le bienvenu
Merci beaucoup pour votre diligence
Rédigé par : B.A. | 01 décembre 2013 à 14:56
Bonjour,
Merci de relire votre écrit et de faire la rectification nécessaire pour la compréhension du conte SVP. En effet tantôt on comprend que c'est Taiwo qui serait le premier intronisé mais après on lit que c'est son frère. Il y a confusion.
Généralement les contes se concluent en leçon pour la vie. Quelle est celle qui découle de ce conte?
Bon dimanche.
Rédigé par : B.Affolabi. | 01 décembre 2013 à 14:54