Discours de Diderot aux hottentots (1780) extrait de l'Histoire de deux Indes, de Raynal
Vous riez avec mépris des superstitions de l´Hottentot. Mais vos prêtres ne vous empoisonnent-ils pas en naissant de préjugés qui font le supplice de votre vie, qui sèment la division dans vos familles, qui arment vos contrées les unes contre les autres ? Vos pères se sont cent fois égorgés pour des questions incompréhensibles. Ces temps de frénésie renaîtront, et vous vous massacrerez encore.
Vous êtes fiers de vos lumières : mais à quoi vous servent-elles ? de quelle utilité seraient-elles à l´Hottentot ? Est-il donc si important de savoir parler de la vertu sans la pratiquer ? Quelle obligation vous aura le sauvage lorsque vous lui aurez porté des arts sans lesquels il est satisfait, des industries qui ne feraient que multiplier ses besoins et ses travaux, des lois dont il ne peut se promettre plus de sécurité que vous n´en avez ?
Encore si, lorsque vous avez abordé sur ses rivages, vous vous étiez proposé de l´amener à une vie plus policée, à des mœurs qui vous paraissaient préférables aux siennes, on vous excuserait. Mais vous êtes descendus dans son pays pour l´en dépouiller. Vous ne vous êtes approchés de sa cabane que pour l´en chasser, que pour le substituer, si vous le pouviez, à l´animal qui laboure sous le fouet de l´agriculteur, que pour achever de l´abrutir, que pour satisfaire votre cupidité.
Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez ! enfoncez-vous dans vos forêts. Les bêtes féroces qui les habitent sont moins redoutables que les monstres sous l´empire desquels vous allez tomber. Le tigre vous déchirera peut-être, mais il ne vous ôtera que la vie. L´autre vous ravira l´innocence et la liberté. Ou si vous vous en sentez le courage, prenez vos haches, tendez vos arcs, faites pleuvoir sur ces étrangers vos flèches empoisonnées. Puisse-t-il n´en rester aucun pour porter à leurs citoyens la nouvelle de leur désastre !
Mais hélas ! vous êtes sans défiance, et vous ne les connaissez pas. Ils ont la douceur peinte sur leurs visages. Leur maintien promet une affabilité qui vous en imposera. Et comment ne vous tromperait-elle pas ? c´est un piège pour eux-mêmes. La vérité semble habiter sur leurs lèvres. En vous abordant, ils s´inclineront. Ils auront une main placée sur la poitrine. Ils tourneront l´autre vers le ciel, ou vous la présenteront avec amitié. Leur geste sera celui de la bienfaisance ; leur regard celui de l´humanité : mais la cruauté, mais la trahison sont au fond de leur cœur. Ils disperseront vos cabanes ; ils se jetteront sur vos troupeaux ; ils corrompront vos femmes ; ils séduiront vos filles. Ou vous vous plierez à leurs folles opinions, ou ils vous massacreront sans pitié. Ils croient que celui qui ne pense pas comme eux est indigne de vivre. Hâtez-vous donc, embusquez-vous ; et lorsqu´ils se courberont d´une manière suppliante et perfide, percez-leur la poitrine. Ce ne sont pas les représentations de la justice qu´ils n´écoutent pas, ce sont vos flèches qu´il faut leur adresser. Il en est temps ; Riebeck approche. Celui-ci ne vous fera peut-être pas tout le mal que je vous annonce ; mais cette feinte modération ne sera pas imitée par ceux qui le suivront. Et vous, cruels Européens, ne vous irritez pas de ma harangue. Ni l´Hottentot, ni l´habitant des contrées qui vous restent à dévaster ne l´entendront. Si mon discours vous offense, c´est que vous n´êtes pas plus humains que vos prédécesseurs ; c´est que vous voyez dans la haine que je leur ai vouée celle que j´ai pour vous
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