Cette façon que les Africains ont d’utiliser avec frénésie des choses qui non seulement ne sont pas fabriquées sur leur continent mais qu'ils n'ont souci de fabriquer, et dont la non fabrication par eux leur semble inscrite dans le marbre, cette façon presque insouciante de traverser le monde, dans sa médiation technologique entre passivité et fatalisme, est l'une des caractéristiques sinon l'expression la plus accablante de notre malheur. Téléphones portables, ordinateurs, gadgets électroniques, voitures, médicaments, armes à feu, tous objets qui vont de la moindre aiguille à coudre aux plus grands engins véhiculés par la modernité… etc. Un homme dont le souci de fabriquer les choses qu'il utilise est inversement proportionnel à la frénésie avec laquelle il les consomme est un homme-objet, un homme perdu dans les choses, un esclave. Maintenant ces choses s'échangent contre le pétrole et les matières premières, comme hier elles s'échangeaient contre la marchandise humaine brute. Mais qui nous dit que le cycle ne recommencera pas ? Surtout lorsque l'on sait que ceux des nôtres qui nous mettent en garde contre le retour planifié de ce passé sinistre sont très vite montrés du doigt, politiquement abattus ou même assassinés par l'Occident capitaliste fossoyeur de notre indépendance, et premier profiteur de cette dépendance objectale à quoi il nous réduit ! Quelle terrible vicissitude que la nôtre ! Et dire qu’aux origines de l'histoire humaine notre continent créa et abrita les premières industries ! Et que c'est de son sein que partirent le feu et les techniques qui vont propulser le règne de l'humanité sur terre ; les premiers outils faits de main d'homme partirent de notre continent. Maintenant, ce même continent des origines et des choses est devenu l'ombre de lui-même. Rien ne s'y fabrique et cela semble nous convenir ainsi, puisque la monnaie d'échange--les matières premières dont regorge le sol et le sous-sol africains--semble toute trouvée, sinon toute imposée. Nous étions Homo faber et maintenant nous voilà devenus Homo consumer passifs et joyeux !
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Pendant combien de temps cela durera-t-il ? À l'heure où la robotisation est en marche, que l'Afrique ne compte pas une nouvelle fois sur la traite négrière pour s'en sortir. Car, lorsque la dernière goutte de pétrole sera asséchée, et le dernier gramme d’or, de diamant, de fer, de cuivre, et de bauxite seront extraits des entrailles du continent noir, tout aussi noir sera son destin. Ses clients et maîtres occidentaux qui l'ont formatée dans cette posture de passivité consumériste et commerciale (un commerce soi dit en passant injuste et inégal) ne trouvant plus ni grâce ni intérêt à l’Afrique, naturellement lui tourneront le dos. Le seul aspect de la traite qui survivra sera seulement l'aspect charnel qui, en dépit des discours racistes et peut-être en raison d’eux, a toujours suivi comme son ombre portée le ruineux commerce des Noirs avec les Blancs--de la période de l'esclavage à celle du néocolonialisme en passant par le colonialisme. Mais il s'en faudra de beaucoup que la prostitution et le commerce de la chair sauvent l'Afrique de sa déréliction inévitable.
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