Le défaut d’avis motivé de la Cour suprême ; L’inadéquation de l’exposé des motifs avec le contenu du projet de loi ; L’indépendance du juge et le principe de l’inamovibilité du magistrat du siège ; La nature de la loi devant régir la Cour suprême ; Les modalités de nomination des magistrats, du président et des autres membres de la Cour suprême et l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature ; Le contrôle des décisions de justice par la Cour constitutionnelle ; La composition et les conditions de nomination des membres de la Cour des comptes ; Une réforme efficiente de la Haute Cour de Justice ; La mise en liberté d’office avec ou sans caution.
I - Le défaut d’avis motivé de la Cour suprême sur le projet de loi portant révision de la Constitution du 11 décembre 1990
Conformément à l’article 105 alinéa 2 de la Constitution : « Les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis motivé de la Cour suprême saisie conformément à l’article 32 de la présente Constitution et déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale ». La Constitution du 11 décembre 1990 ne prévoit aucune exception à cette obligation constitutionnelle. Aussi, en application de cet article 105, le Président de la République est tenu de soumettre le projet de loi portant révision de la Constitution du 11 décembre 1990 à l’avis motivé de la Cour suprême. Cette démarche constitutionnelle obligatoire vise, même si l’avis motivé de la Cour suprême est un avis consultatif, à assurer une certaine qualité aux projets de loi soumis à l’Assemblée Nationale. En omettant de se soumettre à cette exigence constitutionnelle, le Gouvernement, non seulement viole les dispositions constitutionnelles de l’article 105 alinéa 2 précité, mais encore prive son projet de l’expérience technique des membres de la Cour suprême. Il importe que les institutions de la Nation se respectent mutuellement dans leurs attributions. Au cas où l’Assemblée Nationale viendrait à adopter le projet de révision en l’état, la Cour constitutionnelle ne pourra que la censurer afin que la procédure soit respectée. Eu égard à ce qui précède, il conviendrait que l’Assemblée Nationale renvoie le projet au Gouvernement, afin que la procédure législative soit reprise et respectée. Cette démarche permettrait assurément d’éviter les nombreuses incohérences relevées dans le projet.
II-L’inadéquation entre l’exposé des motifs et le contenu du projet de loi portant révision de la Constitution
L’article 74.7 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale dispose : « les projets de lois, propositions de loi et propositions de résolution doivent être formulés par écrit, précédés d’un titre succinct et d’un exposé des motifs ». L’exposé des motifs est donc un document très important qui doit accompagner les projets et propositions de loi, et dans lequel sont exposés le contexte et la justification du texte de loi introduit au Parlement. L’élaboration d’un exposé des motifs pour accompagner la proposition ou le projet de loi est d’abord une obligation légale. Mais, il s’agit surtout d’un document technique et pédagogique qui expose les raisons et la philosophie qui sous-tendent le projet ou la proposition de loi, ainsi que les objectifs poursuivis par son initiateur. L’exposé des motifs est encore plus exigent, lorsqu’il s’agit de modifier la Constitution, car il est important dans ce cas que l’initiateur explique et justifie chacun des points devant faire l’objet de modification. La finalité en est de permettre aux députés de comprendre l’esprit et la lettre du texte soumis à leur vote, et d’en mesurer la portée avant toute décision. A la lecture, on note que l’exposé des motifs objet du décret N°2013-255 du 06 juin 2013, portant transmission à l’Assemblée Nationale du projet de loi portant révision de la Constitution, n’a pas prévu de justifications pour les modifications de plusieurs dispositions de la Constitution relatives à la Cour constitutionnelle, à la Cour suprême et plus généralement à la Justice. Cependant, le projet de texte de révision comporte des modifications importantes concernant ces deux institutions et la Justice. Cet état de chose contraire à la légalité ne peut pas permettre aux députés d’apprécier l’opportunité et la portée des modifications proposées au niveau de la Cour Constitutionnelle, de la Cour suprême et de la Justice en général. A défaut de cette justification, il ne saurait y avoir de modifications concernant ces deux institutions. Cependant, il convient d’analyser en toute objectivité, les modifications proposées, afin que les représentants du peuple mesurent l’importance et la gravité de la révision qui leur est soumise concernant la Justice en général, la Cour Constitutionnelle et la Cour Suprême en particulier. Plusieurs autres modifications d’articles de la Constitution n’ont fait l’objet d’aucune justification dans l’exposé des motifs lequel gagnerait à être repris.
III- L’indépendance du juge et le principe de l’inamovibilité
Les fondamentaux de notre Etat de droit ne se limitent pas au nombre du mandat présidentiel et à l’âge de candidature. L’indépendance de la Justice est l’un des fondamentaux qu’il faut sauvegarder à tout prix, car il n’y a pas d’Etat de droit sans une Justice Indépendante et impartiale. L’une des institutions fortes dont a parlé le Président américain à Accra au début de son premier mandat, et auxquelles se réfère souvent notre Président de la République, est la Justice. La volonté du peuple Béninois s’est traduite sur le plan institutionnel par la consécration du principe de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et de celui de l’indépendance du Pouvoir judiciaire vis-à-vis des deux premiers pouvoirs. (Article 125 alinéa 1er de la Constitution de 1990). L’affirmation de l’indépendance de la justice ne serait qu’un leurre, si les magistrats chargés d’administrer la Justice ne bénéficient pas de garanties statutaires constitutionnelles, gage d’une Justice équitable, impartiale et crédible. L’absence de ce principe dans la loi dite "rouge" d’organisation de la justice de 1981 pendant la période révolutionnaire a amené l’Exécutif à procéder souvent à des affectations "fantaisistes", pour peu qu’un magistrat fasse montre d’indépendance, de rigueur et d’intégrité dans l’exercice de ses fonctions. Le but en était de le " mettre au pas" et de soumettre le magistrat à la volonté du Pouvoir exécutif. Cet état de chose a affaibli la Justice de notre pays pendant longtemps. Et c’est pour y mettre un terme que sur la base des orientations données par les conclusions de la Conférence Nationale des Forces Vives, la Constitution du 11 décembre 1990 a consacré le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, corollaire de l’indépendance du juge, et soumis la nomination des magistrats à l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature lequel avis est conforme, en ce qu’il lie le pouvoir exécutif (article 15 de la loi N°94-027 du 15 juin 1999). La loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la Magistrature réaffirme l’indépendance du magistrat du siège (article 4) et le principe de l’inamovibilité des magistrats du siège (article 23 et 24), en lui donnant un contenu, en même temps qu’elle souligne le rôle essentiel qu’est appelé à jouer le Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des magistrats, qu’ils soient du siège, du parquet ou de l’administration centrale de la Justice, sans occulter les garanties nécessaires à l’accomplissement de leur office, en l’occurrence la mesure protectrice du magistrat du parquet prévue à l’article 7 du statut de la Magistrature, qui proscrit les instructions verbales de l’autorité hiérarchique au profit d’instructions écrites qui doivent être versées au dossier. Toutes ces dispositions de la Constitution du 11 décembre 1990, de la loi portant statut de la magistrature et de la loi relative au Conseil Supérieur de la Magistrature constituent des avancées notables et des acquis de l’Etat de droit très enviés par les magistrats des autres pays de la sous-région qui se battent aujourd’hui pour obtenir les mêmes garanties. Aussi, est-il aujourd’hui incompréhensible qu’à l’occasion de la révision de la Constitution du 11 décembre 1990, le projet proposé essaie de vider les principes de l’indépendance et de l’inamovibilité de sa substance, sans aucune justification. En effet, l’article 126 de la Constitution du 11 décembre 1990 prévoit : « La justice est rendue au nom du peuple Béninois. Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont inamovibles. » Sans aucune justification ni explication, le projet de révision de la constitution dispose en son article 127(ancien 126) : « La justice est rendue au nom du peuple Béninois. Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité de la loi. Les magistrats du siège sont indépendants dans la conduite de leurs dossiers et le prononcé de leurs décisions. Les magistrats du siège sont inamovibles sauf insuffisance, faute professionnelle ou atteinte à la crédibilité de la Justice. Cette inamovibilité ne constitue pas un privilège personnel du magistrat. Elle vise à garantir l’indépendance de la Justice ». L’indépendance du juge est globale. Elle imprègne la personne même du juge, et ne saurait dès lors être compartimentée. Si les juges sont indépendants seulement dans la conduite de leurs dossiers et le prononcé de leurs décisions, doivent-ils alors se laisser soumettre dans les autres aspects de la vie sans que leur éventuelle allégeance n’entraine des répercutions graves sur la conduite des dossiers et le prononcé des décisions ? Le juge doit être simplement indépendant. Et toute restriction ou nuance apportée au principe de l’indépendance du juge constitue une brèche dont l’objectif ne peut être que d’affaiblir et d’assujettir la Justice. Ce serait un recul grave par rapport aux acquis de notre Etat de droit. Il en est de même du principe de l’inamovibilité des juges qui constitue l’une des principales garanties de l’indépendance de la Justice. Dans certains pays comme la Hollande, l’inamovibilité s’étend même au procureur général près la Cour suprême. Sans qu’il soit besoin de l’inscrire dans la Constitution, il est évident que l’inamovibilité des juges n’est pas un privilège pour ceux-ci. Elle est destinée à protéger les magistrats du siège contre toute mesure arbitraire de suspension, de rétrogradation, de déplacement même en avancement, de révocation, et partant, à assurer la garantie des plaideurs et de l’intérêt général. Toute "épée de Damoclès" qui pendrait sur la tête d’un juge annihile en lui toute indépendance et toute impartialité. Le juge ne doit pas avoir peur de faire son travail, ni craindre pour sa carrière pour les mêmes raisons. C’est pourquoi ce principe ne doit souffrir d’aucune restriction. Le fait de soumettre ce principe à des exceptions telles que « sauf insuffisance, faute professionnelle ou atteinte à la crédibilité de la Justice » constitue des brèches susceptibles de permettre au pouvoir politique d’embrigader la Justice. Ce serait un recul grave de l’Etat de droit que le peuple Béninois s’efforce de construire depuis 1990. En tout état de cause, le Bénin ne saurait descendre aussi bas sans violer ses engagements internationaux, car la question de l’inamovibilité du magistrat du siège est un principe universel dont le contenu a été définitivement fixé par deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies. Celle-ci a, en effet, précisé le sens qu’il faut donner au principe de l’inamovibilité du magistrat du siège, dans les résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 sur les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la Magistrature, lesquelles stipulent en leur point 12 : « Les juges, qu’ils soient nommés ou élus, sont inamovibles tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire de la retraite ou la fin de leur mandat. » Ces résolutions ont servi de base en 1990, à l’écriture de l’article 126 de la Constitution du 11 décembre 1990 et en 2001, à l’élaboration de la loi n° 2001-35 du 21 février 2003 portant statut de la Magistrature. Du reste, les questions concernant l’insuffisance, la faute professionnelle ou l’atteinte à la crédibilité de la Justice relèvent du domaine de la compétence et de la discipline, et trouvent leurs réponses dans le statut de la Magistrature dont les dispositions ont déjà permis à l’autorité de tutelle, sous le contrôle du Conseil Supérieur de la Magistrature, de sanctionner des magistrats, de les déplacer ou simplement de les retirer des juridictions. En tout état de cause, il n’y a aujourd’hui aucune justification aux modifications du principe de l’inamovibilité du magistrat du siège. Le débat qu’il convient de mener aujourd’hui, et qui est en cours dans toutes les démocraties modernes, est celui de l’indépendance des magistrats du parquet, lesquels ont aussi besoin de garantie institutionnelle au-delà de la "liberté de parole", pour exercer efficacement leur mission d’intérêt général. C’est pourquoi, l’Unamab propose de maintenir en l’état le contenu de l’article 126 de la Constitution du 11 décembre 1990.
IV- La nature de la loi devant régir la Cour suprême
La Cour suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière administrative, judiciaire et des comptes. Placée au sommet du Pouvoir Judiciaire, elle est aujourd’hui régie par une loi ordinaire, contrairement à toutes les autres institutions de l’Etat, à savoir, la Cour constitutionnelle, la Haute Cour de Justice, le Conseil Economique et Sociale, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, pour lesquelles la Constitution du 11 décembre 1990 a prévu qu’elles soient régies par une loi organique (Articles 115, 128, 135,140, et 143 de la Constitution). Nul doute qu’il s’agit là manifestement d’une omission qui pourrait s’expliquer par le fait que la Cour suprême, la plus ancienne des Institutions de l’Etat existait déjà en 1990 au moment du renouveau démocratique, et était régie par l’ordonnance N° 21PR du 26 avril 1966 remise en vigueur par la loi N°90-012 du 1er juin 1990. Il convient dès lors de remettre la Haute juridiction à son rang, en faisant régir sa composition, son organisation et ses attributions par une loi organique. Ce débat a eu lieu devant les députés, lors de l’adoption de la loi N° 2004-07 du 23 octobre 2007 sur la Cour suprême. La solution préconisée était d’assurer d’abord cette modification au niveau de la Constitution. Par ailleurs, l’organisation de la Cour suprême prévoit, outre les conseillers des chambres, un parquet général animé par le procureur général et les avocats généraux. Cette réalité n’a pas été prise en compte dans la Constitution du 11 décembre 1990, sans doute pour les mêmes raisons que ci-dessus. La révision de la Constitution est la seule occasion d’apporter les réponses idoines à ses deux préoccupations concernant la Cour suprême. Or le projet de révision de la Constitution ne prévoit rien à ce propos. C’est pourquoi il serait souhaitable de compléter, dans la cadre de la révision constitutionnelle, le titre consacré à la Cour suprême, par ces deux préoccupations.
V-Les modalités de nomination des magistrats, du président et des membres de la Cour suprême, et l’avis du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM)
Comme souligné plus haut, l’un des fondamentaux de l’Etat de droit est l’indépendance de la Justice. Mais, à la lecture des articles du projet de révision concernant la Justice, on note une volonté manifeste de l’Exécutif de subjuguer ou de contrôler la Justice, contrairement aux dispositions de la Constitution actuellement en vigueur. En effet, l’article 129 de la Constitution du 11 décembre 1990 prévoit : « Les magistrats sont nommés par le Président de la République, sur proposition du Garde des Sceaux, ministre de la Justice, après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature ». L’article 134 alinéa 1er pour sa part dispose : « Les présidents de chambre et les conseillers sont nommés parmi les magistrats et les juristes de haut niveau, ayant quinze ans au moins d’expérience professionnelle, par décret pris en conseil des ministres, par le Président de la République, sur proposition du président de la Cour suprême et après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature ». L’article 15 alinéa 1erde la loi organique N°94-027 du 15 juin 1999 relative au Conseil supérieur de la Magistrature précise quant à lui : « Les magistrats sont nommés par le Président de la République, sur propositions du garde des Sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la Magistrature ». Il en est de même à l’alinéa 2 du même article, des présidents de chambre et conseillers de la Cour suprême. Mais, sans aucune justification ni explication dans l’exposé des motifs, le projet de loi portant révision de la Constitution prévoit en ses articles 130 et 135 un avis motivé du Conseil supérieur de la Magistrature, en ce qui concerne la nomination des magistrats, et un avis motivé du Président du Conseil Supérieur de Magistrature, s’agissant de la nomination des présidents de chambre et des conseillers de la Cour suprême. La question qui se pose ici est de savoir à qui sera destiné cet avis motivé ! Serait-ce le Conseil des ministres ou le Président de la République ? Si c’est le cas, le principe constitutionnel de la Séparation des pouvoirs serait alors bafoué. En outre, à qui serait destiné l’avis motivé du Président de la République ? Et à quoi serviraient alors les autres membres du Conseil Supérieur de la Magistrature ? Il importe à ce stade de rappeler qu’il existe deux types d’avis, à savoir, l’avis consultatif et l’avis conforme. L’avis consultatif est un avis technique qui ne lie pas son destinataire, mais lui apporte un éclairage sur le sujet concerné. L’avis conforme, quant à lui, émane la plupart du temps d’une instance spécialisée ou d’un organisme technique, et s’impose à son destinataire, en raison de la particularité de la matière. L’avis motivé est un avis consultatif dans lequel il est demandé à son auteur de justifier sa position pour permettre à l’autorité qui doit prendre la décision de disposer de tous les éléments objectifs d’appréciation pour le faire. Le choix de l’avis conforme pour le Conseil supérieur de la Magistrature par le Législateur béninois procède à la fois du principe de la séparation des pouvoirs, de la mission de garant de l’indépendance de la Justice qui incombe à cette instance, et du fait que les deux autorités du Gouvernement impliquées dans les nominations de magistrat sont membres de ce conseil. Les dispositions du projet de révision de la Constitution opèreraient une modification substantielle de la procédure de nomination des magistrats, en ce que c’est l’avis motivé du Conseil Supérieur de la Magistrature qui serait sollicité, au lieu de l’avis conforme comme c’est le cas actuellement, la nomination proprement dite étant, dans cette hypothèse, certainement réservée au Président de la République et à son Gouvernement. S’agissant des présidents de chambres et des conseillers de la Cour suprême, c’est l’avis du Président du CSM qui serait requis désormais. Cet avis serait alors destiné à qui ? A moins de procéder d’une erreur matérielle qui peut être réparée rapidement, cette modification apparait comme une hérésie au regard des principes administratifs et un obstacle à l’Indépendance de la Magistrature et de la Justice. On voit dans ces propositions de modification de la Constitution une volonté de L’Exécutif de prendre le contrôle de la Justice, comme s’il s’agissait d’une administration ordinaire. Le choix de l’avis conforme s’induit des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la Justice. C’est ce qui se fait dans tous les Etats démocratiques et notamment en France, au Sénégal etc. Au Congo Brazzaville et ailleurs, les nominations des magistrats se font par décret du Président de la République après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature, à l’exclusion du Conseil des ministres. Eu égard à tout ce qui précède, seul le choix de l’avis conforme qui avait été fait depuis 1990 correspond à la spécificité du Corps de la Magistrature et de la Justice qui ne saurait, en aucun cas, dans un Etat de droit, être placée sous le joug de l’Exécutif. Ce serait un recul grave préjudiciable à l’Etat de droit et à la Démocratie. Il convient dès lors de maintenir le contenu de l’article 134 actuellement en vigueur sans aucun changement, à moins d’envisager des réformes sérieuses dans le sens du renforcement de l’indépendance de la Justice, comme c’est le cas aujourd’hui dans la plupart des démocraties modernes. En effet, la Cour suprême se trouvant au sommet de la pyramide des juridictions judiciaire, administrative et des comptes, elle a un rôle primordial à jouer dans le fonctionnement de la Justice dont l’indépendance passe nécessairement par l’indépendance des magistrats en général et celle des magistrats de cette Cour en particulier. A travers ses décisions auxquelles la loi fondamentale confère un caractère définitif en ce qu’elles ne sont susceptibles d’aucun recours, la Cour suprême oriente les juges de fond dans leurs jugements et arrêts. La nomination du président de la Cour suprême et des autres magistrats chargés d’animer cette haute juridiction devrait dès lors se faire de manière à rendre ces derniers totalement indépendants des pouvoirs exécutif et législatif. C’est pourquoi l’UNAMAB propose plutôt les réformes suivantes : • Nomination du président de la Cour suprême Le mode de désignation du Président de la Cour suprême, tel que prévu par la Constitution du 11 décembre 1990 pourrait être amélioré dans le sens d’une transparence et de l’efficacité du Pouvoir Judiciaire. Ainsi, quelques semaines avant la fin du mandat en cours ou dès la vacance du poste pour d’autres motifs, le Conseil Supérieur de la Magistrature, fait un appel à candidature en direction des magistrats, avocats et juristes de haut niveau ayant au moins 15 années d’expérience professionnelle. Les dossiers de candidatures enregistrés seront soumis à l’examen du Conseil Supérieur de la Magistrature, lequel retiendra les trois (03) meilleurs candidats à proposer au Chef de l’Etat. Ce dernier, après avis du bureau de l’Assemblée Nationale, nommera l’un des trois (03) pour un mandat de cinq (05) ans renouvelable une fois. Une autre approche consisterait simplement à faire élire le président de la Cour suprême au sein des membres de cette juridiction par ses pairs, sur la base de critères préalablement déterminés. •Nomination des présidents de chambres, conseillers, procureur général et avocats généraux à la Cour suprême
Le processus de nomination de ces magistrats débutera également par un appel à candidature du Conseil Supérieur de la Magistrature sur demande du Président de la Cour suprême conformément à des critères qui seront bien définis par la loi. Les dossiers de candidatures enregistrées au Secrétariat Général seront soumis au Conseil Supérieur de la Magistrature pour examen à l’issue duquel les meilleurs candidats seront retenus, à raison du nombre de postes à pourvoir, et proposés à nomination en conseil des ministres par le Conseil Supérieur de la Magistrature dont les propositions et avis resteront conformes.
VI- Le contrôle des décisions de justice par la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle, autrefois chambre constitutionnelle de la Cour suprême, a été érigée, à la faveur du renouveau démocratique, en une juridiction constitutionnelle autonome par la Constitution du 11 décembre 1990. Elle est, aux termes des dispositions de l’article 14 de la Constitution, « La plus haute juridiction en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques. Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics. Dans l’exercice de ses prérogatives de protection des droits de la personne humaine, la Cour constitutionnelle s’est pendant longtemps refusée à contrôler les décisions de justice, qu’elles émanent des juridictions de première instance et d’appel ou de la Cour suprême, tout d’abord parce que cela est contraire à la Constitution (Article 131 alinéas 3 et 4), et ensuite parce que l’organisation du pouvoir judiciaire et sa mission de protection des droits fondamentaux de la personne et des libertés publiques rend ce contrôle inopportun. C’est tout récemment, et notamment à l’occasion de l’examen d’un recours dans l’affaire qui oppose les consorts Aïdasso et Atoyo, que la Cour constitutionnelle a changé de comportement, allant jusqu’à censurer un arrêt de la Cour suprême dont les décisions ne sont susceptibles d’aucun recours, au nom de la protection des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques. La juridiction constitutionnelle pose ainsi un principe en décidant que « les décisions de la Cour suprême ne sont pas susceptibles de recours devant la Cour constitutionnelle pour autant qu’elles ne violent pas les droits fondamentaux des citoyens et des libertés publiques ». Cette formule a été insérée dans la nouvelle mouture du projet de révision de la Constitution du 11 décembre 1990 comme pour légitimer et conforter cette position de la Cour constitutionnelle, pour le moins erronée. Il est en effet prévu dans le projet de texte portant révision de la constitution ce qui suit : Article 118 : « La cour constitutionnelle statue obligatoirement sur : la constitutionnalité des lois, des actes réglementaires et des décisions de justice censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur la violation des droits de la personne humaine… ». L’article 125 du texte proposé prévoit ce qui suit : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application ; de même un acte ou une décision de justice déclarée inconstitutionnelle pour violation des droits de l’homme ne peut être mis à exécution ». Il ressort ainsi des dispositions sus énoncées la possibilité laissée à la Cour constitutionnelle de censurer les décisions de justice y compris celles de la Cour suprême en dépit du caractère intangible de ses décisions. Une telle approche n’est pas compatible avec les principes qui gouvernement l’organisation judiciaire et plus généralement l’ordonnancement institutionnel et juridique institué par la Constitution qui maintient dans ses grandes articulations la séparation des pouvoirs, faisant du pouvoir judiciaire une entité indépendante des autres pouvoirs. Ces préoccupations peuvent être mieux cernées à travers le principe de la hiérarchisation du pouvoir judiciaire et la mission de protection permanente des droits fondamentaux qu’exerce le pouvoir judiciaire.
6.1- Les cours et tribunaux assurent essentiellement la protection des droits fondamentaux de la personne humaine
Les hautes juridictions exercent deux types de contrôle. La Cour constitutionnelle exerce un contrôle de la constitutionnalité et la Cour suprême un contrôle de la légalité. S’agissant du contrôle de légalité, les juridictions relevant du pouvoir judiciaire assurent quotidiennement la protection de la propriété mobilière et immobilière, et de l’environnement. Elles statuent, entre autres, sur les contestations touchant à l’intégrité de la personne humaine, aux questions relatives aux libertés publiques, en sanctionnant le cas échéant leur violation. Ces quelques exemples des compétences du pouvoir judiciaire montrent bien que les juridictions judiciaires assurent essentiellement une mission de protection des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés, du droit à la vie, à la liberté, de la sécurité, de l’intégrité de la personne, du droit de propriété, de la liberté d’expression et de tous les autres droits protégés par la Constitution et dont la violation est sanctionnée, le cas échéant, par les cours et tribunaux, sous le contrôle ultime de la Cour suprême. La mission de protection des droits fondamentaux de la personne humaine confiée par la Constitution à la Cour constitutionnelle concerne les violations directes de ces droits notamment par l’Administration ou ses représentants. Cette mission ne peut justifier le contrôle des décisions des juridictions de l’ordre judiciaire. C’est pour cette raison que le Constituant de 1990 s’est limité, dans la formulation de l’article 117, 1er tiret, 3ème astérix à : « La constitutionnalité des lois et des actes réglementaires censés portés atteinte aux droits de la personne humaine et aux libertés publiques ». La censure des décisions de justice touchant aux droits fondamentaux de la personne humaine se fait déjà et doit continuer de se réaliser au sein du Pouvoir judiciaire.
6.2- L’ordonnancement et le fonctionnement du Pouvoir judiciaire ne permettent pas le contrôle des décisions de justice par la cour constitutionnelle
Conformément à l’article 125 alinéa 2 de la Constitution et qui ne fait pas l’objet de révision, « le Pouvoir judiciaire est exercé par la cour suprême, les cours et tribunaux crées conformément à la Constitution ». Le contrôle des décisions de justice qu’envisage d’instituer l’article 118 du projet de texte de révision de la Constitution, revient à créer un quatrième niveau de règlement des litiges en matières pénale, civile, commerciale et autres touchant aux droits fondamentaux protégés par la Constitution. Mieux, le contrôle des décisions de justice « censées porter atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques » conduirait les citoyens à soumettre à la Cour constitutionnelle des affaires relevant de la compétence des juridictions du fond et dont le jugement n’est pas définitif. Les nouvelles dispositions envisagées dans le projet de texte sont problématiques, en ce qu’elles sont porteuses d’insécurité juridique et judiciaire et risquent de conduire à une impasse, voire un déni de justice, comme c’est le cas déjà dans l’affaire Aïdasso contre Atoyo. Le contrôle du respect des droits fondamentaux exercé par les juridictions à travers le contrôle de légalité doit pouvoir se faire au sein du pouvoir judiciaire, sous le contrôle de la Cour suprême. Dans tous les cas, la validité ou la légalité d’une décision de justice dans le domaine des droits de la personne humaine et des libertés doit relever de l’appréciation du Pouvoir judiciaire et non, à la fois, de l’appréciation des deux hautes juridictions relevant des ordres différents. Il convient, dès lors, pour la crédibilité et l’efficacité de notre Justice, que chacun des ordres juridictionnels se cantonne strictement dans son domaine de compétence, sans possibilité d’interférence, comme il était déjà prévu dans la Constitution du 11 décembre 1990. Le fait de prévoir à l’article 117 du projet que la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des décisions de justice est une dérive, car il s’agirait d’une ingérence grave de la juridiction de l’ordre constitutionnelle dans les attributions des juridictions de l’ordre judiciaire. En outre, une telle possibilité perturberait le déroulement des procès devant les différents degrés de juridiction de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif. L’exposé des motifs qui devrait permettre aux députés de comprendre le sens et la philosophie qui sous tendent ces modifications, n’en a donné aucune justification ni explication. C’est pourquoi, il serait plus sage d’abandonner cette proposition de modification de la Constitution, pour le moins hasardeuse, aventurière et même contraire à l’ordonnancement constitutionnel tel que prévu par le projet de révision constitutionnel.
VII- La composition et les conditions de nomination des membres de la Cour des comptes
L’article 141 bis du projet de révision prévoit : « Le président de la cour des comptes est nommé pour une durée de cinq (05) ans par décret du Président de la République pris en conseil des ministres après avis du Président de l’Assemblée Nationale, parmi les juristes de Haut niveau, les inspecteurs des finances, du trésor et des impôts, les économistes gestionnaires et les experts comptables ayants au moins quinze (15) années d’expertise professionnelle… ». Le projet ne prévoit pas, comme pour la Cour suprême, les conditions de nomination des membres de la Cour des comptes. En outre, on ne comprend pas que les magistrats soient exclus de la liste des personnes éligibles aux fonctions de président de la Cour des comptes, alors que ce sont les magistrats qui sont les pionniers dans ce domaine au sein de la Cour suprême. Ce sont ces pionniers qui ont donné la main aux financiers qui animent aujourd’hui la chambre des comptes avec d’autres magistrats, car il s’agit essentiellement de contrôle juridictionnel, donc du travail de juge. Actuellement, plusieurs magistrats participent à l’animation de la chambre des comptes de la Cour suprême. C’est le cas du président actuel de cette chambre, d’un conseiller et des membres du ministère public près la Cour suprême qui ont acquis assez d’expériences en cette matière. Pourquoi une réforme d’exclusion ? Le constituant doit éviter d’introduire dans un texte de loi et encore moins dans la Constitution des dispositions qui frisent le règlement de compte, eu égard à un certain débat actuellement en cours au sein des membres de la Cour suprême. Il n’est pas dit que c’est un magistrat qui sera nécessairement nommé à la tête de la Cour des comptes. Mais, si le Président de la République souhaite nommer un magistrat expérimenté en matière de contrôle des comptes comme président de la Cour des comptes, la Constitution ne doit pas l’en empêcher. Le juriste de haut niveau ou l’économiste gestionnaire, par exemple, sont-ils plus expérimentés en matière de jugement des comptes que les magistrats qui ont appris à juger ? Au niveau de la Cour des Comptes, c’est un problème de complémentarité de compétences. Les dispositions d’une loi ne doivent pas s’embarrasser de "querelles de personnes" ou de considérations subjectives. Elles doivent plutôt revêtir un caractère général qui justifie la solennité de son adoption et l’intervention des représentants du peuple. Par ailleurs, le projet de révision n’indique pas les critères de nomination des membres de la Cour des comptes. Eu égard à ce qui précède, l’UNAMAB propose que les magistrats soient inscrits au nombre des personnes éligibles au poste de président de la Cour des comptes, et que les conditions et modalités de nomination des membres de ladite cour soient déterminées dans la Constitution.
VIII- Une réforme efficiente de la Haute Cour de Justice
La Haute Cour de Justice (HCJ) est un organe important du dispositif institutionnel de lutte contre la mauvaise gouvernance au Bénin. En effet, comme nous l’avions mentionné supra, cette juridiction a une attribution spéciale. Créée par la Constitution du 11 décembre 1990 à côté des autres organes du Pouvoir Judiciaire, elle a pour mission de juger le Président de la République et les membres du gouvernement à raison des faits qualifiés de haute trahison, d’outrage à l’Assemblée Nationale, d’atteinte à l’honneur et à la probité, d’infractions commises dans l’exercice ou l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Avec les autres institutions de contrepoids, elle est l’expression concrète de la volonté du peuple Béninois de lutter contre tout régime politique fondé sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, la confiscation du pouvoir et le pouvoir personnel. Mais, après dix-huit ans d’existence, la Cour n’a connu qu’une seule poursuite, à la suite du vote, le 18 juillet 2006, de la décision de poursuite d’un ancien ministre pour « détournement de deniers publics sur la base des ordres de paiement non justifiés et détournement de biens publics ». La décision d’extension de la poursuite aux autres anciens ministres cités dans la même affaire n’a pu être votée , pas plus que la mise en accusation. Cette léthargie de la Haute Cour de Justice est d’autant plus préoccupante que l’actualité nationale est marquée par de nombreux scandales financiers dans lesquels des membres du Gouvernement sont cités. Au-delà de ces dysfonctionnements, se posent de sérieux problèmes de fond, relatifs à l’organisation, au fonctionnement et aux attributions de la Haute Cour de Justice, ainsi qu’à la procédure suivie devant elle. Dès lors, une révision constitutionnelle conséquente ne saurait se contenter de quelques modifications superficielles d’articles qui compliquent davantage les choses. La révision doit consister en une réforme profonde de la Haute Cour de Justice en vue de redéfinir sa composition, d’alléger les procédures de poursuite, d’instruction et de jugement des délinquants en cause et d’en faire une juridiction ad hoc, non permanente, avec un ministère public qui pourrait être simplement exercé par le parquet général près la Cour suprême, comme c’est le cas par exemple en France. C’est de cette manière seulement que la poursuite de cette catégorie de délinquants sera possible, et que les modifications de la Constitution seront utiles.
IX- Une mise en liberté d’office avec ou sans caution !
L’idée de la mise en liberté d’office prévue à l’article 18 du projet de révision est très louable, dans la mesure où elle constitue une concrétisation de la protection des libertés individuelles, du reste déjà prévue par le nouveau code de procédure pénale en ses articles 154, 214, 220, 481 et 670. Mais, le caractère d’office de cette mise en liberté est incompatible avec la conditionnalité de paiement d’un cautionnement. En effet, une mise en liberté avec cautionnement peut faire traîner l’effectivité de la mesure plusieurs mois durant, si le bénéficiaire de la décision ne dispose pas de moyens suffisants pour payer le cautionnement. C’est dire qu’une mise en liberté d’office dans le contexte énoncé par le texte de révision ne saurait être judicieusement soumise à un cautionnement. Par ailleurs, l’alinéa 6 de l’article 18 du projet de révision, qui prévoit la mise en liberté d’office avec ou sans caution, n’indique pas l’autorité judiciaire qui doit prendre la décision. Peut-être serait-il plus simple de laisser le code de procédure pénale organiser cette procédure de mise en liberté d’office dans un ensemble de dispositions plus cohérent, comme c’est déjà le cas, avec la promulgation et l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale.
Conclusion
Le problème n’est pas tant la révision que la manière d’y procéder. En outre, l’indépendance de la Justice constitue également l’un des fondamentaux de notre Etat de droit qu’il convient de préserver. C’est pourquoi l’Unamab estime que le projet de révision de la Constitution ne saurait être examiné en l’état par l’Assemblée Nationale. Il nécessite encore un travail technique approfondi, et une consultation plus élargie comme l’avait promis le Président de la République, lors du retrait du premier projet. C’est pourquoi elle demande que ce projet soit retiré pour être réexaminé par une équipe pluridisciplinaire associant théoriciens et praticiens du droit choisis pour leur compétence, leur intégrité et leur probité. Elle se propose pour participer aux travaux à travers deux représentants.
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