« L'école de Cabeça d'Agua, c'était une maison avec une porte, deux fenêtres et rien d'autre. Le premier jour où l'on m'y a emmenée, j'étais heureuse d'y rencontrer des enfants de mon âge. Ils étaient là, drôles, bruyants, de grands yeux, des visages maigres. C'était aussi la première fois qu'on me mettait dans les mains une plume avec de l'encre à tremper et elle m'est tombée des mains, a taché la feuille et a roulé par terre. J'ai dû la chercher à quatre pattes sous les pupitres pour la retrouver. C'est alors que j'ai remarqué que la plupart des pieds de mes camarades de classe étaient nus. J'ai vu ces pieds posés par terre et j'ai compris que la classe se divisait en deux parties - ceux qui avaient et ceux qui n'avaient pas de chaussures. Cette nuit-là, j'ai cherché chez moi des chaussures qui pourraient servir à mes camarades, et il y en avait plusieurs boîtes, mais pour enfants je n'en ai trouvé qu'une paire, alors que moi, je voulais trouver des bottes, toutes sortes de chaussures. Ma mère a découvert ce que j'étais en train de faire et m'a dit : "Pourquoi fais-tu tout ça ? Détrompe-toi, tu auras beau faire, tu n'arriveras jamais à chausser tout le monde." Et ce fut ainsi. Pendant des années, je n'ai pas raconté cet épisode, jusqu'à ce que je renonce à mon silence. Après tout ce temps, l'humanité continue à être divisée exactement en ces deux mêmes groupes - ceux qui sont et ceux qui ne sont pas chaussés. Il n'y a qu'en littérature qu'on arrive à trouver chaussures à tous. Peut-être est-ce là une des raisons pour lesquelles j'écris. Peut-être bien que j'écris depuis ce jour où ma plume a glissé le long de ma table, déversant de l'encre sur le papier et me conduisant au sol du monde » source |
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