Si on définit l'État par ses obligations et celles-ci par leur assomption--car il n'y a d'obligations qu'assumées--il n'y aurait certainement pas beaucoup d'États dignes de ce nom sous nos tropiques. Le caractère sujet à caution de l'existence de l'État sous nos tropiques s'exprime dans les mille et une postures étatiques creuses de nos institutions dont la plupart se limitent à l'existence de leur Président, ainsi que des facilités matérielles et logistiques dont ils jouissent--émoluments, voiture et résidence de fonction, passe-droits de toute nature--avec en prime le pouvoir de nommer leurs subalternes obnubilés eux aussi par leurs passe-droits, émoluments et autres jouissances matérielles associés. Sortie de cet arbre descendant de la jouissance statutaire, nos institutions perdent toute signification et ne sont que des coquilles vides, elles ne rougissent pas de leur nature d'institutions parodiques ; elles s'en font même gloire, car la parodie est leur raison d'être. Nos états tropicaux sont par rapport aux états occidentaux ou asiatiques ce que le Pokémon est aux vrais monstres : un ersatz. Et cette foire à la parodie généralisée à toutes les institutions de tous ordres confine à l'absurde. Ainsi, nous commençons par avoir un chef d'État qui bien souvent prend force et autorité à partir d'élections parodiques, mais nous n'avons pas d'État. C'est comme si nous avions un chef de famille sans avoir de famille ! Dès lors, toutes nos institutions sont comme des monstres macrocéphales imbéciles. Tout se concentre dans la tête, et rien dans les membres ni dans le corps. Ceci se ressent dans la définition de certaines organisations et sociétés à vocation fonctionnelle. Comme c'est le cas au Bénin, comment définir l'adduction d'eau dans sa capitale--pour ne pas parler des hameaux éloignés, des villages du fin fond du pays--comment définir l'électrification au XXIe siècle, sans parler des nouvelles technologies de l'information et de la communication dont, pince-sans-rire, nous nous targuons d'avoir le service. À partir de quels critères dit-on d'une ville comme Cotonou qu'elle est électrifiée ? Qu'elle possède l'Internet ? Que ses habitants jouissent de l'adduction d'eau et des facilités de la communication téléphonique ? En dehors de cet empressement factice de nos États à revendiquer, comme les autres États, la jouissance de ces facilités ? Le téléphone portable par exemple est venu se substituer technologiquement et techniquement mais aussi socialement et sociologiquement au téléphone fixe mais c'était au grand soulagement d'un État jusque-là chroniquement incapable d'assurer les infrastructures d'installation pour tous. Si l'électrification d'une ville se définit à partir de la pose des installations de conduction et de distribution, évidemment Cotonou est une ville électrifiée et encore ! Mais l'électrification d'une ville se mesure-t-elle au nombre de kilomètres de fils électriques qui quadrillent l'espace urbain de cette ville ? Assurément non ! L'électrification d'une ville se mesure-t-elle au taux de recouvrement par l'organisme spécialisé des redevances et quittances électriques ? Assurément non ! Surtout lorsque que la technologie permet à cet organisme de se faire rembourser à l'avance à l'aide de l'utilisation de cartes prépayées d’une consommation effective non-assurée et hautement aléatoire ? L’électrification d'une ville se mesure-t-elle à la quantité d'électricité aléatoire et discontinue servie aux usagers ? Assurément non ! Le courant à beau être alternatif, la définition essentielle de l'électrification d'une ville tient au caractère continu de sa jouissance effective. Or, à Cotonou et depuis plusieurs années, la jouissance effective de l'électricité est des plus aléatoires, des plus anarchiques et les plus fantaisistes. Les coupures loin d'être de brèves exceptions techniques font partie du mode de distribution et sont assenées aux usagers sur un mode arbitraire et une durée qui excède toute quantité fixable à l'avance et tombant humainement sous le sens. Dans ces conditions, l’électrification de Cotonou--pour ne citer que la première ville du pays--loin d'être une source de lueur est plutôt source de leurre. Elle traduit si besoin est le caractère parodique de nos institutions et organisations spécialisées. Et la traduction de cette inclination de nos états à se masquer derrière des définitions nominalistes de leurs fonctions spécifiques, définitions qui, dans la réalité, jurent on s'opposent à celles-ci. Le cas de l'électrification n'est pas isolé dans le port de ces masques ontologiques commodes, comme dans le carnaval technologique des états et nations du monde, nous aimons afficher, sans qu’à l'intérieur, ils correspondent à une réalité de base : le téléphone portable est à la merci de la fantaisie de ce qu'on appelle réseau ; et la même fantaisie ou déficience chronique des réseaux s'applique à la connexion Internet. Si bien que dans ce dernier domaine, le Bénin est classé parmi les dernières nations sinon la toute dernière en termes de connectivité. Il faut souligner à la décharge du secteur et du fonctionnement normal de l'incurie de l'État que le régime en place y a fermement mis du sien. En effet, Internet est un outil de diffusion, de publication et de communication libre difficile à contrôler. Or le régime dit du changement qui contrôle l'État béninois depuis 2006, est comme tout le monde l'a vu, extrêmement allergiques à la liberté d'expression. Il a muselé toute la presse et les médias du pays à coups de contrats d'obédience, mène la vie dure aux indépendants d'esprit qui osent résister à la pensée unique qu'il impose ; il a mis le principe du débat hors jeu ; a défini les thèmes de prédilection--que sont le culte de la personnalité déifiée du président, la carte blanche donnée au religieux pour leur propagande diverses et variées, la bonne santé médiatique des régionalistes, des népotistes, la superbe scandaleuse des corrompus et autres opportunistes ivres d'enrichissement personnel sous le parapluie débonnaire de l'impunité--à l'exclusion d'une approche rationnelle, positive, démocratique de l'expression et de la liberté de communication. Or, l'Internet, de par sa nature, permet cela et une forme de démocratie directe participative, libertaire et multipolaire. Dans ces conditions, comment veut-on que l'Internet se développe sous un régime allergique à la liberté d'expression et à la pensée plurielle, comme celui qui impose sa loi usurpée au Bénin depuis 2006 ? Tout ce qui vient d'être dit de la définition de l'électrification et de la connectivité Internet vaut mutatis mutandis pour la communication par téléphone mobile et, encore plus vital, pour l'adduction en eau potable de la ville de Cotonou. Toutes ces facilités de base vitales que les pouvoirs publics en tant que garants de l'État doivent aux citoyens, au peuple, aux habitants de ce pays font l'objet d'un service parodique où l'irrégularité anarchique, les coupures et les discontinuités permanentes le disputent aux postures régaliennes d'un État plus pressé d'exhiber les éléments de fiction qui l’assimilent à ses pairs, plutôt que le vide de ses obligations et fonctions qui l'en distinguent cruellement.
Binason Avèkes
(1) formule yoruba pour dire “ et des choses du même genre”, ou etc..
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