par Juliette Roussin , le 8 avril Pour Philip Pettit, la participation au pouvoir n’est pas par elle-même la condition de la liberté en démocratie. Ce qui importe, c’est le contrôle républicain que le peuple peut exercer sur le gouvernement et qui permet de vérifier que les décisions du pouvoir vont bien dans le sens du bien commun. La république au secours de la démocratie (PDF - 175.3 ko) Par Juliette Roussin Recensé : Philip Pettit, On the People’s Terms. A Republican Theory and Model of Democracy, Cambridge University Press, 2012, 338 p. Dans son dernier ouvrage, On the People’s Terms. A Republican Theory and Model of Democracy, Philip Pettit poursuit l’entreprise de définition d’un républicanisme contemporain entamée quinze ans plus tôt avec Républicanisme [1]. S’il s’agissait surtout dans cet ouvrage de démontrer la supériorité de la conception proprement républicaine de la liberté comme non-domination sur la conception libérale de la liberté, Ph. Pettit s’attache à présent à clarifier l’importance décisive des institutions et procédures démocratiques au sein de la théorie républicaine – qui, au contraire du libéralisme, ne saurait se passer de démocratie. Il s’agit de penser la « légitimité politique » (p. 3) au sein de la république : celle-ci dépend de la définition et de la mise en œuvre d’une politique républicaine « dans des termes fixés par le peuple », autrement dit, d’une démocratie de contrôle que l’ouvrage s’attèle à définir. Le changement est donc de perspective et non de paradigme, Ph. Pettit précisant et raffinant un cadre conceptuel dont les principes fondamentaux demeurent inchangés ; l’ouvrage offre néanmoins l’occasion à Ph. Pettit d’amender sa théorie de la démocratie pour en atténuer l’élitisme que certains lecteurs de Républicanisme avaient cru y déceler. Le démenti que leur oppose Ph. Pettit ne consiste pas à penser la démocratie comme le règne électoral de la volonté majoritaire, mais à faire valoir que l’engagement actif d’une « citoyenneté contestataire » (p. 225) dans la défense de sa liberté publique se décline sous des formes multiples qui ne sauraient se réduire à la participation au pouvoir du peuple en corps. La liberté comme non-domination D’après Isaiah Berlin, « il n’existe pas de connexion nécessaire entre liberté individuelle et gouvernement démocratique [2] » : tant que certains droits et libertés me sont reconnus, je suis aussi libre sous un « despotisme bienveillant » (p. 130) que dans une démocratie ; la part que je peux prendre à la conduite des affaires politiques communes n’augmente en rien ma liberté. Pour Ph. Pettit au contraire, il existe un rapport d’implication entre liberté et démocratie tel que l’individu n’est pas libre s’il est soumis à des lois sur l’élaboration et l’application desquelles il ne dispose d’aucun contrôle : de l’idéal de la liberté résulte ainsi l’exigence de démocratie – du moins lorsque ces deux notions sont correctement comprises. La liberté que défendent I. Berlin et un certain libéralisme après lui se définit négativement : c’est l’absence d’interférence active, de la part de tiers, dans la sphère d’action d’un sujet. Moins mes choix sont limités par l’interférence des autres, et de la loi, plus je suis libre. Cette conception est doublement défectueuse selon Ph. Pettit : elle est incapable de discriminer entre interférences bénéfiques et nuisibles, et elle ne parvient pas à rendre compte des situations dans lesquelles, sans être soumis à une interférence active de la part d’un tiers, le sujet est néanmoins privé de liberté. En d’autres termes, elle ne permet pas de comprendre que peuvent exister des interférences sans domination, comme lorsque la loi met des bornes à l’action des personnes dans leur intérêt avoué et selon des modalités qu’elles contrôlent, et inversement des formes de domination sans interférence, comme lorsqu’un employeur ou un mari profite de sa supériorité économique ou sociale pour maintenir ses employés ou sa femme dans une situation de vulnérabilité constante [3]. Aussi Ph. Pettit propose-t-il de substituer à cette conception libérale décevante celle, héritée du républicanisme romain, de la liberté comme « non-domination ». C’est en effet la domination, l’interférence dans ce qu’elle a d’« incontrôlé » (p. 58) qui est le véritable antonyme de la liberté : quand notre situation présente et le succès de nos projets dépendent des bonnes grâces d’une autre personne, quand nous sommes assujettis à une volonté étrangère à la nôtre et contraire à nos intérêts, nous ne sommes pas libres. Par contraste avec l’état de vulnérabilité qui caractérise la domination, la liberté républicaine est un statut : la personne libre est celle qui est suffisamment en capacité (empowered, p. 2) pour contrôler ses propres choix sans être victime de l’interférence arbitraire des autres, et se tenir ainsi sur un pied d’égalité avec eux. La domination que cherche à réduire le républicanisme peut prendre deux formes. La première est la domination privée : quand une société est structurée par de fortes inégalités de ressources et de pouvoir, se mettent nécessairement en place des relations de domination et de dépendance entre ses membres. C’est l’objet de la « justice sociale » que de régler les relations entre les citoyens de façon à garantir à chacun un statut tel qu’il puisse croiser le regard de ses concitoyens sans peur ni déférence, mais comme un égal parmi ses pairs (p. 82-3). La jouissance de la liberté requiert donc bien plus que la reconnaissance des droits fondamentaux prévue par le libéralisme : en se définissant comme non-domination, la liberté républicaine porte en soi une exigence élevée de justice (p. 110) qui appelle un ensemble de protections publiques allant de la mise en place d’infrastructures et d’un système pénal à la définition d’un régime complet d’assurances sociales. Echapper à la domination privée n’est donc possible que grâce à l’action de l’État : tandis que le libéralisme échoue à concevoir la loi autrement que comme une privation (même nécessaire) de liberté, le républicanisme permet de penser une interférence de l’État dans la vie de ses membres qui ne soit pas l’exercice d’une domination, mais au contraire la constitution de leur liberté. Toute intervention de l’État n’est cependant pas ipso facto légitime : l’État peut en effet abuser de son pouvoir et exercer une forme publique de domination. C’est pour protéger les citoyens contre cette deuxième forme de la domination que la république doit se faire démocratique. La démocratie est en effet l’unique moyen qu’a le peuple de dicter ses conditions au pouvoir et de se prémunir ainsi contre son arbitraire – à condition, là encore, de s’entendre sur l’usage normatif des termes. La démocratie comme contrôle…
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