Au Bénin, depuis au moins le début du Renouveau Démocratique sinon même depuis l'indépendance en passant par la longue nuit de la Révolution, à chaque échéance, nous découvrons la médiocrité relative de nos gouvernants ainsi qu'un vice récurrent des hommes de pouvoir : la corruption et l'enrichissement personnel. Tous travers que nous rangeons sous le terme policé de la mal-gouvernance.
Que le gouvernement soit « démocratiquement élu » comme c'est le cas formellement sous le Renouveau Démocratique, ou qu'il se soit imposé de lui-même comme ce fut le cas pendant la Révolution, le peuple est très vite déçu par le décalage entre ses attentes et sa vie quotidienne ; celle-ci, loin de s'améliorer se dégrade. Ce qui n'empêche pas le système politique de relancer à chaque fois la machinerie de l'espérance et le peuple, ou ce qui en tient lieu, de donner en plein dans la fiction d'une nouvelle donne politique. Au Bénin, ce mouvement de Sisyphe a cru devoir se réaliser à travers la recherche ou la découverte de ce qu'on appelle l'oiseau rare. Mais l'oiseau rare n'est qu'une esthétisation de la fonction dénégatoire qu'assument nos dirigeants. En fait de quoi s'agit-il ? Supposons que nos dirigeants ne se montrent pas régionalistes ; supposons qu'ils ne soient pas corrompus ; supposons qu'il n’y ait sous leur règne aucune affaire, aucun scandale politico-financier ; supposons qu'ils ne s'accaparent pas des médias ; supposons que rien de ce dont depuis 50 ans nous avons pris l'habitude de charger nos gouvernants ne puisse leur être reproché. Supposons alors que tout ce qu'on constate concernant un président de la république qui n'a jamais trempé dans une affaire de corruption et a scrupuleusement respecté la démocratie, soit le fait que le pays n'a pas avancé et que nous serions au moins aussi pauvres à la fin de son mandat qu'au début. Nous aurions alors pris conscience qu'en vérité notre sort ne dépendait pas du Président ; que nous sommes une nation qui est dans un continent qu'on appelle Afrique où les autres nations ne sont pas mieux loties que nous, en raison d'une pesanteur historique que nous n'avons jamais pris le temps d'exorciser ; en raison d'un état d'aliénation symbolique et intellectuelle incompatible avec le développement mais dont nous ne nous soucions pas des implications sur notre vie quotidienne et notre devenir collectif ; en raison d'une mise à l'écart politique du peuple, dont nous ne sommes même pas conscients, parce qu'elle procède d'un héritage du passé colonial, etc.. Nous nous rendrions alors compte que nous ne sommes ni la Norvège pour créer un groupe industriel et commercial performant comme
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Nokia ni la Corée du sud pour nous lancer dans une politique capitaliste et diplomatique agressive à l'échelle du monde ; ni le Japon pour, en l'espace d'une génération, nous hisser parmi les économies non-occidentales les plus performantes et les plus respectées. Ce qui, soit dit en passant, ne veut pas dire qu’entre la Norvège et le Japon il n’y aurait pas eu de la place pour un peuple travailleur et décidé à assumer son destin.
Notre vérité nous serait alors apparue en pleine lumière du jour. Cette vérité que nous dénions dans nos rêves d'espérance politique, dénégation symbolique pour laquelle les régimes successifs et leurs présidents nous servent de trompe-l’œil, de masques et de boucs émissaires. Nos hommes politiques ont bien compris la fonction symbolique qui est la leur, tiraillés entre leurs intérêts personnels et ceux de la logique d'aliénation qui continue de régir nos destins collectifs en nous réduisant à la minorité politique du monde. Alors, leurs agissements crapuleux, la compulsion quasi-irrémédiable à la corruption, le goût de l'enrichissement personnel, les excès antidémocratiques auxquels il faut ajouter à titre idiosyncrasique quelque rationalisation idéologique sous couleur de régionalisme, et d’autres vices du même genre, toute cette mauvaise gouvernance indécrottable et récurrente n’est que le salaire bien compris de la fonction qu'ils acceptent de jouer pour que nous continuions de rêver ou de croire à ce que nous ne sommes pas. Rêve dont le réveil serait pour nous pénible, et source d’une déchirante révision de notre être au monde.
Éloi Goutchili
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