La Panthère s’évada du zoo du PAC, un beau matin. Le jeune homme qui s’occupait d’elle avait pêché par distraction et la bête en a profité pour disparaître dans la nature. Elle sema la zizanie dans le quartier de Gbégamey. La population prit peur et se barricada. Affamée, la Panthère s’attaqua à une horde de porcs qui s’ébrouait sur les tas d’ordure. Repue de viande fraîche et de sang chaud, la bête poursuivit sa traversée mystérieuse de la ville. Les Forces de sécurité appelées à la rescousse, entrèrent en scène. Elles suivirent l’animal, jusqu’au moment où elle se reposa sous un arbre dans un terrain vague ; alors les soldats du corps des tireurs d’élite la mirent en joue. Ils lui tirèrent une balle dans la tête. La Panthère mourut… On l’enterra aussitôt… Mais quarante et une heure après sa mort, la présence de deux Panthères fut signalée aux frontières nord de la ville. Ces panthères étaient chacune deux fois plus robustes que la première, beaucoup plus grandes qu’un lion dont elles pourraient même faire une bouchée ; on les avait vu sortir du bois à hauteur de Kandofi ; là, elles firent leur première victime, une vendeuse de chukutu native de Paraku, accompagnée de sa fille de 12 ans. Les Panthères avaient tué la femme, puis s’étaient repus de sa chair, mais elles laissèrent la fille saine et sauve, et chose curieuse, prirent même le soin de lécher son visage en pleur avant de disparaître dans les fourrées. Aussitôt l’alerte fut donnée. Intrigués, les Kutonutɔ se posaient des questions : d’où venaient ces bêtes ? Seraient-elles à nouveau enfuies de quelque zoo mal entretenu ? Les responsables du zoo du PAC d’où s’était enfuie la première Panthère se mirent sur le qui-vive. Les hommes en armes furent dépêchés sur les lieux, dans l’agglomération de Kandofi où les bêtes étaient signalées. L’affaire prenait même une tournure politique. Les Ministres de la sécurité et de la Défense, ainsi que leur homologue des eaux et forêts étaient sur la sellette. Toutes affaires cessantes, le Président de la République trouva là une occasion idéale pour assouvir ses penchants populistes. Revêtu de la tenue des militaires, et portant comme eux une arme, il se mit en tête d’une expédition de sécurisation de la population. « Je vais faire une bouchée de ces Panthères assoiffées de sang ! » disait-il, et la foule enthousiaste criait : « Vive l’indomptable Président, tueur des Panthères ! » C’est dans cette atmosphère de rodomontade que l’expédition fut lancée. Et, après plusieurs heures de battue filmée en direct par les caméras de l’ORTB, qui, comme chacun sait, n’ont d’yeux que pour les faits et gestes de Monsieur Yayi, les deux Panthères furent repérées dans les environs de Gbènontin, près de Kandofi. Malheureusement, elles avaient déjà fait deux nouvelles victimes: un malafoutier de 60 ans surpris au pied d’un palmier, et un conducteur de zémidjan qui avait garé son engin pour se soulager dans les fourrés. Mais un enfant de neuf ans qui se promenait sur le sentier avait été épargné par les Panthères. C’est lui qui donna l’alerte. Et très vite, les membres de l’expédition sécuritaire, dirigée par le Président de la République en personne, se portèrent sur les lieux. Quand ils arrivèrent à l’endroit de la forêt où se trouvaient les Panthères, suivant les instructions du général en Chef, un périmètre de sécurité fut tracé. Tout autour de ce périmètre, une escouade de soldats se mirent en position de tir et pointèrent leurs armes sur les félins. Protégé par sa garde personnelle, le Président pénétra dans le périmètre, l’arme au point. Puisqu’il tenait personnellement à tuer les deux Panthères devant l’œil avide des caméras de l’ORTB, son miroir national, l’arme du Président avait été munie d’un silencieux. Ainsi, il s’en servit avec une étonnante habileté, et en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le Président avait mis à terre les deux bêtes féroces. La foule nombreuse, applaudit l’exploit ; les soldats eux aussi jetèrent leurs armes pour se joindre un moment à l’euphorie collective. On porta le Président en triomphe, comme on le fait lors des matches de foot aux capitaines de l’équipe victorieuse. « Vive Yayi Boni, le tueur des Panthères ! » criait la foule en délire. Les journalistes qui filmaient l’événement seuls ne purent applaudir, car ils n’avaient pas les mains libres mais dans leur yeux et leur visage, on voyait briller l’enthousiasme des louanges dont ils allaient, comme à leur habitude, couvrir le Chef de l’Etat dans leurs journaux ou émissions télévisées. Les Panthères mortes furent transportées par les membres du services de sécurité sanitaires pour faire l’objet d’un examen minutieux. Un halo de mystère planait autour des félins. D’abord, on constata qu’elles ressemblaient, point pour point, à la première Panthère qui avait été tuée après s’être évadée du zoo du CAP : même pelage, même démarche, et même dentition ; en dehors du fait qu’elles étaient deux fois plus robustes, ces bêtes monstrueuses étaient de parfaits clones de la première Panthère. Comment cela se pouvait-il ? Et d’où peuvent surgir en si peu de temps des clones de même âge du même félin, se demandaient les esprits un tant soi peu rationnels. Mais comme au Bénin l’esprit rationnel côtoie l’esprit irrationnel sans solution de continuité, les gens ne se gênèrent pas pour aller sur le terrain occulte. Ils suspectaient la vengeance de l’esprit de la première Panthère morte dont le seul crime était son désir de liberté. Un bokonon célèbre interrogé par la radio de Dantopa prédit une catastrophe nationale si on n’apaisait pas l’esprit des félins. Le sage homme arguait qu’une panthère était à l’origine de la race des Agasuvi, princes de sang et dignes fondateurs de l’inénarrable royaume du Danhomey dont un Béninois sur trois au moins peut se réclamer aujourd’hui avec fierté. Tous ces discours ethniques à résonance légendaire ajoutaient au mystère. Mais ce qui entre tous renforçait la thèse occultiste c’est que ces Panthères épargnaient les enfants. Par deux fois, ils avaient évité de s’en prendre aux enfants. La fille de la vendeuse de chukutu qui avait été tuée et dévorée avait 12 ans ; elle n’avait pas été inquiétée ; au contraire, aux dires de la fille elle-même, les Panthères, comme le font les chats qui se lustrent, auraient tendrement léché son visage en larme. De même, le garçon qui se promenait le long du sentier bordant le champ dans lequel le malafoutier et le conducteur de zémidjan avaient été tour à tour fauchés par les Panthères, n’avait pas été inquiété. Mort de panique, il avait assisté inerte à la scène de mise à mort du conducteur de zémidjan par l’une des Panthères, avant de prendre ses jambes à son cou. Dans les deux cas, les Panthères avaient été sinon tendres avec les enfants, du moins avaient-ils fait preuve d’une indulgence pour le moins troublante. Etait-ce parce qu’ils dédaignaient la chair tendre ? Ou bien considéraient-ils les enfants comme menus fretins indignes de leur appétit vorace ? Mais dans ce cas, pourquoi avaient-ils aux dires de la fillette épargnée, fait montre d’une tendresse quasi maternelle à son égard ? Non, une chose au moins mettait d’accord les uns et les autres : c’est que ces félins ne s’en prenaient pas aux enfants. Mais alors, pourquoi ? Mystère…Et les supputations allaient bon train…. A suivre Par Nestor Vobogo (sur une idée de Binason Avèkes) |
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