Une comparaison éclaire sur le ridicule ou la mauvaise foi de l'usage du terme démocratie en ce qui concerne le Bénin--du moins ce Bénin qui date de 2006 avec l'arrivée au pouvoir de M. Yayi. La comparaison concerne la moralisation de la vie publique et l’effectivité de la rationalité légale. Au Bénin, on parle depuis des mois du scandale de fraude au concours de la fonction publique ; scandale dans lequel la ministre de tutelle est pointée du doigt, accusée d'avoir ordonné une substitution de candidats au concours sur la base d'une préférence régionaliste. Des personnes qui n'avaient pas subi les épreuves du concours ont été déclarées admises, en lieu et place de vrais candidats qui espéraient être reçus, mais qui ne l'ont pas été. Les syndicats ont crié le scandale sur la place publique, sur tous les toits et sur tous les tons. Ce qui reste encore de presse libre dans le pays à relayé l'information ; les réseaux sociaux, les blogs, les forums de discussion ont offert aux Béninois qui le peuvent, notamment ceux de la diaspora, l'occasion d'exprimer leur indignation. Avec tout ce charivari, dans une démocratie réelle, les pouvoirs publics auraient dû se saisir de l'affaire. Compte tenu de l'élément régionaliste qui en est le fond, le gouvernement et le chef de l'État auraient dû s'inquiéter de tels actes, et demander des comptes à la ministre concernée. Celle-ci aurait pris ses responsabilités, soit en clarifiant la situation et en apportant les éléments de preuve qui la disculpent le cas échéant ; soit en reconnaissant sa faute, et en donnant sa démission. À la sanction politique devait s'ajouter la mise à la disposition de la justice qui investiguera, établira les faits et les responsabilités des uns et des autres. Au lieu de quoi, le gouvernement se mure dans un silence de plomb sinon de mort. Le chef de l'État, garant de la cohésion nationale, n'a pas trouvé mieux à faire que de traiter par le mépris cette affaire pourtant d'importance capitale. Apparemment, il avait d'autres chats à fouetter. Cependant, en tant que chef de l'État, il continue d'être à la tête d'un gouvernement où siège une ministre sur laquelle pèsent de si graves accusations. Aucune décision n'est prise pour que les actes incriminés soient condamnés et leurs auteurs traduits devant la justice afin qu'ils ne se reproduisent plus. Tout à coup, le chef de l'État, d’habitude si entreprenant et si autoritaire en matière d'immixtion dans le fonctionnement de la justice--il n'est que de voir la manière totalement illégale dont certains transfèrements de soi-disant prisonniers politiques sont décidés en toute violation du code de procédure--, semble perdre tous ses moyens. Pire encore, les syndicats et associations de la fonction publique, ainsi que les citoyens de bonne volonté qui ont de la politique une idée de justice et de respect de la loi ont été dans leur légitime indignation frustrés de ne pouvoir exprimer leur indignation à travers des manifestations pacifiques, formellement interdites par le pouvoir. Tout cela paraît normal, d'autant plus que le pays, déserté de toute conscience et de toute opposition vit sous le règne bancarisé de la pensée unique mise en cage ou sous contrat. Circulez, il n'y a rien à dire à propos de la fraude au concours de la fonction publique. Pire que le scandale DANGNIVO, qui au moins a connu quelques gesticulations politico-judiciaires avant de s'abîmer dans un silence de non-lieu pour le moins aberrant. Malgré cette culture du non-droit, du mépris de la rationalité légale, malgré la réalité d’une autocratie triomphante, on ose parler de démocratie à propos du Bénin. Et ceux qui emploient ce terme : hommes politiques, journalistes, société civile etc. semblent se laisser aller dans le meilleur des cas à une seconde nature dont ils ne mesurent pas le caractère nostalgique et illusoire. Dans le meilleur des cas, disons-nous, car dans le pire, il s'agit d'une cynique provocation de la part des fossoyeurs la démocratie. Car en effet, au Bénin depuis 2006, la démocratie n'est pas seulement bafouée ou piétinée, non, elle est surtout enterrée. Le peuple, dans ce contexte n'existe pas, et ceux qui sont au pouvoir le tiennent pour quantité négligeable ; tandis que leur soi-disant représentants ne représentent qu'eux-mêmes. Comparer la situation du Bénin sous l'angle du scandale avec un pays comme la France et saute aux yeux la différence éthique, culturelle, juridique et politique entre ce qui n'est pas une démocratie, et ce qui en est ; entre un système où le peuple n'est pas craint parce que marginalisé, et un système politique où le peuple existe, est respecté, écouté et craint par les tenants du pouvoir. Aussitôt qu’éclate l'affaire de fraude fiscale mettant en cause un ministre--celui du budget-- que toute la classe politique française entre en état de choc. Le gouvernement est sur la sellette. Chacun de ses membres se démarque. Le chef de l'État monte au créneau. Dans un premier temps, par une déclaration solennelle où il montre au peuple qu'il reconnaît la gravité de la situation. Le Président Hollande condamne ce qu'il qualifie de faute impardonnable. Le peuple n'est pas laissé seul face à un choc qu'il encaisserait dans le silence cynique des gouvernants. L'affaire, le scandale, est reconnue dans sa réalité, elle n'est pas déniée, elle n'est traitée ni par le mépris ni par la dénégation. Dans un deuxième temps, le chef de l'État français et son premier ministre proposent un train de mesures et de décisions politiques visant à assurer qu'un tel scandale ne se reproduise plus à l’avenir. Pendant ce temps, les médias et les sondeurs d'opinion traduisent l'indignation du peuple. La justice, indépendante, continue à faire son travail en toute impartialité et, bientôt, loin de la dénégation complaisante qui a accueilli l'affaire des fraudes au concours chez nous, loin de l'impunité silencieuse par laquelle elle se clôt, le ministre français fautif répondra de ses actes délictuels devant la justice de son pays.
Voilà donc ce qu'on appelle démocratie. Tout ce que le Bénin a cessé d'être et pourtant, comble du cynisme ou de l'ironie, nostalgie pathétique d'une illusion perdue, on continue de parler à son propos de démocratie. Comme si les termes manquaient pour désigner ce que nous sommes devenus en l'espace d'une petite dizaine d'années parce que le peuple béninois avait espéré que la situation de désordre, de médiocrité et de corruption qui prévalait avant 2006 puisse connaître un début de changement, et nous voilà tombés dans la nasse d'un système pire encore que celui que nous voulions rejeter ! Oui la démocratie au Bénin est devenue le passé d'une illusion, elle a viré au cauchemar d'une autocratie qui ne se cache pas, d'une autocratie qui agit en plein jour dans le mépris complet d'une démocratie enterrée. Les mots ne manquent pas : on connaît la démocratie populaire dans les pays communistes, on connaît la démocratie chrétienne en Europe, on connaît la démocratie censitaire dans l’histoire. Puisque nous semblons à ce point très attachés au terme démocratie, alors que rien dans nos pratiques et nos mœurs politiques ne ressemblent plus à ce qui est exigé au minimum de la vie démocratique, au Bénin, et pour sauver les apparences, ne serait-il pas plus judicieux de parler de Démocratie Patrimoniale Bancarisée ?
Adenifuja Bolaji
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B.A.
Si de nombreux pays se réclament de la démocratie, il faut distinguer les systèmes européens de celui des Etats Unis où l’influence de l’argent est telle que l’on peut parler de ploutocratie. En Europe l’on peut différencier les démocraties majoritaires, (France-Angleterre) dans lesquelles les coalitions majoritaires n’ont guère à tenir compte des contre-pouvoirs, des démocraties qui valorisent une représentation plus proportionnelle des opinions politiques et un système plus équilibré grâce au fédéralisme ou au poids des partenaires sociaux (Suisse-Allemagne-pays scandinaves).
Un point commun majeur est que toutes sont des démocraties représentatives qui reposent essentiellement sur l’élection, mais paradoxalement le poids du citoyen sur la prise de décision par les gouvernants est de plus en plus faible. Le pouvoir est finalement exercé par une élite peu contrôlée, qui est très proche de l’élite économique, et beaucoup plus sensible aux pressions des lobbys que des mouvements citoyens. Ensuite, les gouvernants se sont laissés eux-mêmes dessaisir d’une grande partie de leur pouvoir et ils ont de moins en moins d’emprise sur la sphère économique et financière.
Contrairement à l’idéal antique de la démocratie athénienne, où l’assemblée des citoyens concentrait l’essentiel du pouvoir décisionnel et où se pratiquait le tirage au sort, la rotation et la collégialité des fonctions, le pouvoir est actuellement exercé par une classe politique professionnelle. Cette professionnalisation proche de l’oligarchie prolonge le principe que tout le monde n’est pas capable d’exercer des charges gouvernementales, et qu’il est nécessaire de gouverner à la place d’une opinion publique jugée versatile et dangereuse.
La France est le seul pays d’Europe où une même personne, le président de la république, incarne la communauté politique et à la fois gouverne. Ailleurs, le président assure un rôle moral et symbolique d’arbitre, mais le pouvoir exécutif est aux mains du premier ministre. De plus, dans nos frontières, le poids du législatif par rapport à l’exécutif est particulièrement faible, et le cumul des mandats généralisé. Notre système est vraiment très déséquilibré.
Notre culture du pouvoir ne va pas nécessairement dans le sens de la démocratie. Des formes de prises de décisions autoritaires et personnalisées s’observent à tous les niveaux, au niveau national (président de la république) comme au niveau local (maire). Avec cette culture de l’autorité, va aussi une absence de contre-pouvoirs et d’acceptation de la possibilité d’une remise en question des pouvoirs élus. La France est un exemple paroxystique de démocratie majoritaire où, lorsqu’un pouvoir l’a emporté grâce à une élection, il peut en faire ce qu’il veut. On est loin de l’idéal démocratique !
Il faut en finir avec l’idée que seuls les élus par la grâce d’une élection peuvent incarner l’internet général, et donc monopoliser la prise de décision. Il faudrait par exemple ouvrir le champ à des assemblées citoyennes tirées au sort ou permettre les référendums d’initiative populaire. Cela exige cependant que des mouvements sociaux d’ampleur fassent bouger le centre de gravité de l’agenda politique. Cela s’est déjà produit à partir du 19éme siècle par exemple, l’émergence de partis de masse a favorisé l’instauration de l’état social.
On ne pourra absolument pas changer le système s’il n’y a pas un réveil citoyen via des mouvements sociaux de masse, des mobilisations importantes… ; rien ne peut dire encore si ces mouvements pourront contraindre le système à s’adapter, mais il est certain que les institutions et les élites telles qu’elles sont ne se réformeront que si elles y sont contraintes par la rue.
http://2ccr.unblog.fr/2012/06/07/quel-avenir-pour-nos-democraties/
Rédigé par : B.A. | 12 avril 2013 à 23:08