Dans le golfe du Bénin les gens du sud aiment jouer les spirituels, les débonnaires ethniques, ceux qui savent en politique être fairplay avec leurs compatriotes du Nord. Ce faisant, ils ont le sentiment d’être intelligents, dans le sens du progrès et conformes aux valeurs héritées de leur ancien maître colonial : valeurs de conscience nationale, d'égalité républicaine, de citoyenneté, de justice etc. Or, dans le même temps, leurs compatriotes du Nord se montrent indifférents sinon rebelles à ces valeurs et, en toute circonstance, font le choix identitaire de la solidarité régionale. C'est cette différence éthique qui explique qu'au Bénin par exemple un président du Nord peut être élu grâce aux voix d'une proportion assez importante de citoyens du sud, alors que dans le cas contraire, le nombre de Nordistes qui se dévouent à faire élire un président du sud se compterait sur les doigts d'une main. Ainsi, au Bénin sur six élections démocratiques, cinq fois un président du Nord a pu être élu dans un double contexte paradoxal où sévit le vote régionaliste, en même temps que le sud possède une avance démographique et sociologique sur le Nord.
Il y a donc dans notre sous-région du golfe du Bénin une éthique de conscience ou d’inconscience identitaire selon que l'on est du sud ou du Nord. Les gens du sud se vautrent dans une inconscience de leur identité, et leurs représentants attitrés n'hésitent pas, certes dans leurs propres intérêts mesquins, à sacrifier les intérêts de leur région sur l'autel d'une république hypothétique, et d'une expérience nationale sujette à caution. Au contraire, les compatriotes du Nord eux jouent à fond la carte de la solidarité régionale et sont conscients de faire des choix identitaires et d'agir en toute circonstance dans l'intérêt de leur région.
Cette différence de comportement peut être comprise diversement mais dans le cas des sudistes, il traduit surtout la réalité d'une haine de soi notamment au Bénin, où pour toutes sortes de raisons, notamment historiques, le manque de confiance en son semblable fait préférer la collusion avec l'autre, l’éloigné, au détriment du proche, de son semblable immédiat. À cette haine de soi, il faut ajouter aussi un tempérament indiscipliné qui prend ici les dehors d'un acte sublime, voire désintéressé alors qu'au fond c'est parce qu'on ne veut pas voter pour son propre frère que l’on vote pour l’autre, soi-disant au nom de l’égalité nationale. Quel sens peut-on donner à l’égalité nationale, lorsqu’on craint l’égalité régionale comme la peste ? Dans notre sous-région du golfe du Bénin, le Bénin n'est pas le seul pays qui répond à ce clivage éthique. Au Ghana, par exemple, ce clivage éthique est en vigueur aussi. Alors que les gens du sud ont, comme on a pu le voir lors des élections, porté massivement leurs voix sur la personne d'un président originaire du Nord, il n'est pas très sûr que le contraire aurait été possible dans la même mesure. En clair, la vigilance dans la conscience de soi qu'expriment les gens originaires du Nord est aussi à l'œuvre au Ghana. A ce titre, il est intéressant de rappeler ici que l’un des thèmes qui a marqué la campagne présidentielle et parlementaire qui vient de s’achever au Ghana est la proposition du parti NPP de Nana Akufo Addo d’étendre à tout le Ghana la gratuité de l’enseignement du primaire à l’université, comme cela est en vigueur actuellement en faveur du seul Nord depuis une initiative inspirée par Kwame N’krumah. Cette proposition a été combattue passionnément par les Nordiques, qui voulaient continuer à bénéficier seuls de ce privilège. Il s’agit là de la vigilance ethnique dont font preuve les gens du Nord. D'ailleurs, au niveau du chef de l'État lui-même cette vigilance a fait parler d'elle sans tarder. En effet, à peine installé au pouvoir--et sans attendre le verdict de la Cour suprême où son élection est contestée par son adversaire NPP--le président John Dramani Mahama vient de poser deux actes dont le caractère idéologique et identitaire traduit ce clivage éthique et cette conscience de soi que développent les gens de la partie Nord du golfe du Bénin. Un peu avant son installation officielle, John Dramani Mahama a gracié un député nommé Daramani. Ce député de la région de Bawku est accusé d’usurpation d'identité, de falsification de documents et de diplômes pour se faire élire au Ghana alors qu’il serait originaire du Burkina Faso. ( Ce qui n’est pas sans rappeler le cas d’un autre Dramane tristement célèbre). La manœuvre incriminée aurait transité par Londres, capitale du maître colonial d'hier, haut-lieu où se nouent toutes les intrigues néocoloniales d'aujourd'hui. La justification donnée par le nouveau président ghanéen pour élargir son frère nordique est la raison de santé. En effet aussitôt après son incarcération, le député Daramani aurait été victime d'« ennuis cardiaques » qui, même s'ils n'étaient pas simulés, tombaient à pic pour lui conférer un halo de victime et susciter en sa faveur la commisération de ses compatriotes. Et, à peine cette mesure consommée, une semaine seulement après son installation, voilà que le nouveau président ghanéen pose un deuxième acte qui traduit cette conscience et cette vigilance éthiques des gens du Nord qui les oppose à leurs concitoyens du sud. En effet, le Ghana vient de mettre fin à l'exil tacite dont jouissait Blé Goudé, l’ex-ministre de Gbagbo, l’animateur des Jeunes Patriotes en fuite de son pays depuis les honteux événements que l'on sait. Cet exilé qui tenait le maquis depuis quelques mois a été arrêté par la police ghanéenne et sera rendu aux autorités de Côte d'Ivoire. Tout cela grâce aux soins du nouveau président ghanéen qui a veillé sans doute à répondre à la demande de son confrère ivoirien, Dramane comme lui et comme lui originaire du Nord. Ce zèle coordonné dans ces deux actions du nouveau président ghanéen ne peut laisser indifférent. Car son inspiration idéologique et identitaire va sans dire. Elle est la traduction de cette conscience éthique très clairement affirmée par les gens du Nord et qui s'inscrit en contraste du comportement de leurs concitoyens du sud qui, entre inconscience et indiscipline ne savent pas prendre la mesure de leurs intérêts en tant que région. C'est ce laisser-aller qui favorise la facilité du régionalisme et de la division, dans la mesure où aux actes régionalistes posés en toute conscience par les gens du Nord, correspond l'inconscience régionaliste des gens du sud qui est source de déséquilibre national. Et c'est ce déséquilibre même qui est le régionalisme. Car l’attitude qui consiste à prendre conscience de sa région et à agir de façon à sauvegarder ses intérêts n'est pas en soi une mauvaise chose dans la mesure où la région d'en face fait pareillement. Mais dès lors que celle-ci s'enferme dans l'idée d'un l'altruisme national qui n'est pas payé de retour, alors le déséquilibre s'installe et avec lui les effets néfastes du mauvais régionalisme. Par exemple, au Bénin, est-il normal que cinq fois sur six nous ayons eu un président originaire du Nord alors qu'il y a plus de Béninois originaires du Sud que du Nord d'une part, et d'autres part nous continuons toujours de vivre dans un système où le vote est dicté par l'appartenance ethnique ? La réponse est non, mais cette dérive a lieu tranquillement avec l'aide zélée de quelques personnes établies du sud qui au nom de leurs intérêts mesquins compromettent ceux de la plus grande majorité de leurs semblables.
Si faire respecter la loi du Ghana qui punit l'usurpation d'identité et la fraude électorale est une bonne chose, il va de soi que les soi-disant républicains du sud qui ont concouru à l'élection de M. John Dramani Mahama sont objectivement complices de cette grâce douteuse ; et contrairement à son auteur qui est dans son droit, eux n'ont aucune excuse légale ni éthique.. Comme on le voit d'ailleurs au Bénin, il est facile pour les gens du sud de donner leurs voix au président du Nord ; mais une fois élu celui-ci ne demande pas leur avis avant de se lancer passionnément sans sa politique de préférence régionaliste aux effets désastreux : le comportement de Yayi Boni le montre clairement au Bénin. Au total, il est important de réfléchir à ce clivage éthique qui sévit dans notre région ; caractérisé d'une part par l'inconscience des gens du sud et leur indiscipline identitaire et d’autre part l’éthique de discipline ethnique des gens du Nord qui ne raisonnent pas en termes national mais qui donnent priorité à leur ethnie et à leur région. Car à défaut que toutes les parties concourent ensemble à la chose nationale c'est le régionalisme qui in fine l’emporterait ; alors qu'une autre façon de lutter contre ce mauvais régionalisme consiste à faire en sorte que chaque région accepte de prendre conscience d'elle-même, de sa solidarité et de ses intérêts, dans le respect des équilibres nationaux.
En tout cas, comme le montre ces deux actes posés par M. John Dramani Mahama, il est clair que le président ghanéen a agi conformément à l’éthique régionaliste. Ces actes considérés ici, Dieu merci, sont anodins, mais qu’en aurait-il été si cette éthique portée à son comble touchait à des faits d’une portée plus grave ou devenait systématique comme au Bénin ? Comme au Bénin, alors, les Ghanéens du sud qui ont contribué à élire M. Dramani Mahama n’auront plus que leur yeux pour pleurer …
Alex Bawumia
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