Depuis 2006, les crimes économiques et politiques se succèdent au sommet de l’État béninois, tous plus graves les uns que les autres. Certains comme la mise en Rade du projet de Construction de l'Assemblée Nationale à Porto-Novo en paraissent lamentables. Quoi qu'il en soit, tous ces crimes donnent lieu à des tractations juridico-politiques et font des vagues médiatiques. Puis, après, c'est le calme plat. Comme dans maints autres aspects de notre État parodique, ces tractations juridico-politiques et l’écho plus ou moins complaisant qu’en donne la presse entretiennent l'illusion d'un État de droit, qui aurait les moyens, la culture et la volonté de son projet. Mais tout cela est faux. Nous nous cachons derrière notre petit doigt, c'est tout. Tout au plus, ces gesticulations fumeuses --comme les fausses élections par lesquelles le président arrive au pouvoir ou s'y accroche--ne sont que du trompe-l'œil, du théâtre pur. Dans le meilleur des cas, lorsqu’une affaire intervient, un passage en prison à durée arbitraire du cobaye permet de couper la poire en deux : faire croire à l'action répressive de l'État et clore le dossier sans suite. Or dans un État de droit digne de ce nom, c'est la justice--et une justice indépendante--qui doit prendre en charge les crimes, en faire le procès, prononcer les culpabilités s’il y a lieu et condamner les mis en cause le cas échéant. Dans le cas des crimes économiques dont est constellé le triste palmarès de nos dirigeants au plus haut niveau de l'État--président de la république, ministres, députés, directeurs de sociétés, hauts cadres de l’administration etc.--les peines d'emprisonnement, les déchéances de droits sociaux et autres peines civiques et symboliques doivent aller de pair avec l'obligation de remboursement des sommes volées ou détournées illégalement. Or, les emprisonnements spectaculaires et extrajudiciaires opérés par M. Yayi et avec lesquels il aime frapper l'opinion nationale ne sont qu'un cautère sur une jambe de bois. Ils sont d'autant plus douteux que dans la plupart des cas, ils ne sont pas d'inspiration judiciaire ou bénéficient d'une intervention du pouvoir qui, pour des raisons politiques, n'hésite pas à fouler aux pieds la procédure pénale en faisant prévaloir sa volonté sur le droit. Depuis 2006, cette instrumentalisation de la justice par le pouvoir, comme celle des institutions de la République en général, est révélatrice du bilan judiciaire catastrophique et de l'étiologie politique et morale de la corruption que révèle la noria des crimes commis au sommet de l'État. En ce qui concerne le bilan judiciaire catastrophique, force est de constater qu'aucune affaire criminelle, mis au jour et connue du public, n'a jusqu'à présent connu le moindre dénouement judiciaire. Les affaires naissent et meurent de leur belle mort sans qu'on sache quel sort a été réservé aux cobayes. Et, rétrospectivement on peut se demander pourquoi ceux-ci ont été incarcérés, inquiétés et pourquoi ils ont fini par recouvrer la liberté sans que la justice ne se soit prononcée sur leur culpabilité ou sous leur innocence. Au-delà de la précipitation de l'intervention du pouvoir dans la procédure pénale, l'instrumentalisation de la justice rime avec la dissimulation de la responsabilité des puissants et l'élimination carcérale des adversaires politiques. Sur le plan logique et éthique ce qui est surprenant c'est le refus des dirigeants d'assumer leurs responsabilités. La promptitude avec laquelle M. Yayi jette en pâture à la justice ses collaborateurs à un moment donné de son temps politique en dit long sur son refus personnel d'assumer la responsabilité des crimes nombreux commis sous son règne. Or les collaborateurs directs du chef de l'État cités dans les divers scandales sont légions ; certains, au moment des faits, comme Fagnon, Noudégbessi, Zinzindohoué, etc. en leur temps, étaient considérés comme des intouchables. Jusqu'au moment où ils cessent d'être politiquement vitaux pour les ambitions personnelles et obsessionnelles de M. Yayi. L'observation de tous les grands scandales commis sous Yayi depuis 2006 montre la même logique opératoire : les barons censés détenir une clé politique locale ou régionale ont carte blanche, et abusent de leur position avec la bénédiction du chef de l'État lui-même, bénédiction octroyée souvent en toute connaissance de cause et considérée comme le prix à payer pour sa réélection qui, jusqu'au hold-up de 2011, était pour Yayi Boni le sommet indépassable de ses fixations. On ne peut comprendre le mode opératoire et la motivation essentielle de l'instrumentalisation des institutions de la République ainsi que la noria des crimes et scandales commis sous Yayi si on ne voit pas en quoi tous sont autant de sacrifices à la divinité sacrée qu'a constitué sa réélection. Pour M. Yayi aucun sacrifice--même la vente aux enchères du Bénin--n'était trop grand pour la divinité de sa réélection. Et toute personne qui pouvait lui promettre une parcelle de cette réélection avait carte blanche pour piller les ressources nationales, détourner le bien public, se livrer à toutes sortes de malversations et de scandales. De ICC Services au scandale de la Mise en Rade de la Construction du Bâtiment de l'Assemblée Nationale à Porto-Novo en passant par les Machines Agricoles, CENSAD, etc..--La liste est longue de tous ces profiteurs de l'État qui, sous prétexte de contribuer à la réélection de Yayi Boni, ont contribué surtout à ruiner financièrement l'État et moralement le pays. Maintenant que la divinité de la réélection a perdu son charme et son pouvoir immédiat, M. Yayi peut jeter en pâture ceux-là qui naguère étaient les prêtres intouchables de cette divinité. La facilité avec laquelle le président de la république jette en pâture ceux qui hier encore étaient traités comme la prunelle de ses yeux n'est pas sans rappeler la combattivité héroïque soudaine avec laquelle il décide de lutter contre les revendeurs de payo. Lutter contre le payo avant sa réélection c'est prendre le risque de ne pas être dans les bonnes grâces de la divinité qui lui était consacrée. Maintenant, au contraire, au regard du bilan global de son aventure politique, des promesses inaugurales de changement par rapport auxquelles il sera jugé, jeter des fusibles corrompus en prison, éradiquer ou tenter d'éradiquer le payo pourraient apparaître comme autant de faits d'armes tangibles, susceptibles d'être mis au compte du changement ; et pourquoi pas mériter une campagne à la Reckya Madougou qui lui permettrait de s'éterniser au pouvoir après qu'une révision tendancieuse et opportuniste de la constitution lui en eût ouvert la voie politique.
Au total, il apparaît que l’impunité est en bonne santé dans notre pays. Au plus haut niveau de l’Etat où il sied que les bons exemples éthiques soient donnés au pays, des crimes immondes se commettent chaque jour. Mais le plus haut responsable du pays n’entend pas en assumer la responsabilité alors que celle-ci est objectivement et moralement engagée. Yayi Boni veut bien être comptable de tout ce qui marche, mais jamais assumer sa part de responsabilité dans les crimes commis à son avantage et dans son entourage. Cet état de chose est la preuve même que loin d’être dans un État de droit, nous sommes dans un État voyou, un état parodique, instrument servile d’une venimeuse engeance d’intrigants sans foi ni valeur qui, en commensalité abjecte avec l’étranger, poursuit l’œuvre pluriséculaire d’exploitation du peuple. Serions-nous dans un État de Droit et une nation guidée par une Éthique de responsabilité que l‘évidence de la responsabilité objective de Yayi Boni dans les divers crimes politiques et économiques qui secouent notre pays depuis 2006 se passerait de commentaire. Dès lors, la question sérieuse qui se poserait ne serait pas : quel est le prochain ministre ou collaborateur qui sera jeté en pâture à la justice ; mais, sans aller jusqu’à lui demander de se suicider comme le ferait son homologue japonais dans les mêmes conditions, la question sérieuse disons-nous est : quand est-ce que Yayi Boni lui-même se constituerait prisonnier ?
Adenifuja Bolaji
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