Résumé La colonisation qui a si profondément bouleversé les structures sociales en Afrique noire francophone ne pouvait épargner les institutions judiciaires. C’est dans une logique emprunte d’ambiguïté – respecter les institutions traditionnelles au nom de l’ordre public et inscrire autoritairement les populations autochtones dans un ordre juridique importé – que le pouvoir colonial avait progressivement institué une justice dite indigène ménageant les intérêts supérieurs coloniaux. D’origine étrangère, cette justice coloniale était autoritaire, imposée, hiérarchisée, centralisée et inégalitaire. Mais comment se défaire de ce qui, au fil de l’histoire, est devenu l’héritage commun des Africains ? La bonne lisibilité de la justice en Afrique, donc son efficacité, passe avant tout par une rupture avec la logique institutionnelle coloniale. Afrique noire – Droit coutumier – Justice coloniale – Réforme de la Justice
L’évolution contemporaine de la justice en Afrique noire francophone reste encore marquée par la colonisation moderne,
celle du second empire colonial constitué par la France au XIXe siècle. Pour l’Afrique, ce second empire colonial a une signification bien particulière par rapport à l’ancien dont l’arrêt de mort fut le traité de Paris de 1763. L’ancienne colonisation n’intéresse que très peu le juriste dans la mesure où elle ne s’était concrétisée que par des comptoirs commerciaux le long des côtes occidentales du continent, notamment au Sénégal avec les îles de Gorée et Saint Louis. La colonisation moderne, quant à elle, se caractérise, d’une part, par une emprise territoriale sans précédent et, d’autre part, par l’assujettissement des populations autochtones désormais soumises à la souveraineté française, donc aux juridictions mises en place par l’État colonisateur français.
La justice coloniale est donc le produit d’une longue histoire qui s’inscrit dans les cadres de l’histoire du droit et des institutions de l’État colonisateur français et de celle des territoires africains colonisés. Cette longue histoire est d’abord et avant tout celle des liens éternels, en Occident comme en Afrique noire, entre le pouvoir de juger (jurisdictio) et le pouvoir de commander (imperium), dont les rois et les chefs traditionnels n’étaient eux-mêmes que l’incarnation.
Un inventaire exhaustif de l’action de cette justice coloniale mériterait d’être dressé, car, à sa manière, elle a contribué non seulement à la formation des droits positifs africains, mais aussi à celle des institutions judiciaires des États africains contemporains et elle fait déjà intégralement partie de leur patrimoine commun.
Et c’est dans cette perspective que se situe la présente étude dont l’objectif n’est pas de faire le procès en sorcellerie de la justice coloniale, encore moins de faire intégralement cet inventaire, mais simplement d’apporter une modeste contribution à ce bilan en montrant par exemple qu’aux indépendances, les États africains sortis de la colonisation française, s’ils n’ont pas ressuscité l’ancienne justice traditionnelle ou recopié intégralement la justice européenne, se sont essentiellement fondés sur les principes élaborés en Europe et pour l’Europe. Or ces principes ne pouvaient être appliqués en Afrique ni intégralement ni de façon satisfaisante car, malgré les apparences historiques, les institutions impliquent toujours des structures sociales et une conception qui ne se transfèrent pas d’une société à une autre.
La réflexion doit porter d’abord sur ce qui se cache derrière ce patrimoine judiciaire, c’est-à-dire qu’au-delà de la simple lecture des institutions judiciaires, il faut percevoir la vision du monde qui sous-tend l’infrastructure judiciaire coloniale reprise par les États africains indépendants. Pour comprendre sa cohérence...
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Gabonais. Professeur d’histoire du droit et des institutions à la Faculté de droit de Libreville a enseigné l’histoire des droits africains au XXe siècle à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses recherches actuelles portent sur la construction de l’État au Gabon.
Parmi ses publications :
– « Jalons pour une histoire de l’État au Gabon », Les Épisodiques, 8, 1997 ;
– « Le contrat de vente immobilière entre citoyens français et indigènes en Afrique noire coloniale (Sénégal, Gabon, Cameroun) », Penant, 829, 1999 et 832, 2000 ;
– « Religion et droit traditionnel
africain », in É. et J. Le Roy (sous
la dir.) Un passeur entre les mondes. Le livre des Anthropologues du Droit disciples et amis du Recteur Michel Alliot, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000.
* Université de Libreville, Faculté de Droit et des Sciences Économiques,
BP 3886, Libreville, Gabon. <[email protected]>
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