Depuis plusieurs mois, la ténébreuse affaire de tentative d'empoisonnement du chef de l'État défraie la chronique. Loin d'être une rumeur, elle s'est traduite concrètement par des faits : l'arrestation d'un certain nombre de personnes, qui ne sont pas seulement traitées comme des présumés mais, au mépris de la loi, en vrais coupables que le régime, à travers marches de soutien et protestations de sympathie, indique à la vindicte populaire. Des personnalités proches de M. Yayi sont accusées et emprisonnées, leurs noms salis à jamais sans que la vérité soit ou puisse jamais être faite sur leur culpabilité. Enfin, le cerveau présumé de l'affaire est désigné, il s’agit de Monsieur Patrice Talon qui, après avoir joué les généreux donateurs de l'épopée politique de M. Yayi, est tombé en disgrâce... On ne sait si tout cela est vrai, et si empoisonnement il y a, si la chose ne serait pas intervenue avant même la date indiquée par l'accusation. Car avant d'en arriver à ce récit farfelu qui défigure l'image du Bénin aux yeux du monde extérieur, Monsieur Yayi fulminait déjà ; notamment à la veille du 1er août, dans un discours au vitriol, il crachait le feu comme Shango, allant jusqu’à tenir des propos sectaires indignes d'un Président de la république. Peut-être était-il déjà empoisonné à ce moment-là ! Peut-être que, comme cela se fait chez nous, l'attaque qu'il a subie était-elle d'origine métaphysique ou mystique. Mettant en jeu et en cause son bokonon attitré, son guérisseur personnel et ceux qui s'occupent de réaliser les divers sacrifices humains ou animaux nécessaires à sa pérennité politique et personnelle. Tout ce beau monde aurait peut-être été retourné par M. Talon. Mais, comme les attaques mystiques n'ont pas de base juridique ou légale alors on a engagé un médiocre romancier qui a proposé de faire migrer cette histoire réelle vers l'univers ténébreux de la fiction. Ainsi, les calebasses, les restes humains, le sang, l’huile de palme, les noix de kola, la farine de maïs les incantations, bref tous ces ingrédients classiques du grigri béninois, façon vodou se sont transformés en médicaments et pilules radioactifs. Une fois cette rationalisation de l'irrationnel opérée, alors on peut légalement se mettre à l'affût des ennemis que le pouvoir cherchait à abattre depuis belle lurette, et dont certains, comme le cerveau présumé de l'attaque, avait pris la poudre d'escampette avant qu'il ne soit trop tard... Parlant d'attaque, M. Yayi n'en est pas à sa première. La posture de victime est chez lui une seconde nature. On doit à la mémoire de rappeler l'interprétation officielle de certains événements touchant à sa sécurité. Par exemple, l'attaque armée d'un fourgon aux abords de la présidence de la république en décembre 2006 ; une certaine paranoïa s'était alors emparée de l'entourage du chef de l'État, qui n'a pas hésité à voir dans ce banal fait divers une mise en danger de sa vie. De même, l'incident aux abords du domicile du chef de l'État au cours duquel sa garde a tiré sur une expatriée française. Toute cette paranoïa sécuritaire va de pair avec la posture de victime dans laquelle se complaît M. Yayi pour accréditer l'idée manichéenne de l'homme nouveau décidé à nettoyer les écuries d’Augias de la corruption et de tous ceux qui par leur méchanceté égoïste mettent à mal le développement du pays. Cette posture de victime et l'interprétation paranoïaque qui l’étaye sont une excuse à toutes sortes d'excès de la garde présidentielle qui, aux aurores du régime, dans une agressivité inouïe, n'a pas hésité à tirer à maintes reprises sur d'innocents citoyens qui avaient le malheur de se trouver sur son passage ; bavures ou meurtres de sang-froid au nom de la sécurité du chef de l'État et dont on ne sait s'ils étaient de réels et somme toute regrettables accidents ou une manière de sacrifices humains commandités par les victimaires du régime... Mais le clou de la posture victimiste est incontestablement ce qu'il convient d'appeler l'usine à gaz de Ouessè. A en croire les zélateurs et porte-voix du régime, le cortège de M. Yayi aurait essuyé une attaque de la part d'assaillants à la solde des ennemis du peuple. Cette interprétation tendancieuse des faits, loin d'être conforme à la réalité, ne tient aucun compte de l'insécurité régnant sur les routes du pays, surtout aux heures indues, et dont le cortège présidentiel aurait vraisemblablement fait les frais. Au lieu de quoi, le pouvoir, ses sbires et ses haut-parleurs ont gongonné urbi et orbi une version victimiste de l'incident. Le chef d'état-major de l'armée, le général Mathieu Boni déclarait le 17 mars 2007 que : « les intentions réelles des auteurs de ce malheureux événement vous seront précisées à l'issue de l'enquête en cours. Quant à savoir si cette embuscade visait la personne du président de la république, plusieurs éléments pourraient militer en faveur de cette hypothèse. » Malgré ces soupçons et ces promesses, et en dépit de l'arrestation annoncée d'une demi-douzaine de personnes, l’affaire n'eut aucune suite. À l'instar de toutes les affaires politico-judiciaires qui ont défrayé la chronique du pays, elle sombra dans l'oubli dans une amnésie qui signe la nature foncièrement parodique de ce qu'on appelle « État » sous nos tropiques. En définitive, que nous révèle cette posture victimiste qui, loin d'être nouvelle chez M. Yayi est récurrente ? Les événements de Ouessè nous fournissent la réponse. L'attaque imaginaire de Ouessè était intervenue en pleine campagne électorale des législatives consécutives à l'élection triomphale de M. Yayi en 2006. En fait, les malins du nouveau régime voulaient, en attirant la compassion du peuple par l'annonce d'une attaque dont M. Yayi serait la victime, amener les électeurs à réagir émotionnellement par leur vote massif en sa faveur. L'interprétation victimiste avait l'avantage de présenter M. Yayi comme le nouveau chevalier blanc de la lutte implacable contre la corruption, en laissant sous-entendre que les commanditaires de cette attaque n'étaient autres que le syndicat des mafieux sans foi ni loi qui, entre corruption, détournements et pillage des ressources publiques, freinent depuis plusieurs décennies le développement du pays. La posture victimiste fondée sur une interprétation fantaisiste d'un fait divers donne une perception manichéenne de la situation politique et idéologique du pays en 2007, à la veille des élections législatives dont l'issue pour le nouveau régime était décisive. Ces données que corrobore l'impasse dans laquelle s'enlisa l'affaire montre l'usage populiste de la posture victimiste que M. Yayi est prompt à adopter à des fins politiques. Cette posture de victime fait un curieux contraste avec le caractère violent du personnage non seulement dans sa vie privée où les accusations de violence conjugale ne sont pas imaginaires--mais aussi dans ses divers agissements publics. En effet, de l'affaire de la disparition mystérieuse de Dangnivo, aux nombreuses incarcérations anarchiques et autoritaires intervenues sous son règne, en passant par la noria impressionnante des crimes dont sa gouvernance calamiteuse est le prétexte et le couvert, il apparaît que M. Yayi est loin d'être un agneau. Dans cet ordre d'idées, à quoi peut servir la machination qui porte le nom de « tentative d'empoisonnement du chef de l'État » sinon permettre à M. Yayi de jouer encore une fois le rôle de la victime dans la lutte implacable du bien contre le mal. M. Talon, son allié et financier de naguère étant rejeté sans ménagement du côté du mal. Cette nouvelle posture victimiste de M. Yayi, comme les précédentes, ne pourrait avoir qu’une visée électorale ou politique. Jouer les victimes et utiliser les ressources de l'État pour mettre en branle le peuple dans des marches financées, des scènes de protestation d'affection tarifées, permet de donner droit à l'émotionnel médiatisé sur le constitutionnel et le strict respect de la loi. Avec cette nouvelle ère de transe, axée sur le culte de la personnalité, peut-être arriverait-on à un moment où ce serait la volonté populiste des marcheurs manipulés et des griots qui feraient la loi en lieu et place de la constitution et du vrai peuple. Les marcheurs pourraient alors décider que puisque M. Yayi a été victime d'une tentative d'empoisonnement, alors il ferait un troisième mandat. Et de toute façon, ce climat délétère et détestable entre-temps permet de distraire le pays des urgences du moment, de bâcler les tâches politiques importantes, comme la correction consensuelle de la LEPI ou la révision de la constitution dans le sens souhaité par M. Yayi et sa clique de manipulateurs impénitents. Au total, le désordre politique et l'effervescence émotionnelle de la société Béninoise savamment suscités et entretenus trahissent la démission effective du régime actuel, son incapacité à faire face aux problèmes graves du pays. Cette démission est aussi l'ombre portée d'une culpabilité consécutive au hold-up électoral de mars 2011. D'avoir usurpé le pouvoir, trompé le peuple, manigancé, farfouillé la LEPI, écœuré la démocratie pour ensuite finir par réaliser au tournant sa propre médiocrité, ses insuffisances et ses limites est source de culpabilité pour l'homme qui en 2006 promettait émergence et changement. Alors que la précarité s’enracine, la pauvreté avance, la misère se généralise ; alors que de plus en plus de familles, de Béninoises et de Béninois vivent dans l'incertitude du lendemain, ont de moins en moins de quoi manger ou se loger, se soigner et assurer l’éducation de leurs enfants, bref face à ce tableau obscur et déprimant, se draper dans le manteau commode de la victime est pour M. Yayi le seul moyen de s'absoudre de sa culpabilité/responsabilité, et profiter de la pitié du peuple pour continuer à abuser de sa crédulité et se perpétuer au pouvoir comme le désir l'en étreint jour et nuit, en dépit qu’il en aie.
Prof. Armand Bapé
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