Au Togo on a les Mama Benz, au Nigéria on a les Fayawo, et les gros commerçants et commerçantes yoruba qui rayonnent dans toute la sous-région et même au-delà. Mais entre les deux pays, et plus précisément entre les Ewé/Guin/Mina d'une part et les Yoruba, entre Adja et Ayo, cette capacité d'organisation et cet esprit d'entreprise n'ont plus cours. Pourquoi ce désert de l'esprit d'entreprise ? On constate que les Togolais du sud qui sont proches des Adja du Bénin et assimilés sont très unis ; c'est d'ailleurs de ce côté-là que vient le concept de nonvitcha qui est une fête annuelle ayant pour but de resserrer les liens de fraternité au sein d'une communauté ethnique ou régionale. Ces peuples sont donc solidaires, ils ont le sens de l'entraide. La capacité d'entreprendre et la réussite se fondent sur un groupe ou une famille, une ethnie ou une religion, etc. au sein de laquelle se développe un esprit de solidarité. On a exactement les mêmes comportements du côté des Yoruba à l'est. Au Bénin, ils vivent en vase clos, fermés sur eux-mêmes et repoussent subtilement les autres ethnies en se servant de la religion musulmane comme critère d'exclusion et de leur langue comme un drapeau d'identification. Et entre eux, ils s'entraident, sont solidaires. La fermeture sociologique et ethnique est assurée par une prévalence de l'endogamie. Ainsi les Yoruba se distinguent des Nago au sud du Bénin où ils sont majoritairement musulmans. Pour pouvoir bénéficier de leur entraide il faut devenir musulman comme eux et parler leur langue, s'assimiler. Ce que font parfois certaines familles de Porto-Novo pour avoir accès aux voies du commerce monopolisées par les Yoruba musulmans en synergie avec leurs frères nigérians. Ils calquent leur attitude et leurs comportements sociaux sur le modèle de leurs congénères anglophones du Nigéria, que ceux-ci soient musulmans ou chrétiens. Les anglophones ayant un autre sens des affaires que les francophones et le géant pétrolier nigérian ayant beaucoup plus d’opportunités économiques que le Bénin, même si les Yoruba sont séparés par la religion, l'éthique du lien social stimule chez eux l'esprit d'entreprise. Or, entre ces deux régions du golfe du Bénin, ces deux grandes ethnies, se trouvent les Fon et les Goun qui eux ne semblent pas avoir le goût ou le don du commerce, n’ont pas l'esprit d'entreprise. Très tôt, ils se sont au contraire cantonnés dans la formation scolaire et l'intérêt pour les études. Quand on dit que le Bénin était le quartier latin de l'Afrique, c'est grâce à cet esprit de ces ethnies proto-adja : Fon, Goun et assimilés qui ont très tôt valorisé l'esprit de la formation scolaire et intellectuelle, le goût des diplômes et le désir de faire comme le blanc, ce que les Yoruba appellent Akowé. Les Goun et surtout les Fon sont des gens--et on n’ose même pas à leur sujet parler de communauté-- on dira des agrégats ethniques qui vivent dans la méfiance sinon la haine les uns des autres, le mépris, le manque d'esprit de solidarité, l'individualisme et la jalousie.
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Telles sont les valeurs intériorisées par les membres de ces agrégats ethniques. Et, comme ils forment le groupe démographique le plus grand du Bénin, en tout cas du sud du Bénin, cela a tendance à marquer tout le pays du sceau fatal de manque de lien social, et contribue à l'atmosphère de défiance et de chacun pour soi qui y règne. Lorsqu'on dit aujourd'hui du Bénin qu'il y a un problème d'unité nationale, en fait c'est de ces agrégats ethniques Fon, Goun et assimilés que vient cette maladie sociale incompatible avec le progrès. Cela s'oppose d'une part à l'attitude concertée et disciplinée de ceux qu'on appelle les nordiques, et d'autre part dans le sud, une observation minutieuse laisse voir que cela s'oppose aussi au comportement et à l'éthique des Yoruba, très unis et très entreprenants, ainsi qu'à la frange des populations d'origine éwé qui va du mono--pays du nonvitcha--au Togo. Au total, il va de soi que sous le rapport de l'esprit d'entreprise, les ethnies de notre région du golfe du Bénin ne sont pas placées à la même enseigne. D'un côté, à l'ouest les populations d'origine proto-éwé, et de l'autre à l’est, les populations d'origine yoruba, qu'ils soient du Togo ou du Nigéria se caractérisent par une éthique du lien social portée sur les valeurs de communauté, de solidarité, de confiance et d'entraide ; tandis que la grande majorité démographique des populations du sud formée par les agrégats ethniques Fon, Goun et assimilés valorise volontiers une éthique de l'individualisme portée vers la défiance de l'autre, la haine de soi, le manque de confiance et la jalousie. Or ces valeurs sont aux antipodes de l'esprit d'entreprise notamment dans un contexte où domine l'économie informelle.
Anjorin Badarou
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