« Le Nigéria n'acceptera pas de violence post-électorale à sa porte, car nous partageons une longue frontière » déclarait M. Goodluck Jonathan, le président du Nigéria, le 18 mars 2011. Trente sept ans plus tôt, plus exactement le 30 novembre 1974, la junte militaro-marxiste au pouvoir, fidèle à sa méthode de bouleversements gratuits, a décidé de changer le nom Dahomey.
L'une des raisons avancées et qui alors paraissait faire sens, c'était que le nom Dahomey provenait du nom du royaume du Danhomê, qui n'était qu'un royaume parmi les nombreux autres que comptait la colonie du Dahomey, devenue en 1960, république du Dahomey. Tous les citoyens ne se reconnaissant pas dans ce nom, au demeurant porteur de rancœurs héritées du passé, en raison de la puissance prédatrice du royaume Danhomê, il était temps de trouver un autre nom qui ne rappelât aucune ethnie particulière, aucun royaume intérieur au pays, et un nom qui fît l'unanimité. C'est de là que les pseudo-historiens de la mouvance militaro-marxiste qui régentait les affaires du pays ont choisi le nom de Bénin, avec la dénomination « république populaire du Bénin ». Cette dénomination, par les vicissitudes politiques du renouveau démocratique, deviendra « république du Bénin ». On a peut-être succinctement justifié le choix du mot Bénin par le fait que les territoires français de la partie concernée, avant d'être nommé Dahomey, était désigné du nom de : Établissement français du Bénin. Et, de plus, le Bénin est le nom d'un grand empire sous régional qui a connu son apogée au XVIIe siècle et dont tout Africain pouvait être fier, en raison de son rayonnement culturel, technologique et politique. Mais une fois que le nom Bénin a été choisi, et que la justification du choix en a été donnée, eh bien, suivant la mentalité de paresse et de médiocrité congénitale qui les anime, nos militaro-marxistes n'ont pas pensé un seul instant que les citoyens devenus Béninois avaient le droit de savoir d'où venait ce nom que portait leur pays et ce qu'il en coûtait désormais d'être référé au Bénin. Le nom Bénin renvoie à Benin City, et plus exactement au royaume Edo qui se trouve dans l'État de Bendel au Nigéria. Mais dans le système culturel de notre pays rebaptisé, dans l'éducation de nos jeunes enfants, de la primaire à l'université en passant par les collèges et lycées, les programmes d'histoire n'ont pas cherché à faire la part qu'elle mérite à cette dette originelle que constituait la référence au Bénin. Il faut faire grâce certes aux recherches du professeur John Igué qui a émis l'hypothèse, sur la base de considérations linguistiques de l’existence de lien de parenté entre les Houéda du Bénin et les Edo du Nigéria. Mais cette hypothèse qui demande à être confirmée, si elle montre l'intérêt d’un Béninois éminent au lien potentiel entre notre pays et l'origine du nom qu'il porte, cette hypothèse disons-nous, est loin d'épuiser la problématique de la responsabilité morale, intellectuelle, symbolique et culturelle soulevée par le fait pour le Dahomey de devenir du jour au lendemain Bénin. En fait cet oubli d'assumer les exigences et les conséquences de la référence au Bénin ne tient pas seulement à la paresse congénitale de nos dirigeants et élites, encore moins au climat de médiocrité découlant de la tragédie d'être gouverné par des militaires incultes. La vérité est que la vraie motivation du changement de nom intervenu en 1974 dans notre beau pays, est plus négative que positive. Nos dirigeants d'alors, conformément à une idéologie mise en place déjà par l'ancien colonisateur lui-même, étaient plus pressés de se débarrasser du nom Dahomey qui concernait la grosse majorité du peuple et de la culture dominante du pays. Dans tous les pays du monde, il y a toujours, d'un point de vue ethnique, un noyau central autour duquel s'agrègent des groupes ethniques minoritaires ou périphériques. Et l'unité nationale se construit progressivement dans un jeu de dialogue, de friction et de mélange librement consenti. Mais comme au Dahomey, le dernier roi s'appelle Béhanzin et que celui-ci s'est montré intransigeant dans la lutte pour la dignité de sa race et de son peuple, il a laissé une marque indélébile dans l'esprit du colonisateur. Après avoir maladroitement dénommé l'ensemble du territoire colonial du nom de ce puissant royaume dont il a eu du mal à venir à bout de la résistance farouche, le colonisateur n'a eu de cesse ensuite de se méfier et d'écarter ses ressortissants. Il a travaillé activement au réveil des rancœurs héritées de l'histoire, a dressé passionnément les anciens ennemis ou victimes supposées du royaume du Dahomey contre lui, alors que l'histoire de l'humanité montre que maintes nations unies aujourd'hui ont dû traverser des périodes de violence endogène dont le dépassement synthétique aboutit à l'unité nationale. Ainsi, par miracle, le premier président du Dahomey, au lieu d'être Fon ou Proto-Fon dans un champ magnétique politique orienté vers le régionalisme, est plutôt un homme issu d’un groupe ethnique minoritaire (et qui plus n'était Dahoméen que par sa mère, son père étant d'origine Voltaïque !) C'est ainsi que, dès l'aube de l'indépendance de notre pays déjà, était mise en place l'idéologie du « tout sauf le Dahomey ». Il n'y a qu'à voir l'histoire des présidents du Bénin ou du Dahomey pour s’apercevoir que, depuis 50 ans d'indépendance, un ressortissant du noyau danhoméen n’aura été président que durant cinq années seulement ! Tandis que ceux qui, durant les 40 autres années et plus présidèrent aux destinées d'un pays dont la majeure partie restait tout de même le Dahomey étaient tous d'origine non « danhoméenne » ! C'est dans le feu de cette idéologie d'exclusion, cette volonté d'écarter les Danhoméens- au besoin en comptant sur ou en exploitant leurs propres divisions- qu'il faut comprendre le changement de nom, le passage du Dahomey à Bénin intervenu en 1974. Pour l'esprit derrière ce changement, pour ceux qui avaient fait ce changement que le pays s'appelât Charybde ou qu’il s'appelât Scylla, peut leur chaut. L'essentiel était qu'on se débarrassât du nom Dahomey, ce qui fut fait avec une bonne dose de violence symbolique puisque ce changement a été aussi bien revendiqué et assumé par des citoyens d'extraction danhoméenne, qui, aveuglés par leurs intérêts mesquins et immédiats avaient commis le péché de myopie de ne pas flairer ce qui se jouait derrière ce changement aux relents régionalistes. Il reste qu'aujourd'hui, les enfants de notre pays ont seulement le droit de savoir qu'ils sont Béninois, mais du Bénin, le nom que porte leur pays ils ne savent rien de consistant, et rien n'est mis en place et en œuvre pour étancher leur soif légitime de sens et de contenu par rapport à une référence qui pour eux reste vide ou n'est pas plus pleine que si le nom de leur pays s'appelait Godot ou Titanic. Mais revenons : d'où vient alors que M. Goodluck Jonathan, le président du Nigéria, se soit permis de venir sermonner le peuple de notre pays, alors qu'il était en plein processus électoral, chose si nationalement intime qu'il aurait été convenant qu'un étranger, fût-il d'un pays frère, ne s'en mêlât pas de près ou de loin ? Eh bien parce que M.Goodluck Jonathan était venu dans un pays qui s'appelait Bénin, et que dans son esprit, Bénin c'est Edo ou Bendel State, et rien d'autre. Voilà ce qu'il en coûte à une nation, travaillée par la haine de soi et la volonté d'écarter sa réalité, voilà ce qu'il en coûte, disons-nous, de renier une référence intérieure au profit d'une référence extérieure sur laquelle nous n'avons aucune prise. Cette référence extérieure faisant sens à l'extérieur de nos frontières, implique aussi de la part de ses ayant droit un droit de regard, voire d'immixtion, dans nos affaires, surtout de la part d'un grand, d'un très grand voisin !... L'ironie du sort dans le changement de nom du Dahomey au Bénin réside dans le raisonnement plus ou moins spécieux utilisé pour le justifier : à savoir le souci de trouver un nom neutre et sans référence ethnique intérieure. Or il existe une hypothèse de l'origine yoruba du nom Bénin. Et cette hypothèse n'a rien de farfelu. Selon cette hypothèse, Benin viendrait de l'appellation “Ilè Ibinu”, autrement dit, terre de vexation, que les yorouba utilisaient pour désigner ce qui deviendra ensuite Bini puis Benin dans la bouche des Européens. Comme quoi, du Dahomey au Bénin c'est comme tomber de Charybde en Scylla !
Binason Avèkes.
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