Consécutif à l'alternance de 2006, un changement est bel et bien intervenu au Bénin ; à ceci près que, véritable serpent de mer, il n'est pas de la nature qu'on attendait. Son promoteur miraculeux, le fameux docteur Yayi qu'on ne présente plus, avait promis un changement de nature économique. Avec à la clé le radieux rêve de l'émergence. Tout cela, soutenu par le symbole du cauris, qui était jadis celui de l'argent et de la richesse. L'homme était amené par de fiers experts, connaisseurs chevronnés en oiseaux rares qui, au Bénin, sont préférables aux hommes politiques de métier, blanchis sous le harnais des partis politiques institutionnels. Mais très vite, l'espérance en la prospérité d'un pays désormais gouverné par une élite de soi-disant économistes-banquiers allait faire long feu. Beaucoup de bluff, un épais rideau de fumée qui cache une médiocrité pathétique. Les nouveaux venus en matière d'économie et de prospérité partagée n'économisaient rien, ne partageaient rien, et ne faisaient rien prospérer ; ou plutôt, ils s'étaient rendus maîtres dans l'art de l'auto-prospérité ; celui qui très vite fera exploser le compteur de la corruption, des affaires et des crimes les plus sordides de l'ère du Renouveau Démocratique. Les mauvaises langues diront que rien n'a changé. En vérité, ce jugement est un euphémisme négatif qui ne rend pas compte de la totalité de la vie politique depuis 2006, ou qui est biaisé par l'attente d'une promesse déçue. Car si la prospérité promise n'a pas été au rendez-vous et que c'est la même misère qui s'enracine, se répand et menace chaque jour un plus grand nombre de gens, la vie politique quant à elle a connu un changement. Un grand changement qui défigure l'enviable faciès de ce qu'on a pu appeler la démocratie béninoise, mais qui maintenant est un abus de langage, tant le mot ne correspond plus à la chose. À la démocratie, l'incapacité politique et la médiocrité du pouvoir ont substitué un personnalisme autoritaire et autocratique suranné. Au travers duquel les institutions de la république sont mises sous le boisseau de la seule volonté d'un homme. Au début, on a pu prendre la compulsion antirépublicaine du président pour la bonne volonté pragmatique d'un homme soucieux de bousculer les pratiques sclérosées pour faire progresser le pays dans la bonne voie. Mais très vite, la brutalité, l'autoritarisme, la susceptibilité idiote, la sensibilité exacerbée à l'opinion, la volonté de la contrôler le court-circuitage des institutions et leurs instrumentalisations forcenées, la corruption généralisée et son corolaire l’impunité des puissants ont, peu à peu, instauré la réalité objective d'une belle dictature bananière. M. Yayi reconnaissait lui-même ce changement qu'il voulut à la fois théoriser et subsumer sous le vocable de la « dictature de l'économie. » Or dans ce que vit le Bénin actuellement, dans l'expression « dictature de l'économie » le mot économie est de trop. Ceux qui parlent encore de démocratie à propos du Bénin sont dans le déni de la réalité. La démocratie est devenue avec M. Yayi le passé d'une ambition, le passé d’un chantier, le passé d'un rêve. Car quoi, comment peut-on encore parler de démocratie dans un pays où, en 2011, les élections dont le bon déroulement devrait sanctionner la vigueur, ont eut droit à une tragicomédie moyenâgeuse et crapuleuse, une violence symbolique inouïe, une injustice criarde envers le peuple que curieusement celui-ci entérina soit par couardise ou soit par lassitude éthique et politique ? Comment peut-on parler de démocratie lorsque le chef de l'État, comme dans son discours du 1er août ou dans tous ses actes, violent la loi, en tenant des propos de désunion et d'appel à la division régionaliste ; se substitue à la justice pour harceler des hommes d'affaires tombés en disgrâce ? Comment peut-on parler de démocratie, lorsqu'il n’y a plus d'État de droit ? Lorsque la constitution est entée sur la constitution mentale d'un seul homme ; lorsque les hommes politiques ou les organes de presse sont interpellés par le Commissariat en lieu et place de la justice sous prétexte qu'ils auraient commis d'imaginaires offenses à l'endroit du président de la république ? Comment peut-on parler de démocratie lorsque les hommes politiques éminents ou les organes de presse sont convoqués au commissariat après avoir usé de leur liberté constitutionnelle et d'expression ? Décidément il faut se l'avouer, certes le coeur gros : le changement économique promis en 2006 à grand renfort d'incantations dormitives n'a pas eu lieu. Mais le Bénin a connu un changement, un changement de taille ; en l'espace d'une demi-douzaine d'années, ce laboratoire de la démocratie en Afrique qui suscitait la curiosité générale a perdu de sa superbe pour se retrouver dans les bas-fonds sordides d'un pouvoir personnel, idiot, autocratique, et dangereusement dictatorial. Le vrai changement du Bénin depuis 2006 n'est pas économique, ce n'est pas un changement vers une émergence radieuse et une prospérité partagée ; le vrai changement au Bénin est politique : c'est le passage de l'État de droit à l'État policier. Aminou Balogun
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