Les jeux olympiques de Londres 2012 tirent à leur fin. Elles ont donné lieu à un branle-bas médiatique, mixte de passion nationaliste et de manipulations idéologiques et publicitaires. Comme toujours, d'un point de vue médiatique, notamment télévisuel, chaque pays a eu sa façon de rendre compte des jeux olympiques. Pour ma part, j'ai pu voir des images des jeux olympiques, malheureusement depuis le Japon ; et la vue de la délégation béninoise, comme celles d'autres pays africains m'a effectivement réjoui, en même temps qu'elle m'a inspiré quelques réflexions et de la consternation. En ce qui concerne le Japon, je dis « malheureusement » parce que du 23 juillet aux 7 août j'étais au Pays du Soleil Levant. Le malheur vient du fait que les Japonais--plus que la moyenne des Asiatiques--ont un sens de l'universel assez limité. Du moins contrairement à des pays occidentaux comme la France, ils ne font pas de l'universel une grande cause nationale. Ainsi, pour eux, la dimension nationaliste surdétermine le regard qui est porté sur les jeux olympiques. Vous me demanderez dans quel pays au monde le regard porté sur les jeux olympiques n'est pas teinté de passion nationaliste. Bien sûr ce n'est pas cet aspect qui est en jeu car effectivement les jeux olympiques, comme beaucoup de compétitions de haut niveau, engage les nations dans une compétition d'images qui est d'abord celle d'une image de soi que l'on veut imposer aux autres, au monde. Images de gloire de succès, images de force, images de réussite, images de courage, de vaillance de ténacité etc. Mais en ce qui concerne le Japon la vénération des athlètes présents aux jeux et dans certaines compétitions parfois objectivement marginales, je pense par exemple au tir à l'arc ou même au tennis de table, eh bien la télévision japonaise ne montre que les épreuves dans lesquelles les Japonais évoluent. Elle ne se place pas d'un point de vue à donner une image exhaustive et globale du déroulement des compétitions ; encore moins du point de vue d'une hiérarchie implicite des disciplines dont tout le monde sait que le coeur historique se situe au niveau de l'athlétisme. Ce qui est malheureusement l'un des gros points faibles des Asiatiques notamment des Japonais. En revanche le point de fixation se situe au niveau des activités sportives pour pays évolués, qui demandent la mise en jeu d’un certain nombre d'infrastructures, de moyens, d'études et de contraintes qui le plus souvent éliminent naturellement les pays moins aisés ou pauvres. Une prime spéciale est faite au judo où légions de leurs ressortissants sont présents ; mais, même lorsque ce n'est pas le cas, cette épreuve à la faveur des médias japonais car c'est une discipline d'origine japonaise et grande est la fierté des Japonais de voir et de donner à voir l'intérêt du monde à une discipline traditionnelle de chez eux. Signalons au passage que pour la plus grande part, les disciplines olympiques sont d'origine occidentale et qu’une discipline comme le judo apparaît comme une concession faite à la volonté d'universalisation des jeux ; signalons aussi que l'Afrique n'a jusqu'à présent pas été mise à contribution dans ces disciplines alors qu’on pourrait effectivement penser à considérer des disciplines comme la lutte qui ne manque pas d'intérêt. Mais dans le domaine sportif comme dans le domaine politique, l'Afrique reste toujours méprisée : elle ne contribue pas plus aux disciplines des jeux olympiques qu’elle n’a de siège permanent au conseil de sécurité des Nations unies en dépit de son poids démographique et continental. Le caractère spéculaire de la représentation médiatique et sociale des jeux olympiques ici au Japon est poussé à l'extrême et le compte rendu des médias--qui euphémisent sinon éliminent de la visibilité toute épreuve qui ne célèbre pas le pays du soleil levant d'une façon ou d'une autre--prend des allures d'une auto-contemplation en miroir, une sorte de narcissisme nationaliste auquel tout le monde sacrifie avec passion et frénésie : jeunes et vieux, hommes et femmes, sans exception. Heureusement j'ai pu quand même voir le défilé d'ouverture des jeux olympiques de Londres 2012 ; cette partie colorée, carnavalesque et bigarrée des jeux qui en fait toute la dimension humaine et universelle. Le paradoxe pour la télévision japonaise si narcissique, aurait été de ne montrer que le défilé de la seule délégation japonaise mais comment montrer de façon comparée, comment mettre en valeur l'élément singulier d'une liste si l'on ne montre pas cette liste ? L'impossibilité sinon le ridicule de ce paradoxe m'a valu de voir sur NHK la chaîne nationale de référence tout le défilé carnavalesque d’ouverture de A à B comme le Bénin, mais aussi de B à J comme le Japon et de J à Z comme le Zimbabwe, ou la Zambie. Les amis japonais avec lesquels j'étais pour la circonstance et pour des raisons personnelles manifestaient un intérêt certain pour la vue de la délégation béninoise. Pour lors, comme c'était l'été au Japon, et qu'il faisait chaud, et parce que je venais de Cotonou via Paris, j'étais vêtu d'une tenue nationale béninoise classique d'extraction yoruba ou nago longue tunique avec pantalon assorti et bien sûr le chapeau replié sur le côté, dit «goby ». Or la délégation béninoise, jusqu'à la couleur près, était comme par hasard vêtue de la même façon que moi. Mes hôtes en conçurent une raison supplémentaire de leur émerveillement et parurent plus que jamais rassurés de mon identité béninoise. Car le fait que, le hasard aidant, cette image leur fût renvoyée par les médias en une circonstance comme celle-là où justement l'identité nationale était en jeu, constituait une réelle confirmation de ce qu'ils voyaient en vrai. Mais, pour moi, bien qu’étant à l'évidence partie de l'identité vestimentaire du Béninois, cette tenue d'origine yoruba avec son goby assorti ne constituait pas à mes yeux la substantifique moelle de ce qu'il fallait exhiber de notre identité en une circonstance potentiellement héroïque comme celle d'une compétition olympique. La tenue yoruba masculine et son équivalent féminin--arborée par les membres de la délégation nationale parmi lesquels se trouvaient des blancs dont on se demande si leur présence dans une délégation béninoise était un pied de nez à Béhanzin dont la pensée de résistance s'articulait autour du rejet de ce genre d'obscénité, ou s’il ne s'agissait d'une espèce d'hommage à l'universalité des hommes chère à la France et dont certains de ses ludions se sont faits les chantres géniaux. Pour en revenir à cette tenue, comme pouvant incarner ce qui ressemble le plus aux Béninois en cette circonstance de haute compétition internationale, on ne peut pas ne pas voir dans un tel choix l'expression de la sourde affirmation régionaliste qui caractérise le régime désaxé, corrompu, antinational et usurpateur de M. Yayi. Déjà, le fait qu’un non-ressortissant de l'ancien Dahomey et dépendances s'impose comme président de la république dans ce qu'on appelle actuellement Bénin est une aberration. Mais aussi une affirmation idéologique de la négation du Dahomey, de ce qu'il représente, de ce qu’il a de contraire à la volonté systématique de domination occidentale incarnée par la France. Une adhésion pleine et entière à l'obscénité programmatique d'un État politique exogène à finalité aliénante, et dominatrice de l'homme noir par l'Occident capitaliste. Dans nos pays africains issus de l'obscénité coloniale--si fermement combattue par des héros comme SAMORY TOURE ou GBEHANZIN AÏJIRE--l'endossement de la responsabilité suprême de l'État en tant que son chef va de pair avec l'appropriation sans nuance ni réserve de la violence symbolique du blanc et de l'héritage clairement assumé de cette violence. Si bien qu'au Bénin, le soin qui est mis depuis 50 ans à encourager l'accession au sommet de l'État de ressortissants de partout sauf du Dahomey relève d'une volonté d'affirmation de l'héritage de violence matérielle, symbolique et idéologique des blancs, en l'occurrence de la France, sur les noirs en l'occurrence l'Afrique. Cette volonté d'affirmation rend raison de son corollaire, le régionalisme qui fait que la périphérie d'une nation, faisant preuve d'une bonne volonté politique sans commune mesure avec son poids démographique, culturelle et historique s'en donne à coeur joie, en toute commensalité avec le système néocolonial, de reconduire l'idéologie de la domination de la race noire sur la base d'une modernisation des prétextes obscènes du siècle passé. Le port de cette tenue yoruba qui est plutôt la tenue de l'homme ordinaire, des jours ordinaires, à la place d'une tenue de guerrier, et qui dit guerrier dit guerrier dahoméen, pour être plus précis : tunique, chanca, et bonnet phrygien, qui aurait donné l'image d'une combativité et d'une détermination conformes à la circonstance ; ce choix, dis-je, participe de la même volonté délibérée de négation de l'héritage de Béhanzin. Et que dire de ces comparses blancs, hommes et femmes vêtus de la même tenue d'origine yoruba et qui avaient truffé la délégation béninoise ? Une délégation de 15 membres pour seulement cinq sportifs réels, sans qualité et sans qualification ! Qu'est-ce qui explique cette présence obscène de blancs dans la délégation béninoise ? Est-ce au titre de notre « amitié séculaire avec la France » ? Laquelle amitié lui permet de nous flouer depuis des décennies, de nous mener en bateau, de nous imposer sa violence symbolique, sa langue alors que nous avons nos propres réalités, afin d'assurer la continuité de l'exploitation de notre pays dans le cadre général de la Françafrique ? Illustration de l'égalité des hommes chère à la France ? Est-ce une façon pour la Françafrique de proclamer au monde entier que l'Afrique c'est aussi la France ? Quel est le sens de dignité qui informe cette prise d'assaut d'une délégation du pays de Béhanzin par des blancs qui jubilaient, sûrement, de nous administrer la violence de leur obscénité impudique ? Qui a eu la géniale idée de truffer une délégation du pays de Béhanzin de ces intrus? Au nom de quoi cette intrusion a-t-elle été décidée ? Par M. Yayi Honi, le passionné de génuflexions devant les blancs ? Combien ont reçu en argent et en faveurs diverses ceux qui se sont permis cet outrage à notre dignité nationale au moment même où il fallait l'affirmer radicalement et purement ? La Françafrique doit jubiler, on l'imagine, elle qui a fait de ce mode d'intrusion obscène quasiment une institution, comme j'ai pu le constater dans toutes les délégations de l'Afrique francophone lors du défilé d'ouverture de ces jeux olympiques de Londres 2012 ! Pauvre Afrique, pauvre Bénin, puissiez-vous agir en mémoire de la vaillance des Samory et Gbêhanzin qui au prix de leur liberté et de leur vie même se sont opposées avec courage à cette obscénité furieuse qui est au principe de la domination occidentale sur l’Afrique.
Aminou Balogun
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