La haine et le mépris ont toujours caractérisé les rapports des Blancs vis-à-vis des Noirs Jadis, ces deux sentiments ont constitué l'atmosphère et le terreau des siècles terribles de l'esclavage, où des crimes immenses ont été perpétrés aux dépens des Noirs -- jeunes hommes et femmes vaillants, arrachés à leur terroir, taillés comme du bois--bois d'ébène était d'ailleurs l’euphémisme faussement poétique par lequel on les désigna--capturés, parqués, mis en fer comme des bêtes et en cales comme des marchandises. Et comme des marchandises, les moins aptes à la vente --enfants ou femmes enceintes et hommes âgés-- étaient jetés par-dessus bord, offerts aux dents impitoyables de la mer. Et, comme des marchandises, une fois amenés aux Amériques, ils étaient mis en vente, achetés et devenaient la propriété d'un maître blanc ; celui-ci pouvait faire d’eux ce qu'il voulait. Violer les plus jolies femmes--malgré l'image bestiale qu'on collait aux Noirs --les faire travailler comme des bêtes dans d'immenses champs de coton du matin au soir, sous le soleil la pluie et la trique de brutes contremaîtres, les céder au plus offrant, les faire se reproduire entre eux comme des bêtes domestiques, bref disposer de leur vie comme de leur mort… Plus que tous les cas de génocides érigés en crimes indépassables alors qu'ils n'ont duré au pire que quelques années, le cauchemar de l'esclavage des Noirs dans la main des Blancs, ce génocide des génocides, durera au moins trois siècles ! Des siècles de domination et exploitation sur fond de haine et de mépris du Noir dont le moment inaugural fut symbolisé par la controverse de Valladolid, qui sanctionna la bestialité irrémissible du Noir sous le regard impitoyable des Blancs, des dizaines de milliers d'Africains allaient, par tonnes--car c'était l'aune usitée dans cette réification impitoyable--allaient être exilés à leur corps défendant, séparés à jamais de l’Afrique qui aura subi la pire des hémorragies de son histoire. Mais l'esclavage des Noirs a beau durer des siècles, si la seule révolte des esclaves ou l'activité de certaines sociétés humanitaires ne parviennent pas à en venir à bout, l'évolution des technologies et le changement de paradigme économique et politique--tel que traduit par la guerre de sécession aux États-Unis--allaient consacrer son obsolescence. Les Noirs furent peu à peu délivrés du fléau de l'esclavage, comme les chevaux le furent après la révolution industrielle qui généralisa l'usage de la machine, de la locomotive puis de l'automobile. Mais la haine et le mépris du Noir sont restés intacts dans le cœur des Blancs ; et la nécessité angoissante de faire du Noir quelque chose, ajoutée à la cupidité, aux fantasmes d'accaparement des immenses ressources africaines, allait substituer l'infernal paradigme colonial au siècle humainement criminel et désespérant de l'esclavage. Au Dahomey seul pour ne pas citer d'autres pays d'Afrique, une figure parmi d'autres symbolise le refus de la domination coloniale : il s'agit de la figure de Béhanzin qui lutta jusqu’à son dernier souffle contre l'accaparement de la terre de ses ancêtres par des Français qu'il ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve. Mais les forces étaient inégales, et une fois les résistants éliminés ou exilés, place à l'œuvre de rectification coloniale du sauvage. Dans cette œuvre dont l'atmosphère restait toujours celle de la haine et du mépris du Noir, sa culture et ses valeurs étaient jugées absurdes, inférieures, sauvages et diaboliques. La religion chrétienne et ses pionniers se dévouaient pour capturer les âmes, les arracher à la sauvagerie. Ils étaient les alliés objectifs du système colonial d'exploitation. Alors que le discours christique dans son originalité était celui de l'égalité des hommes, de la compréhension et de l'amour du prochain, ces hérauts de la religion catholique, arcboutés sur leur préjugés ethnocentristes, étaient animés d'une haine et d’un sourd mépris du Noir qui trahissaient le fond programmatique de leur aventure. La littérature chrétienne précoloniale et coloniale en Afrique abonde de cette manifestation du regard de haine et de mépris du sauvage à mille lieues du discours anthropologique de l'unité de l'homme, et du message du Christ qui est un message d'amour et de respect. Cette littérature de haine et de mépris sacrifie d'ailleurs à un double schéma de l'image du Noir. Il s'agit de la fameuse séparation entre le bon nègre et le mauvais nègre. Dans le texte ci-dessus extrait de « Le pays des nègres et la côte des esclaves » de l'Abbé Laffitte, cette dualité manichéenne fondée sur le mépris du Noir et la haine se donne libre cours, comme on peut le constater dans la première partie ou le mauvais nègre et mis en scène. La deuxième partie en revanche donne à voir un spécimen du bon nègre. Bon sans doute parce qu'il est disposé à se convertir au christianisme et à l'imposer aux populations dont il est le roi ; mais bon surtout parce qu'il s'y connaît en manières françaises. Pour un chrétien qui tient le vin pour un breuvage christique par excellence, celui de la cène transformé symboliquement en le sang du Christ, mais aussi celui du savoir-faire et du bien-vivre français, le nègre qui offre et apprécie le vin de Bordeaux ne pouvait qu'être un bon nègre… Binason Avèkes |
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