Mon idéo Va, Court, Vole et Tombe sur… :
Racisme et Féminisation de l'Autre
Dans le tout premier gouvernement de M. François Hollande qui vient d'être formé, dirigé par Jean-Marc Ayrault, les Noirs ont leurs ministres : ce sera Taubira ; les Arabes ont leurs ministres ce sera Belkacem. Mais, à l'instar de Sarkozy qui avait pu nommer jusqu'à quatre ministres d'origine immigrée sans nommer un seul mâle, François Hollande récidive et confirme la difficulté de traiter directement avec la figure de l'immigré dans ce que la politique implique d'abord de viril. Pourquoi les ministres d'origine immigrée paieront-ils ce lourd tribut à la parité au point que leur représentation confine à une imparité pour le moins affligeante ? Les dieux de l'égalité réelle et de la diversité positive ont-ils fermé la porte aux mâles Noirs et Arabes en France ? La féminisation de l'autre n'est qu'une réponse hypocrite à la nécessité d'un gouvernement qui reflète la réalité socioculturelle du pays tel que l'a promis le candidat François Hollande. Ce refus ou cet évitement du mâle Noir ou Arabe, réfère-t-il le racisme inavoué de l’aéropage du pouvoir ou reflète-t-il avant tout le racisme cru des Français qui préfèrent l'autre sous sa forme
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la plus douce, la moins rude, la plus lisse, la plus abordable, ou la plus bandante ? Alors que la politique est l'arène de la virilité par excellence, la réduction exclusive de l'autre à sa féminité, traduit son émasculation politique ; il ne fait que renvoyer le problème de son acceptation aux calendes grecques. A dire les choses telles qu’elles sont depuis des décennies, à interpréter le sens de cette fixation sur la féminisation de l’autre, on peut dire qu’en politique tout ce que la France demande aux immigrés c’est : “ fais-moi-bander et casse-toi !” Pour nous autres Noirs et Arabes, qui pensons, hommes ou femmes, il y a là un sérieux motif de tristesse, de frustration et de sourde révolte… Éloi Goutchili |
Aussi bref soit-il votre commentaire interpelle sur deux points. Il y a d'abord l'interprétation du propos de cette note qui n'a rien à voir avec l'intention de son auteur ; autrement dit un reflet qui est très loin de la pensée incidente. Deuxième point à relever c'est la référence à la mentalité française où perce l’évidence d’une connaissance infuse de ce qu'elle représente en rapport avec la question soulevée. Mais comment répondre ou réagir à ces deux points sans élargir un peu la perspective historique de la question !
On pourrait pour ce faire tenter de faire l'histoire des nominations des personnes d'origine immigrée, africaine précisément dans le gouvernement français. Remarquer que du temps de la colonisation, la question du sexe ne se posait pas et que c’étaient tous des hommes qu'on nommait. Mais en même temps--comme d’ailleurs cela reste le cas--c'étaient des postes de sous-ministre, secrétariat d'État ou ministère délégué, qui pouvaient avoir une immense implication/signification dans les colonies et pour les personnes ainsi reconnues mais qui au niveau de l'Hexagone étaient purement folkloriques et dérisoires, à la limite du risible…
Du temps de la colonisation, quand on nommait les Maga, les Blaise Diagne, ou les Houphouët-Boigny dans les gouvernements français, c'était pour les préparer à prendre la présidence des états qui allaient devenir indépendants sous la houlette paternaliste du néocolonialisme et de la Françafrique en gestation. Mais la visibilité qu'on leur conférait n'était qu'une place de strapontin, représentation symbolique visant à montrer l'existence pseudo-démocratique du monde colonial. Par ces élus ou ces sous-ministres, le système colonial essayait d'accréditer une réalité démocratique inexistante dans les colonies où règne plutôt le code indigène qui n'avait rien à envier au système d'apartheid avec son lot de travaux forcés, d'asservissement du noir ou de l'arabe colonisé, d'exploitation des ressources humaines et matérielles des colonies, de mépris du colonisé et ce conformément à la philosophie et aux objectifs naturels de l'idéologie colonialiste. Sous cet angle, il est intéressant de voir quelle pourrait être la fonction d'une nomination des personnes issues de la diversité ou de l'immigration puisque, pour une large part, l'immigration résulte des conséquences du fait colonial.
Il ne s'agit plus de faire croire à l'existence d'une démocratie en trompe-l'oeil dans les anciennes colonies ; puisque les personnes nommées sont nées ou vivent en France et qu'il y a une séparation de fait entre la vie politique de la France et celle de ses anciennes colonies. Mais sous l'angle du néocolonialisme qui, avec la Françafrique a pris le relais du colonialisme, et en rapport avec le rejet raciste dont les Noirs et les Arabes particulièrement par différence avec les autres catégories d'immigrés en France (les Asiatiques, les Chinois les Indiens etc.) sont l'objet, il s'agit de nommer sans choquer la sensibilité raciste de la grande majorité des Français ; de nommer tout en édulcorant la signification de la nomination, de nommer en euphémisant, de s'inscrire dans la sensibilité collective qui, entre culpabilité et crapulerie, est portée au rejet de ceux qu'on continue de dominer dans leur pays d’origine, tout en paraissant correspondre au discours politiquement correct de l'égalité des hommes, des races, de la citoyenneté indépendante des origines ou des religions etc.
La figure de la femme permet alors de réaliser ce grand écart entre le rejet de l'autre--noir et ou arabo-musulman--et la nécessité de sauver les apparences, de dénier la réalité du rejet. Pourquoi la femme ? Parce que dans la réalité comme dans la conscience collective, la politique, le pouvoir reste une chose masculine. Il apparaît avec l'homme. Et la figure la plus repoussante de l'autre, du noir ou de l'arabe, ce n'est pas la jolie femme arabe ou la noire de… que l'on peut séduire ou caresser dans le sens du poil… Mais le noir ou l'arabe brut, irréconciliable, égal à lui-même qui ne présente aucune zone de pénétrabilité ; c'est cette figure de la virilité essentielle de l'autre que l'on rejette en faisant appel à la femme.
Sur une douzaine de nominations de ministres ou plus exactement de sous-ministres dans les gouvernements français depuis l'avènement de la gauche au pouvoir en 1981 avec François Mitterrand, il n'y a pour ainsi dire pas plus de trois noirs ou arabe qui seraient de sexe masculin. Le reste est constitué essentiellement de femmes. Ce qui fait 25 %. Or à l'échelle nationale, parmi la population le rapport s'inverse. On a peut-être nommé 30 % de femmes contre 70 % d'hommes au gouvernement.
C'est pour cela que nous estimons qu'il s'agit d'un lourd tribut que la population immigrée paye à la parité. Au-delà de cette formulation ironique, nous pensons que cela n'a rien à voir avec la parité, mais qu'il s'agit d'une stratégie de dénégation symbolique du rejet de la figure de l'autre (noir et /ou arabo-musulman), dans la mesure où l'espace politique et le pouvoir continuent d'être d'incarnation virile. Ce renversement sociologique est d'autant plus insolite que rien dans la sociologie ne prouve qu'il y ait plus de femmes instruites et compétentes que d'hommes instruits et compétents au sein des populations d'origine immigrée. Si dans la population immigrée, il n'y avait que 30 % d'hommes instruits et 70 % de femmes instruites on pourrait comprendre la logique qui sous-tend les nominations politiques au sein du gouvernement français.
Cette perspective historique ainsi ouverte montre si besoin en est que la forme et la fonction des nominations de ministres d'origine africaine dans les gouvernements français varient selon les époques. Cette variation est la preuve que seules la lutte et l'objectivation des réalités sous-jacentes aux intentions qui gouvernent ces nominations pourront permettre une juste égalité des chances ainsi qu'une citoyenneté débarrassée des scories du racisme, qu'il soit hypocritement dénié comme c'est le cas au sein du club de ceux qui en France se disent républicains, ou crapuleusement affirmé comme c'est le cas avec les partis d'extrême droite dont le Front National que les autres stigmatisent comme parti non républicain.
Cela étant dit et pour revenir à votre commentaire, par rapport au premier point relevé plus haut, je pense que vous détournez la discussion, et inventez une problématique qu'aucun esprit sain ne peut lire dans ce qui est écrit dans cette note. Il ne s'agit pas dans ce texte du fait que le sexe masculin représenterait mieux les immigrés que le sexe féminin ; il s'agit de constater, de s'indigner et de blâmer le fait que, depuis 30 ans, sur 12 nominations de ministres de la diversité au moins 9 seraient des femmes. Cette surdétermination de la parité par la préférence féminine au sein du sous-groupe des "immigrés", comparée à la représentation nationale dans sa généralité, c'est cela qui est en cause; c'est cela qui est étonnant, c'est cela qui, à notre avis, comme le dit l'article, ressemble à s'y méprendre à une peur de l'homme immigré, une émasculation politique.
Enfin pour le deuxième point, vous parlez de la manière dont les Français vivraient les choses en ce qui concerne le rapport entre les races et les sexes et vous paraissez en la matière vous inspirer d'une évidence indiscutable, sinon d’une science infuse. Outre que, comme je viens de le rappeler, le problème que vous posez n'a rien à voir avec mon propos, la question qui vient à l'esprit c'est de savoir : sur quelle expérience vous indexez cette évidence ? Moi qui ai eu la chance d'avoir 20 ans en France depuis 30 ans, et qui ai une formation de sociologue très axée sur l'étude des mentalités, je ne saurais être aussi péremptoire…
Rédigé par : BA | 24 mai 2012 à 22:10
Il est pour le moins douteux d'évoquer une émasculation politique. Un flagrant machisme traverse votre analyse au vitriol: à vous lire, un français d'origine étrangère représenterait mieux la diversité qu'une française d'origine étrangère. Cela n'est pas vécu ainsi en France!
Rédigé par : BS | 24 mai 2012 à 07:10
Rien de nouveau sous le soleil en effet, depuis les sombres périodes de l'esclavage à celles de la colonisation tous les rapports aux peuples dominés sont vus sous le seul angle cru de l'émasculation. Les asiatiques eux l'ont si bien compris qui ont pris le parti d'engager des rapports de force par l'emergence, la suprématie et à terme la domination économique...
Rédigé par : Thomas Coffi | 18 mai 2012 à 10:32